En 2012 à Gaza dans une école primaire

Par Siham Touil

En ce début du mois de septembre, les élèves ont repris le chemin de l’école. Dans la bande de Gaza, il n’y a pas eu de rentrée scolaire. Les données du Bureau central palestinien des statistiques sont alarmantes : plus de 625 000 élèves n’ont plus accès à l’éducation. D’après l’Education Group, 85 % des écoles (publiques et celles dépendant de l’UNRWA) sont endommagées ou complètement détruites. Ces infrastructures servent également de toit pour 1,4 million de déplacés. Le niveau d’alphabétisation de la population palestinienne aussi bien dans la bande de Gaza qu’en Cisjordanie était déjà connu au niveau international pour être élevé. Israël, en plus d’accentuer son occupation et sa colonisation, est venu déconstruire cette réputation comme pour anéantir les générations palestiniennes futures.

Des écoles devenues des lieux de mort et de misère

De par le monde, l’accès à l’éducation est un droit fondamental et les écoles sont les sanctuaires de l’accès au savoir. Mais dans la bande de Gaza, depuis octobre 2023, les familles palestiniennes n’envoient plus leurs enfants étudier et les enseignants ne peuvent plus faire classe comme ils le faisaient auparavant. Les établissements scolaires, qui représentaient des lieux d’ouverture sur le monde, ont été transformés en des abris surpeuplés. « Les écoles finissent souvent par devenir des lieux de mort et de misère », dénonce Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient depuis 2020. Même lorsque les Palestiniens viennent s’installer dans les écoles de l’UNRWA dans la bande de Gaza, ils sont ciblés par l’armée israélienne d’occupation. Au 30 août 2024, l’agence humanitaire de l’ONU donnait les chiffres d’au moins 563 personnes déplacées hébergées dans ses abris tuées et d’au moins 1790 blessées depuis octobre 2023. 

Une destruction du système éducatif

Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, précise que dans la bande de Gaza, les agissements israéliens peuvent caractériser trois des actes de génocide que liste la Convention de 1948. En effet, sont évoqués le meurtre de membres du groupe (palestinien), l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Les dégâts causés ont aussi des conséquences sur l’avenir des élèves (tout âge confondu) qui sont privés d’enseignement et les espaces consacrés à ce droit n’existent plus ou sont partiellement détruits. Dans le journal le Monde, Jean-Pierre Filiu indiquait que dans la bande de Gaza, jusqu’à octobre 2023, il y avait « environ 4 % d’étudiants, une proportion comparable à celle des étudiants dans la population française ». 12 établissements d’enseignement supérieur à Gaza avaient déjà été détruits ou endommagés, indiquait Reuters en mai 2024. Ils comprenaient aussi des bibliothèques et centres d’archives réduits à néant.

En 2012 à Gaza dans un collège

Un éducide pour que l’éducation n’existe plus

Scolasticide, éducide ou encore épistémicide sont les termes utilisés afin de parler de la destruction massive prévue de l’éducation dans un lieu précis. Dans la bande de Gaza, depuis octobre 2023, les universités visées par l’armée israélienne – une fois ou à plusieurs reprises – ont été nombreuses : l’Université islamique, Al-Azhar, Al-Quds ou encore Al-Isra. Ces destructions ont souvent été documentées par les auteurs eux-mêmes, les soldats israéliens, en les partageant sur leurs réseaux sociaux. Ces destructions ont pour but d’effacer aussi bien le peuple palestinien, que son identité tout comme sa culture. Cela fait quasiment une année que les Palestiniens ne peuvent plus se rendre dans les écoles, collèges et universités. D’après l’UNICEF, il sera difficile pour les enfants ayant été en dehors du système scolaire durant plus de deux ans de reprendre le chemin de l’enseignement lorsque cela leur sera possible. L’éducide a ainsi pour but d’impacter toute une génération d’enfants.

