Un homme montre des passeports britannique, polonais et australien tachés de sang après une frappe aérienne israélienne, à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza, le 1er avril 2024. Parmi les travailleurs de World Central Kitchen tués lors de la frappe aérienne israélienne figuraient trois citoyens britanniques, des ressortissants polonais et australiens, un Canadien ayant la double nationalité américaine et un Palestinien.
Par Andre Damon
Dans la nuit de lundi à mardi, les Forces de défense israéliennes ont tué sept travailleurs humanitaires internationaux de World Central Kitchen à Gaza lors d’une série de trois frappes aériennes sur leur convoi de véhicules. Les travailleurs humanitaires étaient des citoyens des États-Unis et du Canada, du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Pologne et de la Palestine.
Les attaques ont utilisé des munitions de précision qui ont directement visé les toits des véhicules, qui affichaient de grands logos identifiant clairement leurs occupants comme des travailleurs humanitaires.
Les porte-parole du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et du président américain Joe Biden ont affirmé, de manière absurde, que les trois frappes aériennes étaient le résultat d’une «erreur» et d’une «mauvaise identification». Ces affirmations, reprises par les médias, se sont effondrées face aux preuves de plus en plus nombreuses que les frappes avaient été soigneusement ciblées.
Dans une interview accordée à Reuters, le restaurateur José Andrés, fondateur de World Central Kitchen, a déclaré que les travailleurs avaient été visés «systématiquement, une voiture après l’autre». Andrés a rejeté les affirmations des États-Unis et d’Israël selon lesquelles les attaques n’étaient pas intentionnelles, en déclarant: « catégoriquement non ».
L’objectif de cette attaque, comme l’a expliqué, Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, était de faire en sorte que «les donateurs se retirent et que les civils de Gaza puissent continuer à être affamés».
Médecins sans frontières a déclaré dans un communiqué: «Nous n’acceptons pas le récit d’incidents regrettables. Nous ne l’acceptons pas parce que ce qui est arrivé à la World Central Kitchen et aux convois et abris de MSF s’inscrit dans la même pratique d’attaques délibérées contre les travailleurs humanitaires et de la santé, les journalistes, le personnel de l’ONU, les écoles et les maisons. »
Ces attaques ne sont que les dernières d’une série d’assassinats de travailleurs humanitaires par Israël, dont près de 200 ont été tués à ce jour. En outre, Israël a systématiquement attaqué les personnes affamées qui tentaient de recevoir de la nourriture dans les centres de distribution alimentaire, dans une série de «massacres de la farine».
Après six mois de blocus israélien, l’ensemble de la population de Gaza est confrontée à la faim, et les Nations unies et la Banque mondiale ont prévenu que la famine était imminente. Des dizaines d’enfants sont déjà morts de malnutrition et les organisations humanitaires ont prévenu que les décès dus à la famine éclipseraient bientôt le nombre de victimes des bombes.
La réponse du gouvernement Biden au meurtre des travailleurs humanitaires a été de défendre Israël, de nier que les meurtres constituent une violation du droit international et de rejeter toute enquête internationale sur le massacre.
Interrogée mercredi sur la question de savoir si la politique du président à l’égard d’Israël et de Gaza avait été modifiée à la suite de la frappe de jeudi, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, a déclaré: «Rien n’a changé.»
Dans une déclaration antérieure, le même jour, le porte-parole de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a affirmé: «Nous ne cachons pas le fait qu’Israël va continuer à bénéficier du soutien américain dans la lutte qu’il mène pour éliminer la menace du Hamas.»
Jeudi, Biden a eu une conversation d’une demi-heure avec Netanyahu, consacrée à la gestion des retombées diplomatiques du massacre. Le compte-rendu public de l’appel indique que Biden «a clairement souligné la nécessité pour Israël d’annoncer et de mettre en œuvre une série de mesures spécifiques, concrètes et mesurables pour remédier aux dommages causés aux civils, aux souffrances humanitaires et à la sécurité des travailleurs humanitaires».
