Luc Michel répond aux questions de Karel Huybrechts
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REVUE DE PRESSE – PRESS REVIEW – ГАЗЕТА/
PCN 2011/ BILANS, ANNIVERSAIRES , REGARDS ET PERSPECTIVES … :
LUC MICHEL REPOND AUX QUESTIONS DE KAREL HUYBRECHTS (Février 2012)
– 1962-2012 : 50 ans d’Organisation Communautariste Transnationale (JE-PCE-PCN)
– 1984-2012 : 28 ans du PCN-NCP
– 1972-2012 : 40 ans de vie militante de Luc MICHEL
– 1992-2012 : 20 ans après la disparition de Jean THIRIART
Luc MICHEL répond ici aux questions de Karel Huybrechts, ouvre ses archives et celles de Jean THIRIART et du PCN.
Prépublication en version digitale Pdf par le Service de Presse du PCN (Bruxelles & Kishinev) en Avril 2012.
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Sommaire :
I – Regards sur l’Organisation Communautariste Transnationale : passé, présent, parcours
II – Concepts, doctrine et idéologie : Définitions et précisions à propos du Communautarisme européen
III – Les Bases doctrinales et la genèse idéologique du Communautarisme européen
IV – Evolutions : de JEUNE-EUROPE au PCN
V – Mythes et réalités : réponses à la « propagande noire » sur le PCN
VI – La vision européenne alternative du Communautarisme européen
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I – REGARDS SUR L’ORGANISATION COMMUNAUTARISTE TRANSNATIONALE : PASSÉ, PRÉSENT, PARCOURS …
* Question – Karel Huybrechts : Commençons par Jean Thiriart, le premier théoricien du Communautarisme européen, disparu en 1992. Plusieurs versions circulent au sujet de l’engagement politique de Jean THIRIART avant 1940. Vous parlez vous d’une « légende noire ». Que vous a-t-il personnellement dit sur son parcours d’avant-guerre ?
Luc MICHEL : Je voudrais, avant de fournir les réponses aux questions que vous me demandez, attirer votre attention sur une chose : depuis la disparition de Jean THIRIART en novembre 1992, nous avons vu se développer ici et là une série de légendes, de mythes, de ragots. Beaucoup trouvent leur source chez les animateurs de certains groupuscules français et belges, qui du vivant de Jean THIRIART ne l’ont pas côtoyé, où l’ont combattu ouvertement ou sournoisement. On atteint à ce sujet des sommets dans le ridicule lorsque certains personnages, qui ont approché Jean THIRIART deux ou trois après-midis à la fin de sa vie, à Paris ou à Moscou, se présentent aujourd’hui comme « ayant milité à ses côtés » (sic).
J’ai pour avantage sur ces provocateurs et ces mythomanes d’avoir côtoyé Jean THIRIART quotidiennement pendant de nombreuses années, d’avoir organisé ses activités et son secrétariat politiques à partir de 1983, et d’avoir, jusqu’à ses derniers jours, bénéficié de sa plus entière confiance politique et de son estime .
* Question – Karel Huybrechts : On peut pourtant lire sur certains sites que vous auriez « été fâché avec THIRIART à la fin de sa vie » ?
Luc MICHEL : Billevesées ! Dans la dernière interview (écrite), restée inédite, qu’il a accordée au journaliste belge Manuel ABRAMOWICZ en juin 1992 (après que je l’aie introduit auprès de THIRIART), THIRIART insiste longuement sur l’estime qu’il me porte et sur le fait que je suis le seul représentant orthodoxe de l’idéologie dont il est le créateur.
Il y a en outre de nombreuses traces et preuves écrites qui réfutent incontestablement ce mediamensonge raconté par nos ennemis. Lors de son voyage à Moscou d’août 1992, THIRIART cite abondamment mes travaux et écrits et me présente comme son « disciple ». Ceci dans de nombreux journaux russes et français (voir notamment NATIONALISME & REPUBLIQUE, n° 9, de septembre 1992). Et encore, dans les nombreux droits de réponse et mises au point qu’il fait publier dans la presse russe à son retour, en septembre et octobre 1992. Où il mentionne le PCN et notre collaboration intellectuelle. Et où il attaque violemment la Nouvelle Droite…
Notamment la correspondance entre THIRIART et la Rédaction de ROUSSKI VESTNIK (Moscou, août et septembre 1992), dont l’extrait qui suit – et fait suite à un Droit de Réponse de THIRIART – se passe de commentaires : « La visite de M. THIRIART à Moscou a suscité déjà un choc parmi les démocrates (V. KOMSOMOLSKAÏA PRAVDA le 20 août) et une certaine confusion parmi les patriotes. Nous avons donné la parole d’abord à M. THIRIART (…) Il faut corriger quelques erreurs d’abord. A. Douguine a dit (DYENN) que « les conceptions de J. THIRIART ont été approfondies par la Nouvelle Droite européenne ». A. Podkopalov (KOMSOMOLSKAÏA PRAVDA) appelle M. THIRIART « le père de la nouvelle droite européenne ». Mais M. THIRIART tient pour insultant pour lui de se voir amalgamé à des « brocanteurs pseudo-philosophiques de la nouvelle droite, des gamins littéraires salonnards style Steuckers ou A. de Benoist et n’a rien à voir avec ces gens ». M. THIRIART cite toujours Ortega-Y-Gasset, qui disait « qu’être de droite ou de gauche, ce sont deux façons de s’affirmer comme un imbécile, deux variétés d’hémiplégie morale » (…) J. THIRIART comprend bien sûr que l’Europe unifiée ne surgira pas demain selon sa recette mais il tient pour possible qu’elle se développe comme un embryon du Parti européen appelé à montrer un exemple de dépassement des divergences nationales. Jusqu’ici aucun parti n’a réussi à résoudre cette tâche. Une tentative du même M. THIRIART (la Jeune-Europe des années 60) a essuyé un échec. Au début des années 80 ses adhérents ont fait une nouvelle tentative: le PCN a été fondé en Belgique (…) Le parti des adhérents de M. THIRIART c’est quelque chose dans le genre de l’Internationale de Marx (…) je suis prêt à donner connaissance des documents et du programme du PCN pour tous les intéressés ».
