Des résidents déplacés du nord d’Israël dans un campement de protestation près de la route 90, le mois dernier. Photo Gil Eliahu
Par Gideon Levy
Gideon Levy, Haaretz, 5/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le succès ne se discute pas, et certainement pas en Israël. Après le succès éclatant dans la bande de Gaza, nous adopterons le même modèle au Liban : une grande guerre, une victoire totale. Nous l’avons déjà dit à maintes reprises : nous n’avons rien oublié et nous n’avons rien appris. Mais nous n’avons jamais appliqué cette platitude en lambeaux à un laps de temps aussi court.
Les leçons tirées des guerres sont toujours oubliées à un moment ou à un autre, mais devons-nous oublier la leçon de la guerre à Gaza avant même qu’elle ne soit terminée, pour répéter la même erreur ? La folie d’Israël lui fait honte, comme l’arrogance de croire que la victoire est dans notre poche.
Disons-le tout de suite : comme celle qui l’a précédée à Gaza, la guerre qui est sur le point de se développer dans le nord sera classée comme une autre guerre choisie. Si Israël n’aurait pas dû envahir Gaza avec toutes ses forces dans le seul but de tuer, de détruire et de punir, principalement pour étancher sa soif de vengeance – une guerre choisie évidente -, la guerre du Liban sera, elle aussi, classée parmi toutes les guerres choisies d’Israël.
La troisième guerre du Liban, qui est aux portes, sera bien sûr décrite, comme ses prédécesseuses, dont le première s’appelait Opération Paix en Galilée et a éclaté, soit dit en passant, le 6 juin 1982, et dont la seconde a éclaté en juillet 2006, comme une guerre qui nous a été imposée : que faire lorsque la Galilée est abandonnée et en flammes ? Rester assis et se taire ? Baisser la tête ? La discussion sur une guerre dans le nord est une discussion unilatérale. Personne ne présente l’alternative (et il y en a une). La seule question qui se pose est celle du calendrier.
Nous devons dispenser le Nord de la punition du Hezbollah, et cela, dit-on, ne peut se faire que par la guerre. Comme à Gaza. Une fois de plus, les Forces de défense israéliennes vont envahir, occuper, tuer et être tuées ; le front intérieur sera battu comme il ne l’a jamais été auparavant, et l’armée le sera probablement aussi.
Le terrible verbe “intensifier” a été transféré vers le nord. Intensifier la guerre. Le chef d’état-major a déjà annoncé que nous avions atteint le point où il fallait prendre une décision. Il a parlé de la seule décision qu’il connaisse : une autre guerre. Il n’y a pas d’alternative, absolument pas d’alternative.
Bien sûr qu’il y a une alternative. Au milieu de tout le bruit, de tout le feu et de toute la souffrance des habitants du nord, la raison pour laquelle le Hezbollah attaque a été oubliée, et on a fait en sorte qu’elle soit oubliée : la guerre à Gaza. Il y a maintenant deux alternatives : l’une, vers laquelle nous nous dirigeons, consiste à reproduire le fiasco de Gaza jusqu’aux abords de Beyrouth. La seconde, qui est trop bonne, est d’arrêter la guerre à Gaza. La paix en Galilée ne sera obtenue que de cette manière. Un accord garantira toujours plus qu’une nouvelle guerre, qui risque d’être la pire des guerres d’Israël.
Il est impossible de croire à la sérénité avec laquelle Israël glisse vers la pire de ses guerres sans débat public, sans opposition, même sans présentation de l’alternative : un accord de cessez-le-feu pour mettre fin à la guerre avec le Hamas.
La pancarte “Non à la guerre au Nord” n’a pas encore été écrite. Les manifestants contre une guerre au Liban ne sont pas encore descendus dans la rue. Le Hezbollah a déclaré que la fin de la guerre à Gaza entraînerait la fin de la guerre dans le nord, et une promesse du Hezbollah est généralement beaucoup plus fiable qu’une promesse de Benjamin Netanyahou.
Le Hezbollah ne sera pas éradiqué et ne se retirera pas au-delà des montagnes du Chouf, mais qu’est-ce qu’une guerre apporterait, à part des victimes ? Une guerre dans le nord n’aboutira qu’à une effroyable effusion de sang, après quoi un accord sera signé, exactement comme celui qui pourrait être signé maintenant sans guerre. Le Hezbollah ne peut pas continuer si Gaza se tait – et Gaza ne se taira qu’avec un accord.
Israël se lancera dans une guerre majeure dans le nord, alors que sa position internationale est au plus bas et que Tsahal est meurtri par ses échecs à Gaza.
Rappelons-le : les deux objectifs déclarés (et non réels) d’Israël à Gaza n’ont pas été atteints. Loin de là. Dans la guerre de Gaza, depuis le tout début jusqu’à sa fin lointaine, Israël ne fait que perdre. Et si elle fonctionne si bien contre le Hamas, la guerre fonctionnera certainement encore mieux contre son frère aîné et mieux armé, le Hezbollah. Nous frapperons et nous serons frappés. Et retournerons à la table des négociations.
Il est impossible de rester silencieux face à ce qui se passe au nord. Israël doit à des dizaines de milliers de ses citoyens une solution à leur détresse, ce dont on ne parle pas assez. La solution à leur détresse se trouve à Gaza, uniquement à Gaza. Ou, dirons-nous, au bureau du Premier ministre à Jérusalem.
Source : TLAXCALA
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