Par Walid Charara
Pour nombre d’observateurs régionaux, l’incapacité d’Israël à briser la Résistance palestinienne après dix mois d’une guerre génocidaire et terriblement destructrice dans la bande de Gaza, parallèlement à une guerre extrêmement répressive et confiscatoire en Cisjordanie, pousse Netanyahou à mener la région au bord de l’abîme avec le risque qu’il se retrouve lui-même au fin fond du gouffre dans lequel il aimerait précipiter les Palestiniens.
D’où ses tentatives incessantes d’élargir la guerre afin de rebattre ses cartes. Ce pour quoi il aurait obtenu le feu vert des États-Unis depuis sa visite à Washington, le 24 juillet dernier, et l’ovation des membres du Congrès suite à son discours présentant sa guerre contre les Palestiniens de Gaza dans un contexte de lutte contre l’« axe de la terreur de l’Iran ».
Mais voilà que le 27 juillet, un missile tombe sur un terrain de football du village de Majdal Chams dans le Golan syrien occupé, tuant 12 enfants syriens, de parents syriens qui refusent depuis 1967 la nationalité de l’occupant sioniste, en dépit de toutes ses offres alléchantes comme de ses brimades. Ce qui aurait crevé le cœur de Netanyahou pourtant indifférent devant l’assassinat, la maltraitance et la famine de milliers d’enfants palestiniens. Et alors que des témoins sur place filment et affirment qu’il s’agit d’un missile intercepteur du dôme de fer israélien qui a failli, Netanyahou écourte son séjour américain de quelques heures pour courir à la rescousse de « nos enfants » prétendumentvictimes de la terreur du Hezbollah libanais qu’il menace, sans preuve, d’une riposte douloureuse qui enfreindrait les règles d’engagement en vigueur. Menace mise à exécution par le raid israélien du 31 juillet sur la banlieue sud de Beyrouth. Il aurait fait 4 morts, dont M. Fouad Choukr le principal commandant militaire du Hezbollah, plus de 70 blessés, et d’importants dégâts matériels.
Quelques heures plus tard survenait l’annonce de l’assassinat du chef du bureau politique du mouvement Hamas Ismaïl Haniyeh au cœur même de Téhéran, lequel était présent à la conférence multipartite tenue le 23 juillet à Pékin où 14 factions palestiniennes ont accepté de s’engager dans la formation d’un gouvernement unifié, dont le Hamas et le Fatah. Une bonne nouvelle pour ceux qui veulent arrêter la guerre. Une mauvaise nouvelle pour ceux qui veulent la poursuivre parce qu’ils n’ont pas atteint leurs objectifs. [NdT].
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Ce que nous devrions considérer en premier lieu pour essayer de comprendre les vraies motivations et les véritables objectifs des deux opérations criminelles sionistes, ayant ciblé les dirigeants de la Résistance dans la banlieue sud de Beyrouth et dans Téhéran, est leur timing.
En effet, le choix du gouvernement sioniste fasciste de violer presque simultanément toutes les lignes rouges à Beyrouth et à Téhéran, en dépit des ripostes nécessairement prévisibles de l’ensemble des partis de l’Axe de la résistance, est l’évolution la plus marquante qui mérite une sérieuse analyse.
Il n’est pas nécessaire de rappeler que lorsque l’ennemi cible des civils dans n’importe quelle partie du Liban, il franchit une ligne rouge qui nécessite une réponse forte de la Résistance libanaise. Et il est indubitable que, comme par le passé, l’assassinat de dirigeants et de cadres de cette Résistance l’amènera, aujourd’hui ou plus tard, à riposter.
Par ailleurs, ce qui est vrai pour la Résistance au Liban l’est aussi pour l’Iran. Ainsi, en avril dernier, l’Iran n’a pas hésité à frapper en profondeur l’entité sioniste en réponse à son agression contre son consulat à Damas et au martyr consécutif de dirigeants de la Force Al-Qods liée au Corps des Gardiens de la Révolution. Et aujourd’hui, le Guide suprême de la République islamique Sayyed Ali Khamenei n’a laissé aucun doute quant à cette riposte puisqu’il a annoncé que « le devoir de l’Iran est de venger l’incident amer et difficile de l’assassinat du chef du Bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh ». Des propos similaires à ceux qu’il a tenus après l’attentat contre le consulat iranien à Damas, lorsqu’il a affirmé que la réponse viendrait de « nos braves ».