J’attire également votre attention sur le fait que je suis le légataire universel des archives de Jean THIRIART. Celui-ci, dès 1983, m’avait confié la gestion des Archives de notre Organisation concernant la période « Jeune-Europe » puis celle du « Parti Communautaire Européen » (1960-70). Lors du décès de Jean THIRIART, son épouse Alice, qui avait été l’un des cadres supérieurs de notre Organisation dans les années 60, m’avait confié ses Archives politiques. Lorsque Alice THIRIART nous ayant, elle aussi, quittés prématurément en 1999, la fille de Jean THIRIART, Frédérique, m’a alors confié les Archives privées de son père. Tout ceci est organisé dans le « Fond d’archives Jean THIRIART », qui est géré par l’ « Association transnationale des amis de Jean THIRIART du PCN » (personne morale de Droit belge) qui vise à défendre la mémoire et l’œuvre de celui-ci.
* Question – Karel Huybrechts : Revenons à ma question initiale sur l’engagement politique de Jean THIRIART avant 1940…
Luc MICHEL : J’ai bien entendu eu de longs entretiens avec THIRIART sur ses débuts en politique. Il n’y a pas à ce sujet « plusieurs versions », comme vous l’écrivez erronément, mais une réalité – sur laquelle THIRIART s’est publiquement expliqué à plusieurs reprises –, et des ragots et affabulations. THIRIART est issu d’une famille de gauche, où la libre pensée et l’athéisme étaient de tradition. Et c’est d’ailleurs ce qui nous a dans nos premiers contacts rapproché puisque je partage le même univers mental matérialiste athée.
Les parents de THIRIART fréquentaient les milieux de l’extrême-gauche belge au début des années 30 et notamment les activités de masse du « Komintern » et du PCB en Belgique. C’est tout naturellement que le jeune Jean THIRIART s’est dirigé vers le « Parti Communiste Belge » (PCB) et l’association de jeunesse de masse qui existait à cette époque et qui portait le nom de « Jeune Garde Socialiste Unifiée » (JGSU), unifiée entre les communistes du PCB et les socialistes. La JGSU était une Organisation militante de type paramilitaire en uniforme comme la plupart des groupes politiques militants de l’époque, à gauche comme à droite, destinée au contrôle de la rue. Il était très fréquent d’en rencontrer dans tous les milieux politiques des années 30. On y portait notamment la chemise bleue, que l’on retrouvera plus tard en République Démocratique Allemande, la DDR, dans les Organisations de jeunesse de rang supérieur de la « Freies Deutsche Jungen ». Jean THIRIART sera très marqué par ses premières années de formation politique au sortir de l’enfance. Lorsqu’il décidera de structurer un mouvement politique activiste au début des Années 60, il le formera sur le modèle de la JGSU et dans le but de contrôler la rue. Ainsi, la chemise bleue qui était portée par les militants de « Jeune-Europe » entre 1962 et 1964 n’a rien à voir, comme certains journalistes stupides et mal informés l’ont écrit, avec la « Phalange espagnole », mais bien avec l’Organisation antifasciste de la JGSU, dont l’activité principale était d’empêcher les réunions publiques et les meetings des mouvements fascistes belges de l’époque « REX » et le « VNV ».
A la même époque, Jean THIRIART fréquente également la mouvance d’une revue anarcho-syndicaliste qui s’appelait « LE ROUGE ET LE NOIR ». Les activités de THIRIART vont rapidement, au sein de la JGSU s’orienter vers les opérations de renseignements que celle-ci développe contre les Organisations fascistes en Belgique. THIRIART va alors participer, suivant le témoignage qu’il m’en a laissé, à une opération d’infiltration au sein d’un autre grand mouvement fasciste belge de l’époque « la légion nationale » où il parviendra même à devenir l’adjoint du major Ubagh qui dirigeait le Service d’information de celle-ci. Ce qui sera, selon les dire de THIRIART, « d’un grand apport pour le Service de renseignements de la JGSU ».
* Question – Karel Huybrechts : C’est alors que THIRIART adhère au « FICHTE BUND » et qu’il s’initie à la géopolitique ?
Luc MICHEL : C’est effectivement dans ce cadre-là que THIRIART va franchir un pas décisif dans sa formation politique. Il entre en effet en contact avec le « FICHTE BUND », une Organisation culturelle allemande que dirige depuis Hambourg le docteur Kessemeier. THIRIART me parlera à ce sujet « d’un tournant capital dans sa vie politique ». Le « Fichte Bund » est une curiosité au sein de l’Allemagne nationale-socialiste. C’est en effet un organisme issu du mouvement « communiste national » de Wolfheim et Lauffenberg qui s’était développé à Hambourg au début des années 20. Tout d’abord comme fraction importante au sein du « KAPD », le « Parti communiste ouvrier allemand », qui est à l’époque le grand rival au sein du « Komintern » du « KPD », le « Parti communiste allemand » de tendance spartakiste, ensuite hors de celui-ci avec des organismes comme la « Ligue des communistes » et précisément le « FICHTE BUND ».
* Question – Karel Huybrechts : Etonnant, lorsque l’on connaît l’opposition des nationaux-bolcheviques au IIIe Reich et au Nazisme, sur laquelle vous avez vous-même beaucoup écrit ?
Luc MICHEL : Il est en effet à noter que les Organisations nationale-communistes ou nationale-bolcheviques allemandes se sont dans leur immense majorité directement opposées au National-socialisme et que l’on retrouve leurs animateurs au sein des grands réseaux de résistance active au National-socialisme comme « l’Orchestre rouge » d’Arvid Arnach et d’Harro Schulze-Boysen, le « Réseau Widerstand » de NIEKISCH, et bien d’autres encore (1).
