Par Nasser Kandil

Pour rappel, le président américain Joe Biden a présenté le 31 mai 2024 un plan de cessez-le-feu en trois phases à Gaza, en précisant qu’il s’agissait d’une « proposition israélienne » et donc d’un plan a priori nécessairement accepté par Israël ; le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 10 juin un projet de résolution américain soutenant ce plan, tandis que la Russie s’est abstenue.

Ce plan prévoyait dans une première phase, une trêve de six semaines, accompagnée d’un retrait israélien des zones « densément peuplées » de Gaza et de la libération d’une partie des cent quinze otages encore aux mains du Hamas, contre des prisonniers palestiniens détenus par Israël. Le mouvement Hamas a déclaré l’avoir accepté le 2 juillet dernier bien qu’il l’ait jugé insuffisant.

Entretemps la tragédie n’a cessé de s’amplifier en Palestine occupée et toute sa région, si bien que les négociations tenues à Doha le 15 et le 16 août ont été considérées comme la dernière chance pour relancer les pourparlers sur un accord de cessez-le-feu entre Israël et la Résistance palestinienne et empêcher une confrontation régionale ; le Hamas et l’ensemble des factions combattantes palestiniennes ayant refusé d’y participer.

Monsieur Nasser Kandil nous propose son analyse de ce qui se serait passé à Doha dans cet article rédigé suite à la diffusion d’une vidéo de la Résistance libanaise intitulée « Nos montagnes sont nos arsenaux » (ou nos entrepôts selon d’autres traductions). L’installation souterraine en question est baptisée  « Imad [4] » du nom d’Imad Moughnieh, l’un des principaux fondateurs du Hezbollah, assassiné à Damas en 2008… [NdT].

Lien de la Video / X :
https://x.com/AlMayadeenNews/status/1824358687034560781?

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Bien entendu, nous ne disposons pas d’informations divulguées par de hauts responsables américain, qatari ou égyptien, concernant ce qui s’est passé à Doha. Et nous ne faisons pas partie de ceux qui prétendent savoir ce qui a été dit entre les négociateurs alors qu’ils n’en savent rien. Il n’empêche que nous pouvons essayer de rassembler le puzzle des évidences déduites des deux jours de négociations à Doha afin d’en donner l’image la plus proche de la réalité.

Commençons par la déclaration finale de ces dernières négociations sans omettre de rappeler :

  • qu’elles se sont déroulées en l’absence d’une délégation du Hamas, ce qui signifie qu’il s’agit de négociations entre la délégation de l’entité sioniste et les médiateurs qui sont américains, qataris et égyptiens ;
  • que l’appel à ces négociations signé par le président américain, le président égyptien et l’émir du Qatar parlait de cessez-le-feu et de libération des otages, non d’un arrêt de la guerre et d’un échange de prisonniers comme le proposait le texte accepté par le Hamas le 2 juillet 2024, ce qui signifie que c’est l’Américain qui rédige et que les médiateurs arabes ne font qu’apposer leur signature.

Cela étant dit, les conclusions objectives sont les suivantes :

Premièrement, lorsque le communiqué final des médiateurs affirme « que les négociations à Doha ont été sérieuses et constructives et se sont déroulées dans une atmosphère positive… qu’avec le soutien de l’Égypte et du Qatar, Washington a présenté une nouvelle proposition d’accord visant à réduire les lacunes conformément à la proposition du président Biden et à la résolution du Conseil de sécurité… et que la nouvelle proposition américaine s’appuie sur des points d’accord obtenus la semaine précédente et comble les lacunes restantes… », cela permet de déduire que ce sont, plus exactement, les négociations américano-israéliennes qui ont bénéficié d’une atmosphère positive et que la proposition de Washington vise à réduire les écarts entre le texte présenté par Biden et les exigences formulées par Netanyahou.

Autrement dit, cela signifie qu’il existe une proposition visant à modifier l’initiative de Biden afin de la rapprocher des exigences de Netanyahou et, qu’en l’absence de participation palestinienne, les points d’accord obtenus précédemment s’intègrent dans le cadre d’un accord américano-israélien.

Deuxièmement, lorsque les commentaires du bureau de Netanyahu à propos de ces négociations consistent à espérer que les pressions sur le Hamas l’amènerait à accepter une certaine formule, nous comprenons que c’est cette formule qui a été retenue par les négociateurs et que le médiateur arabe est chargé par le médiateur américain de faire pression sur le Hamas afin qu’il accepte le rétropédalage de Biden en faveur de Netanyahou.

