Par Nicolas Boeglin

Note de l’auteur: une version en espagnol de ce texte est également disponible ici 

Le 3 juin, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a annoncé dans un communiqué de presse qu’elle a reçu une déclaration de la Palestine reconnaissant la compétence générale de la CIJ, afin d’intervenir dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël : voir le communiqué de presse de la CIJ en anglais et en français.

Peu diffusée (et encore moins commentée dans les grands médias internationaux), cette déclaration faite par la Palestine mérite que l´on s’y attache afin d’en comprendre la motivation et la portée, que nous essaierons d’expliquer dans les lignes qui suivent.

La Palestine et la justice internationale de La Haye

Comme on le sait, malgré une demande formulée en septembre 2011, la Palestine n’est toujours pas un État membre des Nations Unies, mais un « État non-membre observateur », selon le statut qui lui a été accordé le 29 novembre 2012, lors d´un vote mémorable au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies (Note 1). 

Plus récemment, nous avons eu l’occasion d’analyser le veto américain observé le 18 avril 2024 au sein du Conseil de Sécurité lors du vote d’une résolution recommandant son admission (Note 2) :  à la différence du premier véto nord-américain d’octobre 2023 concernant le drame qui se vit sur le territoire palestinien occupé de Gaza (et au sujet duquel nous avions écrit que « Ce détail, ainsi que les déclarations faites par le représentant de la Chine précitées indiquent que les représentants des États-Unis ont laissé croire qu´ils n´avaient plus d´objections au projet de texte de résolution, surprenant leurs homologues avec un vote contre » – Note 3), cette fois-ci aucune surprise n’ a vu le jour: on remaquera d’ailleurs que l’annonce répétée d’un véto probable dans les jours précédents le vote du 18 avril 2024 coïncide avec les toutes premieres mobilisations sur les campus universitaires aux Etats Unis en faveur de la Palestine. 

Nous avons également eu l’occasion d’analyser en bref l’adoption ultérieure d’une résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies visant à accorder à la Palestine de nouveaux droits au sein des Nations Unies, en attendant qu’elle obtienne un jour son admission formelle en tant qu’État membre de l’organisation (Note 4). Le détail du vote obtenu de cette résolution est reproduit, au cours duquel Israël et les Etats Unis n’ont pu recueillir que sept votes contre avec les leurs:

N’étant pas un État membre des Nations Unies, la Palestine n’a aucun moyen de devenir un État partie à l’instrument qui a créé les Nations unies : la Charte fondatrice de cette organisation, plus connue sous le nom de Charte de San Francisco, adoptée en 1945 (voir texte). 

Au regard de la relation d’un Etat membre avec la CIJ, les articles 92 et 93 de ce traité international instituant les Nations Unies stipulent en particulier que :

Article 92 : La Cour internationale de Justice constitue l’organe judiciaire principal des Nations Unies. Elle fonctionne conformément à un Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice internationale et annexé à la présente Charte dont il fait partie intégrante.

 Article 93 :  1. Tous les Membres des Nations Unies sont  ipso facto  parties au Statut de la Cour internationale de Justice.  2 Les conditions dans lesquelles les États qui ne sont pas Membres de l’Organisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale de Justice sont déterminées, dans chaque cas, par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité”.

Nous demandons ici à nos cher(e)s lecteurs et lectrices un peu d’indulgence pour expliquer (en bref) ce que la Palestine peut et ne peut pas faire juridiquement en tant qu’État aux Nations Unies, au regard des règles de l’ordre juridique international en vigueur.

Le fait que la Palestine ait acquis le statut d’ « État non-membre observateur », déclaré comme tel depuis novembre 2012, lui a permis de ratifier un grand nombre de traités internationaux, tels que : le Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale (CPI) en janvier 2015 (voir l´ état officiel des signatures et des ratifications) ou bien encore la Convention sur le génocide de 1948, qu’elle a ratifiée en avril 2014 (voir l’  état officiel), parmi beaucoup d’autres traités internationaux, ouverts à tous les États (qu’ils soient ou non Etats membres des Nations Unies).