Mais certains organismes, notamment en matière culturelle, vont, eux, rejoindre ce que l’on appelait à l’époque l’ « opposition intellectuelle intérieure », où vont se livrer comme le « Réseau Hielscher » à des opérations d’infiltration et d’aide à la résistance au sein de l’appareil d’état et particratique national-socialiste, et singulièrement de la SS.
Le « FICHTE BUND » représente l’une de ces tentatives de maintenir au sein de l’Allemagne nationale-socialiste des pôles de résistance ou tout simplement de survie. Les Trotskistes belges, notamment, feront la même chose en 1940-44 à l’AGRA, une association politico-culturelle de la collaboration belge, notamment. En effet c’est au « FICHTE BUND » que THIRIART va découvrir la géopolitique et les grandes théories développées notamment en Allemagne à l’époque par Hausoffer sur l’opposition entre Terre et Mer et sur les thèses de Anton ZISCKA, un grand géopoliticien allemand de l’époque, aujourd’hui méconnu, sur la nécessité d’unifier l’Europe sur une base grand-continentale eurasiatique autour d’un pôle russo-allemand. C’est une ligne politique qui guidera l’action de THIRIART jusqu’à la fin de sa vie.
* Question – Karel Huybrechts : Et après 1940 ? C’est la période la plus polémique du parcours politique de THIRIART …
Luc MICHEL : En ce qui concerne l’engagement politique de THIRIART après 1940, je m’en tiendrai à des faits qui sont souvent méconnus et que les journalistes et les historiens qui ont critiqué THIRIART ont toujours passé sous silence. Le fait principal, c’est la réhabilitation de Jean THIRIART en 1958, complète et définitive, fait extrêmement rare en Belgique pour des faits de guerre, opérée par la Cour d’appel de Bruxelles (arrêt 1354 / 58) et approuvée par un grand résistant, le ministre de l’intérieur Pierre Vermeilen. Réhabilitation totale et rétroactive, qui en droit belge ou français efface non seulement les condamnations et leurs effets, mais interdit leur simple mention. Parmi les pièces du dossier de réhabilitation présenté figurait notamment la fourniture de passeports et faux papiers au Réseau de résistance de tendance gaulliste dont faisait partie la mère de Jean THIRIART en Belgique et en France et pour laquelle elle reçut notamment la Légion d’honneur.
Dans un droit de réponse au quotidien « LA CITE » (Bruxelles, 2 novembre 1984), THIRIART écrivait notamment ce qui suit : « En matière politique on peut condamner mais on ne peut juger. L’évocation de ma condamnation de Conseil de guerre a un caractère diffamatoire. En effet, la Cour d’appel – tribunal civil plus serein – m’a réhabilité le 16 décembre 1958 (…) Je suis donc un citoyen belge respectable. Mes idées peuvent agacer ou indigner. J’accepte qu’on les critique ou qu’on les combatte. Mais je ne puis accepter qu’on m’oppose comme argument une condamnation du Conseil de guerre (…) En 1940, j’avais 18 ans. La Cour d’appel qui savait tout sur moi m’a réhabilité. Je vous saurai gré d’en tenir compte ».
* Question – Karel Huybrechts : Une équivoque est aussi parfois soulevée au sujet de la dénomination « Jeune Europe » adoptée par Jean THIRIART pour votre Organisation entre novembre 1961 et fin 1964. Pourriez-vous nous éclairer sur l’origine de celle-ci ?
Luc MICHEL : Il me faut aussi lever cette autre équivoque sur l’appellation de « Jeune-Europe » que porta notre Organisation entre 1962 et le début de 1965 et l’utilisation qui est faite en tant que logo interne du symbole de la « Jeune-Europe » de 1833. Les références qui sont en effet faites par THIRIART ou le PCN, le sont exclusivement à la « Jeune-Europe » du grand révolutionnaire européen et italien, socialiste, Giusepe Mazzini, qui créa en 1833 l’une des toutes premières Organisations révolutionnaires pan-européennes sous le nom de la « Jeune-Europe » et qui regroupait à l’époque la « Jeune Italie », la « Jeune Suisse », la « Jeune Pologne », la « Jeune Allemagne » et la « Jeune Belgique ».
D’où l’utilisation comme emblême, qui est le logo interne de notre Organisation encore aujourd’hui, de cinq flambeaux dont les flammes se rejoignent. Pas plus THIRIART que le PCN ne font référence aux divers mouvements ayant aussi porté l’appellation « Jeune-Europe » dans les Années 1919-1945, comme certains ont pu l’écrire erronément et dans un but de diffamation. Et en particulier au mouvement français « Jeune-Europe » de 1941-44. Dans « LA NATION EUROPEENNE » de février 1969, THIRIART a explicitement condamné la Jeune-Europe de 1941 et l’escroquerie politique et morale qu’elle représentait, notamment vis-à-vis des jeunes idéalistes qui avaient cru au mirage de l’Europe allemande.
* Question – Karel Huybrechts : Quelle est la position de THIRIART sur la pseudo « Europe allemande » exaltée par certains idéologues du IIIe Reich ?
Luc MICHEL : THIRIART a, au cours de son action politique, toujours condamné clairement et nettement l’Europe allemande comme une « escroquerie politique ». Condamnation sans appel ! En 1964 particulièrement dans les colonnes de l’hebdomadaire « JEUNE-EUROPE » (n°176, 27 mars 1964), il écrivait ce qui suit : « Il existe hélas toute une faune intellectuelle qui croit lutter pour l’Europe en ressassant toute une collection de souvenirs littéraires du Fascisme ou du National-socialisme (…) je dois mettre en garde de façon formelle des jeunes contre l’erreur capitale qui consisterait à confondre l’Europe unitaire national-communautaire que nous construisons avec la succession de l’Europe allemande. Je suis fréquemment effrayé par la fascination qu’exerce le romantisme d’une hypothétique Europe national-socialiste qui n’a en fait jamais existé. Nous avons connu de 1940 à 1945 une Allemagne national-socialiste, mais pas une Europe national-socialiste. Ce fut d’ailleurs toute la tragédie historique. Hitler préférait suivre les conseils de Sauckel plutôt que de l’intelligent Otto Abetz. L’Europe de Hitler de 1944 était aussi illusoire que l’Europe Atlantique de 1964 (…) Le National-socialisme a été le dernier et gigantesque phénomène du nationalisme allemand mais en aucun cas n’a été le premier phénomène de l’Europe (…) Le littérarisme pseudo-européen qui cherche à plonger les racines de l’Europe dans la mythologie fasciste rend un très mauvais service à notre cause. Le littérarisme nostalgique doit être combattu qu’il soit le fait de jeunes qui croient découvrir une révolution – qui n’était pas européenne – ou qu’il soit le fait d’anciens collabos qui veulent vider leur bile ».
