Par Karine Bechet-Golovko
Les mesures législatives et les déclarations liberticides s’enchaînent à un rythme inquiétant dans notre beau pays, qui fut il n’y a pas si longtemps de cela l’image même de la liberté et de la douceur de vivre. Si cette tendance a été ouvertement marquée sous le Covid, elle prend toute son ampleur dans le cadre du conflit en Ukraine. Il faut dire que ces deux périodes ont en commun la radicalisation idéologique de l’élite politique française. Et tout processus de radicalisation s’accompagne du formatage du discours, devant le justifier. Le ministère de la Vérité se prépare, il est d’ailleurs annoncé.
Deux nouvelles viennent de tomber, qui se complètent dangereusement. La première concerne la régulation de l’expression sur internet. Au-delà des difficultés techniques objectives de mise en oeuvre, la question mérite d’être soulevée.
Aucun espace ne peut être hors réglementation. La liberté totale n’existe pas, et cela devient évident au minimum dès que l’on a dépassé l’adolescence. La liberté totale, c’est le chaos, autrement dit la loi du plus fort. Qui remplace la loi du plus juste. Donc l’idée en soi de réglementer et sanctionner les abus et la violence dans l’espace numérique n’est pas une mauvaise chose.
Cela fait d’ailleurs quelque temps que cette idée fait son chemin, en général elle est particulièrement mal ficelée et a conduit à des conflits fondamentaux entre l’UE et les Etats, la première ne voulant en rien laisser aux Etats des compétences dans un domaine aussi sensible et important politiquement.
Ne soyons pas naïfs, il ne s’agit pas de protéger les libertés, mais de savoir quel discours sera acceptable. Et les Etats n’ont plus la souveraineté leur permettant de déterminer un élément fondamental de la vision du monde, que les politiques (qui ne sont elles-mêmes plus nationales) doivent porter.
La dérive dans les débats parlementaires est ouvertement arrivée avec la proposition d’un article 5 bis portant délit d’outrage en ligne. Je cite :
«Est puni de 3.750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement le fait […] de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante»
Beaucoup de questions se posent, puisqu’il s’agit d’un mécanisme extra-judiciaire. C’est-à-dire que la sanction pénale sera adoptée sans décision de justice et donc sans les garanties procédurales, normalement prévues dans le cadre judiciaire.
La plus grande réserve concerne le fond : comment définir ces concepts, quels seront les critères de leur applicabilité, comment garantir une application uniforme et équitable ? Ce n’est pas possible. Essayez de faire reconnaître les insultes sur Twitter, c’est totalement aléatoire. Et quand cela concerne les chiens de garde «NafoFella» ou les comptes affiliés ukrainiens, ils ont une totale impunité pour vous insulter. Je ne parle même pas des sanctions sur Facebook. Confier à l’ARCOM un tel pouvoir, ne pourra se faire sans la collaboration de ces géants et de toute manière, la conduite de l’ARCOM à l’égard des médias français montre sa partialité.
C’est l’impasse fondamentale de ces mécanismes : si théoriquement, il est en effet nécessaire de réguler l’espace numérique pour en limiter les violences et sanctionner les infractions, qui y sont commises, en pratique cela revient à sanctionner un discours, qui ne convient pas.
Et plus la situation est radicale, plus l’espace d’expression se rétrécit. Les «fakes news», autrement dit les mensonges et fausses nouvelles, qui existaient toujours, sont devenues à la mode avec le covid, car la vérité idéologique covidienne ne pouvait être remise en cause. Toute une panoplie de «vérificateurs» et d’»estamplilleurs» de Vérité sont alors apparus.
Avec l’engagement atlantiste radical de la France dans la guerre en Ukraine, l’espace de liberté d’expression se réduit encore. Nous sommes entrés dans une phase de propagande de guerre. Ce qui permet au ministre français des Affaires étrangères, faisant le beau devant Blinken, son supérieur direct, de le réconforter en précisant bien qu’aucun pluralisme ne sera accepté, puisque le discours atlantiste est la «vérité-vraie». La seule, l’unique. Amen !
Guerre en Ukraine: Stéphane Séjourné annonce que «la France proposera prochainement un régime de sanctions dédié à ceux qui soutiennent les entreprises de désinformation»
Il ne s’agit pas de désinformation dans le sens classique du terme, mais bien de sanctionner tout discours, qui ne conforte pas la ligne agressive et docile tenue par les élites dirigeantes françaises. En fait, il s’agit de conforter la désinformation, puisque l’information suppose le pluralisme, qui est désormais banni.
Ainsi, en joignant ces deux éléments, l’outrage en ligne et la sanction d’un discours non-aligné, nous arrivons à la mise en place de ce ministère de la Vérité, qui vous explique notamment que la guerre c’est la paix.
«Très probablement, les confessions avaient été réécrites et réécrites encore, si bien que les faits et les dates primitifs n’avaient plus la moindre signification. Le passé, non seulement changeait, mais changeait continuellement.
Ce qui affligeait le plus Winston et lui donnait une sensation de cauchemar, c’est qu’il n’avait jamais clairement compris pourquoi cette colossale imposture était entreprise. Les avantages immédiats tirés de la falsification du passé étaient évidents, mais le mobile final restait mystérieux. Il reprit sa plume et écrivit :
Je comprends comment. Je ne comprends pas pourquoi.»
George Orwell (1984) est d’une actualité glaçante.
Par Karine Bechet-Golovko
Source : Russie politics
https://russiepolitics.com/…