Le 28 septembre 2018, la Palestine a déposé une requête auprès de la CIJ contre les États-Unis (voir le texte complet de sa requete), au sujet du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Pour cette requête, à ce jour en attente de résolution, la Palestine a utilisé comme base de compétence de la CIJ un Protocole à la Convention de Vienne de1961 sur les Relations Diplomatiques, à laquelle les États-Unis et la Palestine étaient États parties en 2018  (voir texte complet) : un examen de l’état officiel des signatures et ratifications indique que les États-Unis ont procédé à la dénonciation de cet instrument le 12 octobre 2018 lorsqu’il est indiqué (dernière partie de l’hyperlien) que :

« On 12 October 2018, the Secretary-General received from the Government of the United States of America a communication notifying its withdrawal from the Optional Protocol. The communication reads as follows: “… the Government of the United States of America [refers] to the Optional Protocol to the Vienna Convention on Diplomatic Relations Concerning the Compulsory Settlement of Disputes, done at Vienna on April 18, 1961.This letter constitutes notification by the United States of America that it hereby withdraws from the aforesaid Protocol. As a consequence of this withdrawal, the United States will no longer recognize the jurisdiction of the International Court of Justice reflected in that Protocol« .

Sans effet juridique immédiat (et encore moins rétroactif), la requête de la Palestine ne devrait pas être affectée par cette manœuvre nord-américaine quelque peu désespérée, fort peu connue (et encore moins médiatisée). 

Les Etats Unis dénoncent un traité international utilisé par la Palestine pour les poursuivre devant le juge international, tout juste 15 jours après l’introduction de la requête. Voilà une dénonciation, modalité « express » (ou encore « urgency: very high« ), suite à une requête, et qui ne semble pas avoir de précédent dans l’histoire de la CIJ depuis 1946: sur cette réponse nord-américaine assez inédite observée en 2018, on aurait souhaité la voir analysée et commentée par d’éminents spécialistes du droit des traités et des procédures devant la CIJ dans les diverses revues juridiques spécialisées en droit international public. Sauf erreur de notre part, c’est un sujet qui ne semble pas avoir attiré outre mesure l’attention des commentateurs.

Bien plus suprenant, on remaquera le silence sur le site officiel de la CIJ sur les suites de cette affaire: depuis l’ordonnance de la CIJ fixant les délais en date du 16 novembre 2018, aucune information additionnelle n´est disponible (voir texte de l’ordonnance). On lit dans cette ordonnance que la fixation des délais s´est établie sans la présence des diplomates des Etats Unis: 

« … par une lettre datée du même jour, Mme Newstead a informé le Greffe que les Etats-Unis ne prendraient pas part à la réunion que le président avait proposé de tenir le 5 novembre 2018 avec les représentants des Parties« 

Le délai fixé par la CIJ pour déposer le contremémoire des Etats Unis a été fixé par cette ordonnance au 19 novembre 2019, sans que le site de la CIJ n’informe depuis sur la suite de la procédure depuis cette décision de la CIJ. 

La déclaration palestinienne en bref

Avec cette déclaration publiée par la CIJ le 3 juin 2024, la Palestine cherche à contrer les objections que certains États pourraient soulever auprès des juges de la CIJ concernant une requête à fin d’intervention dans l´affaire opposant deux États membres des Nations Unies (en l’occurrence, l’Afrique du Sud et Israël).

Dans sa déclaration (voir le texte intégral), la Palestine exprime clairement son souhait d’intervenir dans le différend entre l’Afrique du Sud et Israël depuis le 29 décembre 2023 (date à laquelle l’Afrique du Sud a déposé une plainte officielle contre Israël).

A cette fin, la Palestine invoque à la fois l’article 62 et l’article 63 du Statut de la CIJ. 

Récemment, nous avons eu l’occasion d’analyser la  requête  à fin d’intervention en l’affaire Afrique du Sud contre Israël, présentée par le Mexique le 28 mai 2024 aux juges de la CIJ (Note 5), dans laquelle le Mexique invoque l’article 63 (tout comme avant lui, la Colombie et la Libye). On expliquera  plus loin la particulaité de la requête du Nicaragua dans sa demande d’intervention, invoquant l’article 62 du Statut de la CIJ et non pas l´article 63.