* Question – Karel Huybrechts : Un autre mythe, que vous qualifiez d’ « absurde », est celui du « passage de THIRIART au Trotskysme » ?
Luc MICHEL : Je tiens évidemment à dégonfler cette autre baudruche : le mythe du « passage de Jean THIRIART au Trotskisme » à la fin des années 30. Cette fausse information, absurde, est due à l’origine au journaliste belge Manuel ABRAMOWICZ. Et elle est notamment propagée par certains groupuscules barbouzards franco-belges.
Lorsque je dis que s’il s’agit d’un mythe absurde, c’est bien entendu parce que Jean THIRIART considérera toujours Staline comme l’une des grandes références politiques du XXe siècle et l’une des grandes figures politiques du siècle. THIRIART insista toujours sur le fait qu’il était « de tempérament un stalinien ».
ABRAMOWICZ est lui issu des milieux trotskistes et sionistes de gauche. Il a milité notamment à la « Jeune garde socialiste », la JGS, qui était l’Organisation de jeunesse après 1960 de la mouvance trotskiste belge de tendance pabliste. ABRAMOWICZ en a donc déduit, de façon tout à fait fausse, que le JGSU d’avant 1940 était elle aussi trotskiste.
En fait, la JGS était socialiste, sociale-démocrate, jusqu’au milieu des années 30. Elle passa sous le contrôle du Komintern sous le nom de « Jeune Garde Socialiste Unifiée » après 1935 dans le cadre de la ligne tactique dite de « Front populaire », c’est dans celle-ci que THIRIART fit ses premières armes militantes.
La JGS redevint de 1945 à 1960 l’Organisation de jeunesse du « Parti socialiste belge ». Largement infiltrée par les Trotskistes au milieu des Années 50, ceux-ci s’emparent de la direction de la JGS lors de son Congrès national de 1954, celle-ci fut exclue des rangs de la mouvance socialiste belge en décembre 1964, et devint alors l’Organisation de jeunesse trotskiste dans laquelle ABRAMOWICZ devait militer. C’est la rupture des Trotskistes belges avec le Parti socialiste. A partir du Congrès constitutif du « Parti wallon des travailleurs », à Charleroi le 21 février 1965, la JGS qui en devient l’organisation de jeunesse et l’ossature, est alors, et alors seulement, une organisation trotskiste.
* Question – Karel Huybrechts : Etonnante confusion !?
Luc MICHEL : La nouvelle génération trotskiste, celle d’après Mai 1968, ne connaît même pas, effectivement, sa propre histoire. C’est d’autant plus étonnant qu’il existe un livre remarquable, sur cette période, qui décrit tout cela en détail, préfacé par Alain KRIVINE, le dirigeant français de la IVe Internationale trotskiste. Il s’agit des mémoires de Georges DOBBELEER, un de ses leaders de l’époque, intitulées « SUR LES TRACES DE LA REVOLUTION. ITINERAIRE D’UN TROTSKISTE BELGE » (2).
Sur la couverture par ailleurs figure un document intéressant : l’auteur Georges DOBBELEER – nous sommes en 1960 et le style est resté celui des Années 30 – en uniforme de la JGS. La fameuse « chemise bleue », qui sera aussi celle de la FDJ est-allemande et celle de la Jeune-Europe de THIRIART en 1962-65 … Ceci pour ceux qui ont la mémoire courte ou sélective.
* Question – Karel Huybrechts : Dans les Années 1983-1990, le PCN affirme à plusieurs reprises qu’il n’est « pas une résurgence de Jeune Europe », qu’il « recueille de manière extrêmement critique l’héritage politique de Jeune Europe et que l’héritage assumé par le PCN ne se limite en aucun cas à cette Organisation ». Pourquoi cette distenciation ?
Luc MICHEL : Vous faites effectivement référence à la vision extrêmement critique que nous avons des premières années de notre Organisation transnationale entre le début des années 60 et le début de 1965, c’est à dire la période où notre Organisation portait le nom de « Jeune-Europe ». Il est exact que nous recueillons de manière extrêmement critique l’héritage politique de ces années-là. Vous n’ignorez pas que Jean THIRIART n’exerçait pas un contrôle absolu sur l’Organisation lors de ses premières années.
La période qui va de 1962 à 1965 et qui est précisément celle de « Jeune-Europe » voit en effet s’opposer deux lignes :
– une ligne révolutionnaire pan-européenne qui est dirigée par Jean THIRIART,
– et une ligne opportuniste et droitière belgo-française.
L’action de THIRIART, de 1961 jusqu’à la fin de 1964, visait à éliminer cette aile droitière. Il y parviendra avec un succès complet à la fin de 1964, où la ligne révolutionnaire s’impose comme seule expression de notre Organisation.
* Question – Karel Huybrechts : Ce qui explique le changement de nom en PCE début 1965 ?
Luc MICHEL : Oui ! THIRIART, et c’est extrêmement symbolique et révélateur, et malheureusement absolument pas souligné par la plupart de ceux qui ont étudié son action dans les années 60, change immédiatement le nom de l’Organisation début 1965 en « Parti Communautaire Européen », le PCE.