Les conséquences psychologiques

Dans son article sur eenet.org écrit en anglais, Ayman Qwaider (EENET’s Arabic/MENA Network Manager) explique que les enfants accumulent traumatismes, souffrances et souvenirs de violence. Il s’interroge sur ce que seront l’éducation et l’apprentissage dans la bande de Gaza lorsqu’Israël cessera ses opérations dans la bande de Gaza. En 17 années de blocus imposé par l’occupation israélienne, il y avait déjà dans la société gazaoui des traumatismes chez les enfants, les enseignants et les familles. Dans la reconstruction du système éducatif, le soutien psychologique aura donc une place importante et doit être intégré à toutes les interventions éducatives. Écoles et programmes scolaires devront être repensés pour répondre aux besoins des apprenants traumatisés. La pédagogie elle aussi devra évoluer afin d’aborder les expériences traumatisantes qu’auront vécues les élèves. Ils doivent avoir l’espace nécessaire pour raconter leur histoire. Cela les aidera à se reconstruire et à informer le monde des réalités de la vie à Gaza. « Personne ne devrait subir un génocide sans avoir la possibilité d’en témoigner, et les histoires des enseignants et des étudiants de Gaza sont essentielles pour comprendre le véritable coût de ce conflit », précise Ayman Qwaider.

Apprendre sur et à partir du génocide

« Lorsque l’on discute avec des amis et des collègues de Gaza, un sentiment commun se dégage : on a beaucoup écrit sur le génocide, mais on ne fait pas assez pour intégrer cette réalité déchirante dans l’éducation. Ils soutiennent que l’expérience du génocide ne doit pas être reléguée aux seuls livres d’histoire, mais doit rester un souvenir vivace dans l’esprit des décideurs politiques en matière d’éducation. Intégrer les réalités du génocide dans le programme scolaire ne consiste pas seulement à raconter le passé, mais à sensibiliser et à favoriser la résilience dans le présent. Il s’agit de veiller à ce que la prochaine génération comprenne la gravité de ces atrocités et soit équipée pour reconnaître et réagir aux premiers signes d’actions génocidaires », développe Ayman Qwaider dans son article. L’intégration de l’expérience du génocide dans l’éducation pourrait jouer un rôle vital dans la guérison et l’autonomisation. « En effet, toutes les parties, au niveau local et mondial, doivent intégrer l’enseignement du génocide dans leurs programmes scolaires si nous voulons empêcher que de telles horreurs ne se reproduisent », recommande-t-il.

En 2012 à Gaza dans une université

« Schools Without Borders » 

Nur Nassara a créé « Schools Without Borders » dont il est possible de voir le travail sur la page Instragram. Le but est de fournir des cours et des instants récréatifs aux enfants. Ainsi une continuité de l’enseignement peut avoir lieu. Cependant cela se fait dans des conditions très précaires loin des salles de classe habituelles, sans chaise ni bureau. « À travers notre programme, nous travaillons à développer les capacités des enfants de plusieurs façons et nous cherchons à leur faire vivre de nouvelles expériences », peut-on lire sur la page Instagram. Les enseignants impliqués dans ce réseau ont imaginé des jeux éducatifs. Les enfants restent ainsi au contact de l’enseignement tandis que leur quotidien est le plus souvent rythmé par les files d’attente pour avoir de l’eau, de la nourriture voire également par le fait de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. 

Le Sumoud – la résilience – est une valeur forte dans la société palestinienne. Cet esprit de résistance, de détermination et de défense tant du peuple que de la terre aura un rôle important à jouer aussi bien pour reconstruire le système éducatif que pour intégrer de manière durable dans les mémoires ce que vivent actuellement les Palestiniens.

Sources :
https://www.eenet.org.uk/the-destruction-of-gazas-education-system-a-generation-at-risk/
– Comptes Instagram : Schools without borders, l’Education avec Gaza, Middle East Eye

Source : A l’Encre de ma Plume
https://alencredemaplume.com/…