Après le Nicaragua, la Colombie (voir requête du 5 avril 2024), la Libye (voir requête soumise le 10 mai 2024) et le Mexique (voir requête du 24 mai), la Palestine rejoint ainsi les États qui ont formellement demandé à la CIJ d’intervenir en tant qu’État tiers entre l’Afrique du Sud et Israël.

En tant qu’Etat partie à la Convention sur le génocide de 1948, la Palestine ne pouvait pas voir d’objections juridiques valables à sa demande d’intervention sur la base de l’article 63.

La déclaration palestinienne indique qu’en ce qui concerne la requête au titre de l’article 62, la volonté des autorités palestiniennes vise à protéger leurs intérêts en tant qu’État, étant donné qu’il est question de la destruction totale délibérée de Gaza par Israël et d’une grande partie de la population civile qui y réside, actions menées par Israël depuis le soir du 7 octobre 2023 :

« 33. The present Application for which permission to intervene is sought has two complementary purposes: 

– First, to enable the State of Palestine to inform the Court regarding its legal interest which is at the core of the dispute presented to the Court; 

– Second, to allow the State of Palestine to protect its interests of a legal nature that will be affected in those proceedings at each stage of the proceedings« . 

En ce qui concerne l´article 63, on lit que :

« 41. The State of Palestine understands that by availing itself of the right to intervene under Article 63 of the Statute of the Court, the construction of the Genocide Convention given by the judgment in this case will be equally binding upon it. The State of Palestine will submit its written observations, bearing in mind the pleadings of the Parties and the documents annexed« .

La Palestine précise également que ses diplomates et ses conseillers juridiques connaissent fort bien les réflexions menées avant l´adoption en 1948 de la Convention sur le génocide de 1948 :

« 43. The State of Palestine was, of course, not present when the Genocide Convention was being drafted. Nevertheless, it appears that the situation in Palestine was in the minds of the drafters of the Convention. In the Sixth Committee, the Egyptian representative spoke of events in Palestine at the time as an example of the destruction of religious groups. Syria tabled the following amendment: « Imposing measures intended to oblige members of a group to abandon their homes in order to escape the threat of subsequent ill-treatment. » Syria did not refer to Palestine explicitly but the context strongly suggests that its concern was with the Nakba« .

La différence entre l’article 62 et l’article 63

Il convient de noter une particularité du Nicaragua dans la requête à fin d’intervention auprès des juges de la CIJ dans le différend entre l’Afrique du Sud et Israël (voir texte complet de la requête  déposée le 23 janvier 2024 en français et en anglais). 

Alors que les autres États ont invoqué l’article 63 du Statut de la CIJ (voir texte), qui permet à tout État partie à une convention d’intervenir lorsqu’il s’agit de l’interprétation à donner aux dispositions de cette convention faisant l’objet d’un différend entre deux États devant la CIJ, le Nicaragua (et maintenant la Palestine) ont choisi d’invoquer une autre disposition, qui comporte un enjeu beaucoup plus important pour l’État qui l’invoque : l’article 62 du Statut de la CIJ, qui se lit comme suit :

Article 62: 1. Lorsqu’un Etat estime que, dans un différend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une requête, à fin d’intervention. 2. La Cour décide”.

La position du Nicaragua (voir texte complet de la requête déposée le 23 janvier 2024 en français et en anglais) cherche à pousser jusqu’à ses dernières conséquences l’idée que l’interdiction du génocide est une norme de jus cogens de nature impérative qui lie tous les Etats de la même manière : tous les Etats devraient, logiquement, avoir un intérêt juridique au respect de cette norme fondamentale, et une déclaration en ce sens de la CIJ renforcerait les effets de ce que l’on appelle les « normes impératives du droit international général », telles que consacrées par l’article 53 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités de 1969. 

Une relecture de la requête du Nicaragua sur la base de cet élément permet de mieux comprendre les nombreuses références faites par le Nicaragua dans le texte de sa requête à cette catégorie spécifique de règles fondamentales de l’ordre juridique international, rarement invoquées devant le juge international de La Haye par les Etats qui plaident devant lui.