Ces changements de structures et d’orientations politiques, qui correspondent à une prise en main absolue de notre Organisation par la Ligne THIRIART, se traduit également dans notre presse puisque l’hebdomadaire « JEUNE-EUROPE » fait place rapidement à la revue « LA NATION EUROPEENNE », qui connaîtra également des éditions italienne et espagnole.
* Question – Karel Huybrechts : Le PCE de 1965-70 préfigure donc le futur PCN de 1984 ?
Luc MICHEL : Si nous sommes extrêmement critique en ce qui concerne la période « Jeune-Europe », puisque nous nous référons pour cette époque qu’à la ligne et aux enseignements de THIRIART, nous sommes en parfaite harmonie idéologique et politique avec le PCE et « LA NATION EUROPEENNE », dont le PCN a assumé, à partir de 1984, et en accord avec THIRIART lui-même, la majeure partie des orientations doctrinales, idéologiques et stratégiques. Avec le PCN, notre Organisation a connu une seconde jeunesse et un nouveau départ politique.
* Question – Karel Huybrechts : Que se passe-t-il entre 1969-70, qui voit la fin du PCE, et la naissance du PCN en 1983-84 ?
Luc MICHEL : A la fin des années 60, comme vous l’avez vécu de l’intérieur vous-même, notre Organisation est en crise. Il y a notamment une opposition très vive entre THIRIART et certains jeunes cadres français et italiens qui souhaitaient s’investir dans le mouvement étudiant issu du mai 68 européen et dans lequel THIRIART ne voit qu’un « accès de fièvre » dû à une jeunesse turbulente.
A partir de 1970, THIRIART, avec certains militants, se replie sur des activités de type syndical dans l’optique de revenir un jour sur le terrain politique.
Dans son dernier article pour « LA NATION EUROPEENNE », titré « L’Europe, un acte d’intelligence », en février 1969 (n° 30), il décrit clairement son projet, qui est de former hors de l’action militante un cadre politique pour revenir ensuite sur la scène révolutionnaire : « Pour écouler une voiture, il faut un bon vendeur, un bon représentant. Ce vendeur relève des techniques persuasives. Mais avant lui, il a fallu quelques dizaines de d’ingénieurs qui, eux, relèvent du domaine rationnel, logique. En ce moment même, des milliers de petits vendeurs proposent des tas d’Europe, dont pas une n’est en état de prendre la route, dont pas une n’a même été achevée sur l’épure. La principale conclusion, pour aujourd’hui, est la nécessité de la structuration d’un groupe indépendant de la clientèle électorale. Il y a très peu de chance de faire l’Europe à travers le raisonnement. Il y en a déjà plus à travers le raisonnement. Personnellement, j’estime néanmoins la persuasion comme une voie bouchée (…) La voie de la persuasion, c’est la voie de l’enlisement. Je pense quant à moi que l’unité européenne pourrait se faire par un mélange (variable selon la circonstance) entre la persuasion et la violence – avec une dose dominante de violence – et dans un « climat tragique – non pas dans l’actuel climat trivial. Ce sera un viol consenti après un moment d’émotion, ou plus exactement dans un moment de panique. Si cela se fait, cela ne pourra se faire par des marchands de voitures. Mais avant que cela ne se fasse, il faudra ouvrir quelques milliers de têtes à des concepts classiques de la politique de l’Etat, de politique d’intérêts, de la politique de pouvoir, de la politique laïque et lutter contre les fumées et les brouillards des politiques de contestation (le « socialisme » parlementaire en Europe ne peut exemple pris en passant – subsister qu’en parasitant le néo-capitalisme : c’est un phénomène-type de parasitisme-symbiose), des politiques sentimentales, des politiques « religieuses », des politiques littéraires vertuistes… Nous devons avoir sous la main une équipe de têtes convaincues de l’Europe-fusion (par opposition à l’Europe-addition) et préparées à une Europe-Etat ».
L’interview qu’il donna en 1975 aux « CAHIERS DU CDPU », une revue universitaire de tendance nationale-révolutionnaire, la seule interview de THIRIART dans les années 70, notamment sa conclusion, si vous la relisez, vous donnera aussi de nombreuses clés de ce qui est alors sa démarche.
Mais, et comme je l’ai souligné ailleurs, on ne pratique une opération d’entrisme dans un syndicat avec une Organisation politique qui est elle-même en sommeil, cela revient à l’euthanasier !
* Question – Karel Huybrechts : C’est ce que vous appelez à plusieurs reprises « les années noires » ?
Luc MICHEL : Avec raison. A la fin des années 70, notre Organisation, qui vit alors une crise profonde et oui, des années noires, n’est plus constituée que d’un petit réseau de militants de fidèles autours de THIRIART, qui diffusent certaines circulaires, et qui se sont investis dans des activités de type syndical.
A partir de la fin des années 70, THIRIART recommence à écrire publiquement et à énoncer ce qui vont devenir les thèses euro-soviétiques , qui seront popularisées par mes Editions MACHIAVEL à partir de 1982 et par le PCN après 1984.
* Question – Karel Huybrechts : Comment s’est fait le nouveau départ avec le PCN et votre arrivée aux commandes ?
Luc MICHEL : La réorganisation du Communautarisme européen autour du PCN et avec la création de celui-ci, s’est faite bien entendue avec l’accord et l’aide de THIRIART. Ce nouveau départ s’est fait sur un accord politique très simple.
THIRIART ne souhaitait plus s’engager dans l’activisme politique et son entourage familial, aussi bien son épouse que ses enfants, qui avaient extrêmement souffert de son engagement total des années 60, le confirmait dans ce choix. Je ne voulais pas de mon côté voir mon leadership contesté sur la partie militante de notre activité.
Nous avons donc pris un accord qui n’a jamais posé aucun problème, ceci jusqu’au décès de THIRIART. THIRIART écrivait sans aucune censure dans la presse et dans les éditions de notre Organisation, et moi je dirigeais celle-ci sans qu’il intervienne publiquement dans mes décisions ou les orientations que je faisais adopter.
* Question – Karel Huybrechts : THIRIART a pourtant souvent aidé directement le PCN ?