Ces déclarations ont été immédiatement proclamées comme un changement majeur de politique par les médias américains. Mais lors d’une conférence de presse ultérieure, les responsables de la Maison-Blanche ont à nouveau insisté sur le fait que rien n’avait changé. John Kirby a déclaré que «Joe Biden a clairement fait comprendre au Premier ministre que le soutien des États-Unis à la capacité d’Israël à se défendre contre toute une série de menaces, et pas seulement contre le Hamas, reste inébranlable». À la question de savoir si cet appel était un «ultimatum», Karine Jean-Pierre a répondu: «Non.»
En d’autres termes, les «exigences» de Biden visaient à dissimuler la politique américaine de financement, d’armement et de défense du génocide israélien à Gaza, et à s’assurer que les chefs militaires et les décideurs civils responsables du meurtre des travailleurs humanitaires ne soient pas tenus de rendre des comptes.
Les États-Unis soutiennent les actions criminelles du régime de Netanyahou parce que le génocide de Gaza fait partie d’une campagne militaire systématique américano-israélienne dans tout le Moyen-Orient visant à démanteler toute résistance à la domination impérialiste de la région.
Depuis le 7 octobre, les États-Unis ont fourni plus de 100 livraisons d’armes distinctes à Israël, dont la taille est inférieure au seuil nécessaire pour obtenir l’autorisation et l’approbation du Congrès. La semaine dernière, les États-Unis ont réagi au massacre par Israël de plus de 400 personnes à l’hôpital Al-Shifa en envoyant un nouveau lot de 1.800 bombes de 900 kilos à Israël. Lundi, le jour où Israël a massacré les travailleurs humanitaires de World Central Kitchen, l’administration Biden a approuvé le transfert de milliers de bombes supplémentaires.
Le génocide de Gaza, qui dure maintenant depuis six mois, marque une étape majeure dans le recours à la criminalité par la politique étrangère impérialiste, dans laquelle les meurtres de masse systématiques, la famine et le génocide sont normalisés comme des méthodes couramment utilisées.
La même semaine où Israël a assassiné les travailleurs humanitaires de World Central Kitchen, un groupe de journalistes israéliens et palestiniens a révélé l’existence de «Lavender», un système d’intelligence artificielle utilisé par les forces de défense israéliennes pour sélectionner les cibles des bombardements qui ont entraîné la mort de milliers de personnes depuis le 7 octobre.
Le système a été utilisé pour désigner des milliers de Gazaouis comme cibles d’assassinats extrajudiciaires. Il détecte le moment où les victimes ciblées se trouvent chez elles avec leur famille, puis donne l’ordre à l’armée de l’air israélienne de les bombarder, ainsi que leur famille et les passants. Chaque frappe peut tuer jusqu’à 20 passants pour chaque individu visé et, dans certains cas, l’assassinat de 100 passants est autorisé pour une cible sélectionnée.
Depuis un demi-siècle, les actions de l’État d’Israël sont utilisées par Washington comme un précédent pour la politique américaine. L’exemple le plus significatif est la doctrine des «assassinats ciblés», ou assassinats organisés par l’État, qui a été développée par Israël avant d’être adoptée par les États-Unis, y compris contre leurs propres citoyens.
Ce qu’Israël fait aujourd’hui contre la population de Gaza, ses bailleurs de fonds impérialistes le feront dans un avenir proche. Les actions du régime sioniste dans le génocide actuel serviront de précédent à l’utilisation d’armes de haute technologie, y compris l’intelligence artificielle, pour commettre des crimes de guerre à grande échelle, couplés à une famine de masse contre les populations urbaines rebelles.
L’irruption de la guerre, du génocide et de la répression politique n’est pas une aberration. L’impérialisme, comme l’a noté Lénine, n’est pas simplement une politique, mais plutôt une étape historique spécifique du développement capitaliste. L’opposition à l’impérialisme est donc une question révolutionnaire, qui ne vise pas à faire pression sur un gouvernement, mais à remplacer le capitalisme par le socialisme.
Tous les efforts visant à s’opposer au génocide de Gaza en faisant appel aux Nations unies, à la Cour internationale de justice et aux gouvernements capitalistes individuels ont échoué. Il ne s’agit pas d’appeler les gouvernements capitalistes responsables de ces crimes à changer de cap, mais plutôt de se tourner vers la classe ouvrière, en fusionnant la lutte contre la guerre avec les luttes en cours des travailleurs du monde entier contre l’inégalité et l’exploitation.
(Article paru en anglais le 5 avril 2024)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…