On signalera que le Nicaragua a présenté le 1er mars 2024 une requête contre l’Allemagne accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires pour violation de certaines dispositions de la Convention sur le génocide de 1948, en particulier celles concernant l’obligation de prévention qui s’ímpose aux Etats Parties (voir texte en francais et en anglais). Cette demande a donné lieu  à  une ordonnance adoptée le 30 avril 2024 (voir texte) dans laquelle on y lit un avertissement assez clair de la part de la CIJ aux Etats fournissant des armes à Israël, Allemagne inclue :

« 24. De surcroît, la Cour estime particulièrement important de rappeler à tous les États les obligations internationales qui leur incombent en ce qui concerne le transfert d’armes à des parties à un conflit armé, afin d’éviter le risque que ces armes soient utilisées pour commettre des violations des conventions susmentionnées. Toutes ces obligations incombent à l’Allemagne en tant qu’État partie auxdites conventions lorsqu’elle fournit des armes à Israël« .

Un autre avertissement, tout en filigrane cette fois, peut être suggéré par l´expression « à l´heure actuelle« , lorsque l´on y lit que:

« 20. Sur la base des informations factuelles et des arguments juridiques présentés par les Parties, la Cour conclut que, à l’heure actuelle, les circonstances ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut« .

Le Nicaragua et la Palestine: un bref rappel

Pourquoi un tel engouement afffiché par le Nicaragua pour essayer de contrer Israël et une telle solidarité  avec le peuple palestinien depuis la soirée du 7 octobre 2023? 

Les autorités actuelles du Nicaragua ont encore en mémoire que de fort nombreux combattants durant la lutte armée au Nicaragua dans les années 60-70 ont été éliminés par des armes et des munitions israéliennes. D’un point de vue historique, il convient en effet de rappeler que durant ces decennies, le Nicaragua et Israël ont entretenu des relations très étroites en termes de coopération militaire, ce qui explique pourquoi, depuis juillet 1979, les autorités nicaraguayennes sont si proches de la cause palestinienne. 

Dans cet article intitulé « Israeli Agency in the Iran-Contra Affair » publié en 2016, on peut lire (pages 8-9) que : 

In February 1957, a Nicaraguan delegation to Israel negotiated a $1.2 million arms deal with Shimon Peres who was the director general of the Israeli Defence Ministry. According to the Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), by the 1970s Israel accounted for 98% of Nicaragua’s arms imports. This included tanks, light aircraft, armoured cars, ammunition, and automatic rifles. In early 1978, Somoza changed his National Guard’s standard arms from the American Garan M-1, to the modern Israeli Galil assault rifle.Some members of the National Guard were also armed with Israeli made lightweight UZI submachine guns. In January 1979, a group of American diplomats expressed concern over Somoza’s military overconfidence, that “one reason Somoza was so cocky in resisting pressures to resign was the knowledge that Israel, which had been a full-times arms salesman working the countries of the Caribbean Basin, could and would supply whatever the National Guard needed”.

A Managua, pour commémorer le 10e anniversaire de la mort du leader palestinien Yasser Arafat, une cérémonie officielle a été organisée avec les plus hautes autorités du Nicaragua (voir note de presse de novembre 2014). Récemment – fin janvier 2024 -, le décès d’une poétesse nicaraguayenne de renom, dont la famille était originaire de Palestine, et qui fut la compagne sentimentale de Yasser Arafat pendant quelques temps, a été signalé (voir la photo d’archive contenue dans cet article de La Prensa de Nicaragua, et cette note de presse du 28 janvier 2024).

Il convient enfin de préciser que le Nicaragua n’entretient plus de relations diplomatiques avec Israël depuis juin 2010, en raison de l’attaque d’une flottille humanitaire turque par l’armée israélienne (voir l’article de El Tiempo / Colombia du 1er juin 2010) : il s’agit d’une situation que le Nicaragua partage avec d’autres États d’Amérique Latine: la Bolivie (octobre 2023), Belize (novembre 2023) et la Colombie (voir communiqué officiel du 1er mai 2024), ces trois  Etats étant les derniers à avoir rompu leurs relations diplomatiques avec Israël.