Luc MICHEL : THIRIART, bien entendu, n’a pas hésité à plusieurs reprises à s’impliquer dans nos activités ; il a notamment – exemples parmi beaucoup d’autres – participé au dépôt de nos listes électorales à Bruxelles en 1985, organisé la couverture médiatique en 1985 de l’occupation de l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles par nos militants à l’occasion du quarantième anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki.
Il nous a également fourni une importante aide financière et matérielle au cours des premières années de notre activité et à joué un rôle de conseiller politique écouté.
* Question – Karel Huybrechts : Qu’entendez-vous par le fait que le PCN assume un héritage beaucoup plus vaste que celui de « Jeune-Europe » et du PCE ?
Luc MICHEL : Votre question sur le fait que l’héritage assumé par le PCN est beaucoup plus vaste que celui de « Jeune-Europe » et du PCE est intéressante ! En effet, j’ai personnellement, et c’étaient des préoccupations qui intéressaient peu THIRIART dans les années 60, veillé à établir la généalogie de notre Communautarisme européen et de notre Organisation. J’ai notamment en 1985 publié « LE PARTI HISTORIQUE REVOLUTIONNAIRE », où j’expliquais la filiation qui nous liait aux Jacobins, aux révolutionnaires socialistes du XIXème siècle, aux révolutionnaires russes et italiens, aux théories de GRAMSCI sur le « Prince collectif ». Et bien entendu, j’ai établi la filiation qui nous lie directement au Parti bolchevique, esquissé par Lénine dans « QUE FAIRE ? ». Et au KOMINTERN transnational et à ses « Brigades internationales » de la Guerre d’Espagne. (3)
Le parti issu de « QUE FAIRE ? » est en effet la matrice d’où le PCN est directement issu. Et en ce sens, nous assumons également l’héritage du Parti bolchevique et du KOMINTERN, avec son modèle d’organisation révolutionnaire transnationale. C’est le plus souvent passé sous silence par les observateurs de notre action politique en Europe occidentale.
* Question – Karel Huybrechts : Une question sur certaines influences idéologiques maintenant. Certains observateurs ont écrit qu’ il y aurait « une nette influence du livre de Jean-Pierre FAYE, LANGAGES TOTALITAIRES », qu’en « lisant les textes de THIRIART, remontant à la période du « national-bolchevisme européen » après 1980, lui aussi avait été marqué par la parution en 1979 de la thèse de Louis DUPEUX sur le national-bolchevisme de Weimar ». Est-ce une impression fausse, erronée, ou non ?
Luc MICHEL : Cette impression est, en ce qui concerne Jean THIRIART lui-même, absolument fausse. Votre interprétation par contre n’est pas inexacte en ce qui me concerne notamment. Dans les années 60 on ne parlait pas bien entendu de « national-bolchevisme ». A part justement dans notre presse !
Dans les faits même, THIRIART a esquissé une synthèse idéologique qui s’inscrivait dans la droite ligne du national-bolchevisme russe et allemand des années 20 et 30, mais il s’agissait d’une synthèse volontariste et non pas de l’imitation du passé.
Lorsque certains politologues comme Jean-Yves CAMUS, évoque le « national-bolchevisme de THIRIART » dans les années 60, ils commettent une grave erreur d’interprétation. THIRIART évoque souvent le « National-communisme » à partir du milieu des années 60 ; il n’entend pas par là sa propre Organisation, mais bien les tendances qui se développaient à cette époque en Europe de l’Est, en Roumanie, en Pologne, en RDA, en Yougoslavie et également en Russie, et il y voyait l’apparition d’un phénomène politique qu’il mettait en rapport avec sa propre action politique. Dans la conception de THIRIART, le « national-communisme » était alors la version est-orientale de l’idéologie politique qu’il développait à l’Ouest sous le nom de « Communautarisme européen ».
THIRIART n’a pas était influencé ni par Jean-Pierre FAYE, ni par la thèse de DUPEUX. C’est en fait moi qui les lui ai fait découvrir au début des années 80. Il y a vu, avec intérêt, des livres sur des idéologies parentes de son Communautarisme européen.
Dans mon INTERVIEW A KORNEL SAWINSKI (Pologne, 2010) (4) et dans la THESE LARBANOIS (Université de Liège, 2004) (5), je m’explique longuement sur la découverte dans les années 60 par notre Organisation de NIEKISCH, puis de celle de l’EURASISME, toujours par nous, au milieu des années 80. THIRIART a d’autant moins été influencé par FAYE que c’est lui qui le premier redécouvre et parle du National-Bolchevisme allemand et de Ernst NIEKISCH, dans sa revue L’EUROPE COMMUNAUTAIRE en 1965, soit sept ans avant que FAYE ne publie ses LANGAGES TOTALITAIRES…
* Question – Karel Huybrechts : Et en ce qui vous concerne ?
Luc MICHEL : Le livre de Jean-Pierre FAYE « LANGAGES TOTALITAIRES » a par contre eu une influence importante sur toute une génération politique. Le premier qui y fait référence publiquement est d’ailleurs Yannick Sauveur dans une étude méconnue réalisée dans le cadre de ses études à l’université de Paris Sorbonne. Sauveur y explique que l’idéologie de l’ « Organisation Lutte du Peuple » est la version moderne du National-bolchevisme des années 20.
L’OLP est une organisation dans les Années 70, non issue ou liée à notre Organisation transnationale. Mais qui avait repris et déformé – une partie des thèses de THIRIART.
J’ai moi-même été influencé fort jeune par la lecture du livre de FAYE, au milieu des Années 70, où je cherchais un débouché politique à un activisme dont je percevais déjà les limites.
* Question – Karel Huybrechts : Vous avez rencontré FAYE lui-même en Libye, je crois ?
Luc MICHEL : Pour l’anecdote, j’ai pu effectivement m’entretenir longuement avec Jean-Pierre FAYE en avril 1997 en Libye, à l’occasion d’un Symposium sur la globalisation qui s’est tenu à Tripoli et Syrte. FAYE me fit part de sa surprise de découvrir qu’un courant politique s’inscrivait dans la perspective de ses recherches de l’époque.
