Par Ayham al-Sahli

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.

Victor Hugo, Paris, décembre 1848

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Que devons-nous faire face aux tueries incessantes dans le sud-ouest de la Palestine ? À chaque fois que je tente de trouver une réponse, je reviens au point zéro, au point de la question elle-même ; ce qui suscite ma colère, ma haine et mes larmes, car c’est la question qui tue.

Que devons-nous faire ? Soutenir notre peuple, soutenir la Résistance, collecter des fonds, tenter autant que possible de prendre soin des nôtres à distance, participer aux manifestations en faveur de la Palestine, organiser des événements, prendre le temps d’expliquer aux enfants ce qui se passe, écrire, lire, documenter, jouer notre musique, ou dessiner et mettre en scène notre réalité ?

Je sais bien que toutes ces actions ont été menées et se poursuivent. Il n’empêche que les milliers d’étudiants qui ont organisé des manifestations non violentes et des sit-in dans leurs universités, les millions de personnes qui ont manifesté dans les capitales du monde entier, les milliers d’articles publiés, ne nous plongent pas au cœur de l’événement quelle que soit notre vigilante attention à tous ses détails, ni n’empêchent les massacres et la mort, mis à part le rôle important de la documentation et de la constitution de dossiers pour quiconque souhaiterait les utiliser contre le tueur.

Certes, toutes ces actions menées de par le monde peuvent nous procurer un certain réconfort, mais c’est un sentiment instantané qui s’évanouit l’instant d’après, devant le martyr répété d’une mère, d’un père, d’un enfant… Et bien que chaque massacre, incite certains d’entre nous à prendre des initiatives qui méritent d’être tentées, la mort revient et le réconfort momentané se répète.

Le crime qui se déroule dans la bande de Gaza est d’une terrible gravité. La mort qui fauche des dizaines de nos proches quotidiennement opère sans relâche, la machine de guerre israélienne l’habillant de toutes sortes de projectiles avant de la lâcher sur les nôtres. Elle récolte ce qu’elle peut et revient pour se vêtir d’autres projectiles encore. Une collaboration sans précédent, sauf au cours des crimes majeurs enregistrés par l’Histoire.

C’est une mort qui ne fait pas de distinction entre les jeunes et les vieux, tue les femmes comme elle tue les hommes. Elle s’approche des enfants dont le temps des jeux est révolu depuis des mois, défigure leur visage, les éborgne, démembre leur tendre petit corps sans défense quand elle ne les aplatis pas au sol, avant que leur âme ne s’échappe vers le ciel. Ce n’est qu’alors qu’elle s’apaise et revient se vêtir de nouveaux projectiles pour poursuivre sa récolte ininterrompue.

Et nous qui sommes à la périphérie de l’événement, que nous soyons apathiques, déprimés, brulants de chagrin, brisés ou euphoriques, nous assistons à la guerre derrière les écrans de nos maisons. Nous voyons les martyrs, les blessés et les décombres. Nous voyons une partie de la Palestine d’hier et une partie de la Palestine d’aujourd’hui où rien ne rendra à l’enfant son beau visage, la mère à son enfant, le père à son épouse…

Ce qui précède peut signifier que nous sommes parfois brisés par la peine et la douleur. C’est vrai, parce qu’il n’est pas toujours possible de triompher contre soi-même, et que de tels moments nous poussent à nous reposer des questions sur notre humanité.

Cette tuerie a tué quelque chose en chacun de nous. Certes, nous qui sommes loin, nous ne sommes pas exposés aux avions qui foncent à travers les nuages et crachent leurs missiles sur les nôtres. Il n’empêche que nous endurons la mort au quotidien et que nous détestons notre impuissance devant la question lancinante : que pouvons-nous faire ?

Si seulement je le savais ! La seule chose que je sais et que le moins que nous puissions faire est de parler haut et fort de ce qu’endurent les Palestiniens sur leur terre, nuit et jour, à chaque heure, à chaque bouchée, à chaque gorgée. En parler est une forme de commémoration des nos martyrs qui sont nombreux. Nous devons les nommer comme s’il s’agissait de nos propres noms, de notre âme et de notre souffle de vie. Nous ne devons pas les oublier, car je sais que si nous les oublions du fait des remous de notre existence, la vie, le ciel et le sang des martyrs nous maudiront.

Tout comme nous ne devons pas tomber dans le défaitisme parce nous ne pouvons faire grand-chose, car la Palestine a surgi de son sol et se bat. Elle grandit chaque jour davantage et engendre des combattants dont l’âme est éprise de l’esprit de leur peuple et de leur terre. Des combattants qui versent leur sang pour elle et qui méritent eux-mêmes ces deux amours : notre amour pour notre peuple, et notre amour pour la terre d’où nous venons et vers laquelle nous allons.

Ayham al-Sahli
23/06/2024

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Source : Al-Akhbar
[حزننا وقوّتنا]

Ayham al-Sahli est un écrivain et journaliste palestinien. Il travaille en tant qu’Assistant de l’Institut des Études palestiniennes et réside actuellement au Liban.

Source : Mouna Alno-Nakhal