La suite de la procédure

La CIJ devra maintenant informer, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises, l’Afrique du Sud et Israël, afin de connaître leur points de vue respectifs sur les demandes d’intervention de la Palestine et des autres États tiers dans le différend qui les oppose : ces États tiers qui ont demandé l’intervention sont, comme précisé antérieurement;

–  le Nicaragua (janvier 2024);  

– la Colombie (avril 2024); 

– la Libye et le Mexique (mai 2024). 

On remarquera que l’inaction collective des Etats européens dans leur ensemble concernant ces demandes d’intervention au juge international semble atteindre ses limites : en effet, l´Espagne vient d’annoncer qu’elle présentera une demande similaire au juge de la CIJ, en soutien  à la requête de l’Afrique du Sud (voir note de presse de la DW du 6 juin 2024). L’Espagne est aussi celle qui récemment, avec l’Irlande et la Norvège, a décidé qu’il était temps de procéder à la reconnaissance de la Palestine comme Etat (voir communiqué officiel du 28 mai dernier) rejoignant la Suède, dernier Etat européen à avoir procédé à cette reconnaissance en 2013 (Note 6).  On signalera au passage qu’au mois de mars 2024, la Belgique avait annoncé une intervention similaire auprès de la CIJ, non suivie d’effet à ce jour, pour des raisons… qu’il serait fort intéressant de connaître (voir article de presse du 11 mars 2024). 

Au delà des effets d’annonces que l’on observe ci et là, l’Etat européen qui sera le premier à effectivement déposer une requête à fin d’intervention en vue de soutenir l’Afrique du Sud viendra conforter bien des observateurs et acteurs de la vie internationale, médusés et indignés par l’inaction collective de l’Europe depuis le soir du 7 octobre 2023: tant pour ce qui est des recours juridiques qu’offre la Convention contre le génocide (153 Etats Parties) que ceux qu’offre le Statut de Rome (124 Etats Parties): nous renvoyons aux deux uniques référrés urgents envoyés à la CPI en date du 17 novembre 2023 (voir texte) et du 18 janvier 2024 (voir texte) dans lesquels aucun Etat européen n’apparaît parmi les signataires. 

Ce n’est qu’ une fois connues les positions de l´Afrique du Sud et d’Israël que la CIJ décidera par une ordonnance, après avoir organisé des audiences à La Haye, si elle accepte ou bien rejette ces demandes d’intervention d’États tiers dans le différend opposant l’Afrique du Sud à Israël.

Dans le cas spécifique de la requête palestinienne, il est fort probable qu’Israël contestera en plus le fait que la Palestine puisse la présenter, étant donné qu’Israël ne reconnaît pas la Palestine en tant qu’État, tout comme les États Unis, le Canada, et bien d’autres États européens. 

Dans l’hémisphère américain, outre les États-Unis, seuls le Canada et le Panama ne reconnaissent pas la Palestine en tant qu’État. Dans le cas particulier du Panama, seul État d’Amérique Latine à ne pas reconnaître la Palestine en tant qu’État, depuis août 2014, ses autorités « évaluent » la possibilité d’une telle reconnaissance (voir note de presse de La Estrella de Panamá d’août 2014).

En guise de conclusion

Cette nouvelle initiative de la diplomatie palestinienne vise à rapprocher juridiquement la Palestine au différend entre l’Afrique du Sud et Israël et au débat, qui s’annonce intense, entre les équipes juridiques sud-africaines et israéliennes devant les juges de la CIJ.

Il est indéniable que, pour Israël, l’étau du droit international commence à se refermer sur lui, avec une semaine du mois de mai extrêmement défavorable qui a commencé :

– le 20 mai par une demande à la Cour Pénale Internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt provenant du procureur de la CPI à l’encontre de son premier ministre et de son ministre de la défense,  (Note 7) et qui s’est achevée ;

– le 24 mai, avec une troisième ordonnance rendue par la CIJ exigeant qu’Israël suspende immédiatement son offensive militaire à Rafah (Note 8).