* Question – Karel Huybrechts : Quel était le but de cette encontre internationale ?
Les 13 et 14 avril 1997 était organisé à Tripoli en parallèle au « Festival de Printemps pour la Paix », un « Symposium contre la mondialisation et l’hégémonie », auquel participaient des délégations venues du monde entier. Parmi les personnalités présentes figuraient notamment une centaine d’ambassadeurs arabes et africains, dont des diplomates de l’UNESCO, Roger GARAUDY, Me Marcel MANVILLE, cofondateur du MRAP et ancien collaborateur de Frantz FANON, le professeur René CHARVIN¸ le leader africain Kenneth KAUNDA, le père du Panafricanisme, le Dr KASSIRE, ancien premier ministre du Tchad et de nombreux intellectuels et militants politiques venus des quatre continents, dont une importante délégation de l’Opposition patriotique russe et une délégation belgo-franco-hongroise du PCN. La délégation russe, représentative de l’Opposition nationale-patriotique d’alors, comptait notamment dans ses rangs Alexandre PROKHANOV , Rousslan KASBULATOV, Alexandre DOUGUINE et un ministre représentant du gouvernement tchétchène. PROKHANOV est le directeur de « ZAVTRA », la principale revue intellectuelle de l’Opposition patriotique russe unie, il était aussi le co-président du « Conseil de coordination des forces patriotiques », dont faisait partie le KPRF de ZOUGANOV, et l’un des artisans de la politique de « Front du Salut National » en Russie depuis 1992. KASBULATOV était le président de la Douma , le parlement russe lors des événements d’Octobre 1993 à Moscou. Jean-Pierre FAYE faisait partie des invités français.
Le but était, évidemment, d’apporter un soutien à la Jamahiriya libyenne alors frappée par un embargo international dévastateur et à un isolement politique et diplomatique.
* Question – Karel Huybrechts : FAYE prétend aujourd’hui le contraire sur la nature et le contenu de vos entretiens ?
Luc MICHEL : Oui. Dans une interview donnée en 2006 et publiée en 2008, dans un livre confus, où on l’interrogeait sur cette rencontre en Libye. Parlons franchement. FAYE est le prototype de l’intellectuel parisien. Arrogant, prétentieux. Et lâche ! En Libye, il n’était pas apprécié. Nous avons longuement discuté. Et il n’a jamais contesté notre version des faits pendant 13 ans. J’ajoute qu’il y a de nombreux témoins encore en vie. Dans cet entretien de 2010 il évoque aussi une photo, publiée sur ma page Facebook. Où nous discutions ensemble en Libye.
Il affirme que cette photo, prise lors d’un repas à Tripoli (Libye) où règne un climat détendu et amical, aurait « été prise à son insu ». Je précise que je possède plusieurs photos du même dîner. Et que la table est constituée aussi entre autres de Roger Garaudy et de Me Marcel MANVILLE, avocat, fondateur du MRAP – Le Mouvement Contre le Racisme et pour l’Amitié des Peuples.
* Question – Karel Huybrechts : Dans cet entretien de 2006, publié en 2008, FAYE évoque aussi Ernst NIEKISCH et dresse un parallèle entre NIEKISCH et vous (6).
Il y écrit ce qui suit à propos de NIEKISCH et de vous : « J’ai rencontré cet idéologue [Luc Michel] qui avait découvert dans mon livre, m’a-t-il dit, la folle « pensée » de NIEKISCH (…) [Ceci] m’a donné au passage l’occasion d’observer in vivo à quoi pouvait ressembler un « national-bolchevique », dans sa paranoïa en acte. Mon interview de NIEKISCH (…) en donne une approche au passé » …
Luc Michel : Effectivement. Que vous dire de plus là-dessus ? Sinon que ce parallèle, je le prend, moi, d’où il vient et comme un titre d’honneur ! Etre un « idéologue national-bolchevique » dans la ligne du grand révolutionnaire allemand NIEKISCH et lui être comparé étroitement, comme images-types du passé et du présent de notre courant idéologique, est un honneur. FAYE rend ici l’hommage du vice universitaire à la vertu révolutionnaire.
J’ajouterai que l’antipathie entre FAYE et moi est mutuelle et réciproque. J’ai peu d’indulgence pour la lâcheté et encore moins pour la malhonnêteté, intellectuelle ou autre …
* Question – Karel Huybrechts : FAYE affirme encore en 2006 qu’il aurait été « seul à redécouvrir NIEKISCH dans les années 60 ». Contrairement à votre « version » de 1997 ?
Luc MICHEL : Soyons précis ! FAYE affirme en 2006, avec arrogance, ce qui suit : « la prétention de ces « nationaux-bolcheviques » est risible (…) Quant à Jean Thiriart, dont le nom s’était effacé pour moi, j’en ai lu un bouquin minable (…) que j’avais acheté par hasard dans une boutique de produits végétariens ! Bien entendu, ce n’est pas ce bouquin qui m’a conduit à entrer dans l’exploration critique de l’histoire la plus tragique du siècle dernier » (6).
Les souvenirs sont vagues et s’ « effacent », mais les pièces et les faits sont précis. FAYE ment ! Pour la petite histoire, et nous sommes peut-être en face du serpent qui se mord la queue, il me dit à Tripoli en 1997 avoir commencé à écrire ses « LANGAGES TOTALITAIRES » au milieu des années 60, après avoir découvert des textes qui sont probablement ceux de THIRIART à l’époque de « Jeune-Europe ».