Troisièmement, lorsque la chaîne Al-Jazeera diffuse la déclaration d’un responsable qatari affirmant que le texte de la nouvelle proposition américaine, discuté au cours de ces négociations, diffère du texte accepté le 2 juillet dernier par le Hamas, l’on comprend mieux les propos tenus par l’un de ses dirigeants qui a déclaré sur cette même chaîne :

« Après que les médiateurs nous aient informés des résultats des discussions de Doha, nous avons acquis une fois de plus la certitude que l’occupant ne veut pas d’un accord, qu’il continue de ruser et d’imposer de nouvelles conditions pour faire obstacle à tout accord, que la nouvelle proposition américaine répond et se conforme aux conditions de l’occupant, alors que nous affirmons notre engagement envers ce que nous avons convenu le 2 juillet dernier, sur la base de la déclaration du président Biden et de la résolution du Conseil de sécurité. Nous appelons les médiateurs à faire pression sur l’occupant et à le forcer à mettre en œuvre ce qui a été convenu. Nous soulignons que tout accord doit garantir la cessation de l’agression contre notre peuple et le retrait de la bande de Gaza. Tout accord doit également inclure la fourniture d’une aide d’urgence et la conclusion d’un véritable accord d’échange de prisonniers. ».

Quatrièmement, lorsque les négociations se trouvent reportées à une prochaine réunion entre les mêmes médiateurs avant la fin de la semaine prochaine, il devient clair que ce délai est accordé aux médiateurs arabes pour qu’ils exercent sur le Hamas la pression souhaitée par Netanyahou et, partant de là, pour exercer des pressions de même nature sur l’Iran et le Hezbollah afin qu’ils reportent leurs ripostes aux attaques israéliennes ayant ciblé la banlieue sud de Beyrouth et la banlieue nord de Téhéran, sous prétexte que le report de la riposte contribuerait à parvenir à un accord qui mettrait fin à la guerre contre Gaza et aux massacres de sa population. [Le Hamas, qui a été tenu informé de l’évolution des discussions, aurait déjà répondu que la proposition américaine contient de « nouvelles conditions » israéliennes qu’il rejette ; NdT].

Tel est le sens de la déclaration diffusée par le ministère qatari des Affaires étrangères : « Le Premier ministre qatari et le ministre des Affaires étrangères Mohammed ben Abdul Rahman ont discuté avec le ministre iranien des Affaires  étrangères par intérim, Ali Bagheri Kani, des efforts de médiation conjoints afin d’arrêter la guerre à Gaza ».

Tel est aussi le sens de la visite du ministre égyptien des Affaires étrangères à Beyrouth, lequel a déclaré : « L’Égypte soutient la mise en œuvre de la résolution 1701(2006) par toutes les parties et pas seulement par le Liban… Nous restons en contact permanent pour épargner au Liban les répercussions de toute escalade ». [NB ; Soutenir la résolution 1701 implique, entre autres, le soutien du retrait du Hezbollah au nord du fleuve Litani à 30 kms de la frontière, comme le réclame Israël, et son désarmement ; [NdT]].

Ce qui fait que nous comprenons encore mieux le fait que le Hamas n’accepte rien d’autre que la proposition du 2 juillet préalablement acceptée, car comme il s’en est expliqué :

« Qui peut garantir que les cycles de négociations ne se répéteront pas de la même manière avec, à chaque fois, une nouvelle modification favorable à Netanyahou, laquelle sera acceptée par Washington qui modifiera encore la proposition de Biden et chargera encore les médiateurs arabes de faire pression sur le Hamas et de demander à l’Iran et au Hezbollah de reporter leurs ripostes ? ».

En effet, si le Hamas refuse la proposition américaine, Washington dira qu’il a raté une occasion en or de parvenir à une solution généreuse acceptée par Tel Aviv, comme ce fut le cas alors même qu’il avait accepté l’offre des médiateurs le 6 mai 2024. Et s’il l’accepte, les sacrifices des Palestiniens de Gaza auront été vains. Dans les deux cas, ce sera du temps gagné par l’ennemi et une déliquescence du droit de réponse de l’Iran et des Forces de la résistance aux agressions israéliennes.

Washington et les médiateurs arabes n’osent pas reconnaître qu’un climat de négociation acceptable nécessite, au minimum, l’arrêt des opérations guerrières et l’acheminement de l’aide humanitaire dans Gaza afin de mettre fin à la guerre par la famine.

La réponse est donc : « Imad [4] ».

Nasser Kandil

17/08/2024

Source : Top News Nasser Kandil
https://topnewsnet.net/details.php?id=14411

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Source : Mouna Alno-Nakhal