Outre le Mexique, qui a officiellement soumis sa demande d’intervention à la CIJ, le Chili a récemment annoncé son intention de se joindre au soutien de l’action intentée par l’Afrique du Sud contre Israël (voir le communiqué de presse de la BBC du 1er juin 2024).

Il faut noter que malgré l’ordonnance de la CIJ du 24 mai 2024, Israël a jugé opportun et nécessaire de commencer ses opérations à Rafah, provoquant les réactions de nombreux États dénonçant une série de bombardements aveugles d’un camp de réfugiés à Rafah entre les 25 et le 26 mai : on peut citer, parmi beaucoup d’autres, la déclaration officielle publiée par le Qatar et l’Afrique du Sud, ainsi que une forte déclaration publiée par plusieurs experts des droits de l’homme de l’ONU (voir le communiqué de presse officiel des Nations Unies).

Cette note de l’ONG palestinienne Al Mezan, basée à Gaza, datée du 28 mai, exhorte pour sa part la communauté internationale à condamner et à prendre des mesures pour mettre fin à l’action insensée d’Israël.

A cet égard, en ce qui concerne les réactions officielles enregistrées en Amérique Latine, nous renvoyons nos cher(e)s lecteurs et lectrices aux communiqués officiels de la Bolivie, du Brésil, du Chili et de la Colombie : leur lecture (recommandée) met en évidence les lacunes du communiqué officiel du Costa Rica, dont le texte évite de préciser que le « bombardement » a été causé par les forces militaires israéliennes et omet tout simplement de mentionner Israël (Note 9). Une prudence sémantique similaire se retrouve dans le communiqué officiel du Pérou (voir texte), tandis que les ministères des affaires étrangères de l’Argentine, de l’Equateur, du Panama et de l’Uruguay ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’exprimer une quelconque opinion concernant le bombardement par Israël d’un camp de réfugiés à Rafah.

Lorsqu’un Etat ignore une décision obligatoire de la CIJ, la Charte des Nations Unies prévoit un mécanisme dans lequel intervient le Conseil de Sécurité: un projet de résolution du Conseil de Sécurité proposé par l’Algérie (voir texte) circule depuis le 27 mai, qui pourrait bien contraindre cette fois-ci les Etats-Unis à se dissocier des demandes pressantes  émanant des autorités israéliennes : à moins que les Etats-Unis ne soient prêts (à nouveau) à exercer leur droit de veto pour protéger leur fidèle allié israélien de l’application du droit international en vigueur. Une telle option signifierait probablement pour l´actuel président des Etats-Unis une nouvelle mobilisation sur les campus universitaires nord-américains tout comme dans les rues de ses villes principales, et sans aucun doute, la perte de toute chance de réélection lors des élections américaines, prévues en novembre 2024.

Dans les milieux académiques, plusieurs analyses mettent en avant le fait que les ordonnances de la CIJ devraient intéresser tous les Etats, et non seulement l’Afrique du Sud et les Etats qui ont demandé à intervenir dans son procès contre Israël (Note 10).

En ce qui concerne un autre théâtre d’opérations proche de Gaza où l’on peut constater le même manque de respect total de la part d’Israël, l’ONG  Human Rights Watch a dénoncé le 4 juin dernier l’utilisation par Israël de phosphore blanc contre les populations civiles au Sud-Liban (voir rapport). 

Nicolas Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin@gmail.com.

–  – Notes –  –

Note 1: Cf. BOEGLIN N., « Le nouveau statut de membre de la Palestine aux Nations Unies : une perspective latinoaméricaine« , Le Monde du Droit, Section Decryptages, édition du 3 janvier 2013. Texte disponibleici. En anglais, cf. AKANDE D., « Palestine as a UN Observer State: Does this Make Palestine a State?« , EJIL-Talk, édition du 3 décembre 2012. Texte disponible ici. Plus généralement, sur la participation de la Palestine en tant qu’Etat au sein des diverses organisations internationales, cf. MARTIN J.C., « Le statut de la Palestine dans les organisations internationales »,Annuaire Français de Droit International  Vol. 62 (Année 2016), pp. 213-233. Texte intégral disponible ici

Note 2: Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « El veto de Estados Unidos a la admisión de Palestina como Estado Miembro de Naciones Unidas: algunas reflexiones« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica, 18 avril 2024. Texte disponible ici.