Il est difficile de croire que les dirigeants sionistes et leurs alliés américains et occidentaux ignorent ces évidences. D’où la question primordiale : qu’est ce qui a imposé le choix sioniste d’une escalade simultanée contre le Liban et l’Iran ?
Pour commencer, il nous faut faire remarquer que l’exploitation sioniste du massacre qui a frappé Majdal Chams, la ville syrienne du Golan occupé, est comparable à la façon dont le gouvernement de Menahem Begin a agi en 1982 suite à la tentative d’assassinat contre son ambassadeur en Grande-Bretagne, Shlomo Argov, en sachant pertinemment que l’opération ratée n’avait rien à voir avec l’Organisation de libération de la Palestine [OLP] et avait été menée par le groupe Abou Nidal. Un groupe qui s’était désolidarisé du Fatah
[le parti politique nationaliste palestinien le plus important de l’OLP]
menant sa guerre contre sa direction et cherchant à saper ses représentants dans nombre de pays. À l’époque, le gouvernement Begin a utilisé l’échec de l’opération comme prétexte pour lancer son agression contre le Liban, en parfaite entente et coordination avec l’administration du président américain Ronald Reagan. [L’invasion israélienne de 1982 a été déclenchée le 6 juin et s’est terminée le 30 août par l’expulsion de l’OLP du Liban et son transfert vers la Tunisie ; NdT].
Or, aujourd’hui l’entité sioniste ne peut pas lancer une invasion similaire du Liban même si les États-Unis la soutiennent ; d’une part, en raison de la grande différence entre les capacités actuelles de la Résistance libanaise plus celles de son Axe régional et les capacités de l’OLP en 1982 ; d’autre part, en raison des lourdes pertes qui résulteraient d’une telle invasion pour l’armée et l’entité sionistes.
Ce que cherchent les dirigeants de l’entité c’est l’exploitation du massacre de Majdal Chams, ville syrienne occupée et résistante dont les habitants ont expulsé les responsables sionistes venus exprimer leur prétendue solidarité, comme prétexte pour élever le niveau de confrontation avec l’ensemble des forces de l’Axe de la résistance et, peut-être, évoluer vers un scénario de quelques journées de combat avec une participation américaine directe protectrice, dans le but d’imposer leurs conditions politiques, au premier rang desquelles l’arrêt du soutien à Gaza.
D’ailleurs, le chef du gouvernement sioniste n’aurait pas lancé ses opérations criminelles sur la banlieue beyrouthine et sur Téhéran s’il n’avait pas obtenu le feu vert de l’administration américaine. Ce que suggèrent fortement certaines prises de position, telle celle de la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris qui a déclaré « Israël a le droit de se défendre contre une organisation terroriste telle que le Hezbollah », ou celle du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin qui a répété pour la énième fois « les États-Unis défendront Israël » ; le tout, en concomitance avec les discussions sur l’acheminement de cuirassés militaires américains vers la côte libanaise d’après la chaîne 13 sioniste.
Les dirigeants du système américano-sioniste croient encore que l’assassinat des dirigeants de la Résistance régionale, l’étalage de leurs capacités technologiques avancées, ainsi que la menace d’une guerre totale et dévastatrice sont des mesures qui pousseront les peuples de la région et ses forces vives à se soumettre à leur volonté. Ils sous-estiment, comme les colonialistes qui les ont précédés, à quel point ceux qui considèrent qu’ils livrent une bataille existentielle qui décidera de leur sort et de leur avenir sont prêts à en supporter les coûts humains et matériels, aussi élevés soient-ils, et à infliger à leurs ennemis ce qu’ils ne peuvent supporter.
Walid Charara
01/08/2024
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Al-Akhbar
[خيار التصعيد الصهيو – أميركي ]
Monsieur Walid Charara est un journaliste libanais. Il est par ailleurs chercheur en relations internationales et consultant pour de nombreux médias arabes et occidentaux.
Source : Mouna Alno-Nakhal