Note 3: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos du véto des États-Unis au projet de résolution du Conseil de Sécurité présenté par le Brésil« , Blog de la Société Québécoise pour le Droit International (SQDI), édition du 27 octobre 2023. Texte disponible ici.

Note 4: Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Palestina: a propósito de la reciente resolución sobre derechos de Palestina como  futuro Estado Miembro de Naciones Unidas« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica, 10 mai 2024. Texte disponible ici. 

Note 5: Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la solicitud de México de intervenir en la demanda de Sudáfrica contra Israel ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ)« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica,  28 de mayo del 2024. Texte disponible ici. 

Note 6:  Cf. BOEGLIN N., « La reconnaissance récente de la Palestine par la Suède : perspectives« , Sentinelle (Bulletin de la SFDI, Société Francaise pour le Droit International), édition de novembre 2014. Texte disponible ici

Note 7: Cf. (en espagnol) BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito del anuncio del Fiscal de la Corte Penal Internacional (CPI) de solicitar órdenes de arresto por crímenes de guerra y de lesa humanidad« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica editée le 20 mai 2024. Texte disponible ici.

Note 8: Cf. (en espagnol)  BOEGLIN N., « Gaza / Israel: Corte Internacional de Justicia (CIJ) ordena a Israel suspender de inmediato su ofensiva en Rafah y abrir Gaza a investigación por parte de agencias de Naciones Unidas« , Blog Derecho InternacionalCosta Rica éditée le 24 mai 2024. Texte disponible ici

Note 9: Le communiqué officiel du Costa Rica du 27 mai, posté à 12h51, se lit comme suit (voir hyperlien). Il est reproduit ci-dessous dans son intégralité : ni le titre ni le texte de ce communiqué ne font expressément référence à Israël et le mot « incident » est utilisé dans le titre. La deuxième phrase comporte également une faute d’orthographe, ce qui invite à penser que ce texte a été écrit à la hâte, sans révision de style :

« Ante ataque a campo de refugiados en Rafah, Costa Rica hace llamado a un alto al fuego inmediato, al cumplimiento de las medidas provisionales de la Corte Internacional de Justicia y a la investigación del incidente

San José, 27 de mayo de 2024. Costa Rica ha recibido con consternación la noticia del bombardeo sobre un campo de refugiados en Rafah, que ha causado la muerte de civiles inocentes, incluidos mujeres y niños, además de múltiples heridos.

Esto suma mayor sufrimiento a una población varias veces desplazada, carente de las condiciones básicas de sobrevivencia por meses, que se encontraba en el último lugar donde se les había prometido refugio seguro.

Este ataque a civiles se ha dado dos días después de que la Corte Internacional de Justicia, órgano judicial supremo de las Naciones Unidas, emitió medidas cautelares de obligatorio cumplimiento en que ordenaba un alto inmediato a las operaciones terrestres y cualesquiera otras acciones en Rafah que pudieran llevar a la destrucción total o parcial de la población palestina en Gaza. 

Costa Rica espera una investigación profunda y objetiva de este hecho con la correspondiente rendición de cuentas.

Reiteramos una vez más el llamado a un alto al fuego inmediato, a la liberación incondicional e inmediata de los rehenes, y al respeto y acatamiento de las normas y principios del Derecho Internacional, especialmente el Derecho Internacional Humanitario, así como a las resoluciones relevantes del Consejo de Seguridad y a todas las medidas precautorias dictadas por la Corte Internacional de Justicia.

Comunicación Institucional -195-2024 CR hace llamado a un alto al fuego inmediato, al cumplimiento de las medidas provisionales de la Corte Internacional de Justicia y a la investigación del incidente – Lunes 27 de mayo de 2024« .

Note 10: Cf. par exemple, PIETROPAOLI I., « Obligations of Third States and Corporations to Prevent and Punish Genocide in Gaza« , Bristish Institute of Interntional and Comparative Law, 5 juin 2024.  Texte disponible ici.

Source : auteur
https://derechointernacionalcr.blogspot.com/…