Jugeons donc les affirmations opposées et les deux versions sur pièces, sur les écrits et leurs dates incontestables de publication. La première mention de NIEKISCH dans une revue francophone est de 1965. Et c’est dans une des revues de notre organisation, L’EUROPE COMMUNAUTAIRE (publiée depuis 1963, par THIRIART puis par le PCN). Notre Revue devait évoquer pour la première fois, hors d’Allemagne, le National-bolchevisme allemand et la figure de NIEKISCH dans un article de 1965 : « La pensée philosophico-politique à travers l’œuvre de Ernst Jünger », paru dans le n° 19 de juin-juillet 1965 (7) !!! L’article, soulignons le, y place déjà Jünger et NIEKISCH, « représentant du communisme national en Allemagne », dans la perspective politico-idéologique qui sera, ensuite, celle de Thiriart, de FAYE, de DUPEUX, puis la mienne.
… Soit sept ans avant les LANGAGES TOTALITAIRES de Jean-Pierre FAYE (publié en 1972), son autre publication sur le même sujet étant de 1976, et son INTRODUCTION AUX LANGAGES TOTALITAIRES (en fait un résumé) de 2003. Et notons le, onze ans avant les travaux de DUPEUX (dont la thèse est publiée en 1976) (8) …
* Question – Karel Huybrechts : C’est vrai qu’il y a un véritable « complot du silence » dans le monde universitaire francophone pour dissimuler le rôle avant-gardiste de votre Courant, le Communautarisme européen, dans la recherche idéologique. On voit le même rideau de silence étendu sur la découverte du « Néo-Eurasisme » par vos publications doctrinales au milieu des Années 80 …
Luc MICHEL : Vous avez tout à fait raison. Derrière la recherche historique ou idéologique, il y a en fait des enjeux politiques évidents. Les polices politiques en sont bien conscientes, qui ont envahi le domaine universitaire. Les sectes aussi. Nos ennemis appartiennent aux deux.
Mais il y a aussi, fort heureusement, des universitaires et des chercheurs honnêtes, qui ont brisé le mur du silence sur notre rôle initiateur. Ainsi, Jean-Marc LARBANOIS, dans son Mémoire sur le PCN, défendu à l’Université de Liège, en 2004, écrit ce qui suit sur les travaux de notre revue CONSCIENCE EUROPEENNE sur le Néo-Eurasisme : « … un sujet, à l’époque, complètement ignoré dans l’espace francophone, c’est-à-dire : l’Eurasisme. Cette idéologie va faire son grand retour en Russie, après la chute de l’URSS, dans les milieux nationalistes, nationaux-communistes, nationaux bolcheviques et traditionalistes, ainsi que dans certains cercles militaires. Voilà ce que préfigure de façon très nette les théories de Thiriart et des nationaux-bolcheviques du PCN ». C’est en effet en 1984 que notre revue CONSCIENCE EUROPEENNE devait publier la première étude moderne sur l’Eurasisme, le groupe JALONS, OUSTRIALOV, etc. (9) Ceci pour remettre à leur place certains intellectuels littéraires parisiens qui prétendent avoir « découvert » (sic) tout ceci dans les Années 1987-92.
Autre exemple, Marco Montanari , dans son « introduction à l’édition italienne » du livre ETAT ET PUISSANCE / DHERZAVA de Gennadij Ziuganov, en 2000 : « ZOUGANOV a recueilli, renouvelé et développé la leçon de Jean THIRIART, qui dans les dernières années de sa vie avait travaillé à un traité de géopolitique qui devait avoir pour titre « L’Empire euro-sovietique de Vladivostok à Dublin ». Avant de mourir, en 1992, le fondateur de « Jeune Europe » a rencontré Zouganov à Moscou et avait eu avec lui de longues conversations. « Etat et Puissance » est le résultat des ces entretiens entre Zouganov et THIRIART » (10).
* Question – Karel Huybrechts : on reste abasourdi devant le nombre de thématiques idéologiques novatrices, découvertes ou redécouvertes, redéfinies, revêtues de neuf, par votre Courant. Et en particulier par THIRIART, José QUADRADO COSTA et vous-même dans les Années 80, avec votre « Ecole Euro-soviétique ». Je pense en particulier au grand retour politique du National-bolchevisme ou du National-Communisme dès 1983, avec le PCN …
Luc MICHEL : C’est encore exact. C’est ici un journaliste belge, Manuel ABRAMOWICZ, qui dans l’Hebdo bruxellois à grand tirage « TELE-MOUSTIQUE », en septembre 1993, a rompu le premier le mur du silence. ABRAMOWICZ écrit ce qui suit, à l’occasion d’un phénomène médiatique que l’on a nommé « l’été du national-bolchevisme » (1993) : « Le phénomène « national-bolchevique » est né et s’est structuré, il y a plus de dix ans, au cœur de notre Pays noir (ndla : le nom du pays de Charleroi, ville minière ouvrière, où est né le PCN et Luc MICHEL lui-même). Les nationaux-bolcheviques du PCN ont rhabillé de neuf une théorie paneuropéenne, dont se réclament d’autres mouvements politiques » (11). Avant ABRAMOWICZ, il y avait déjà eu Christophe BOURSEILLER et son livre à succès « LES ENNEMIS DU SYSTEME » …
* Question – Karel Huybrechts : Et c’est encore vous, seul cette fois, qui théorisez le thème de « l’Axe Paris-Berlin » !
Luc MICHEL : Encore exact ! Ce concept, qui est repris aujourd’hui dans de très nombreux milieux influents, celui de l’axe Paris-Moscou ou Paris-Berlin-Moscou, c’est directement les idées de THIRIART redéfinies, redéployées par moi en fonction de la disparition de l’URSS.
Ce concept a été développé publiquement pour la première fois à propos de THIRIART et du PCN dans un livre qui a été consacré en 1993 au NATIONALISME RADICAL EN FRANCE par un auteur qui a disparu depuis et qui s’appelle Philippe HERTENS. Le chapitre qui est consacré au PCN s’intitule « Paris-Moscou, les nationaux communistes ». Le thème de l’axe Paris-Moscou a été repris de ce livre. C’est un livre de 1993 aux éditions De Magrie (12). Il a été développé aussi par Henri DE GROSSOUVRE, notamment, mais dix ans après.
* Question – Karel Huybrechts : Sur ce sujet, à mon sens, le plus spectaculaire est l’influence de votre Courant idéologique à l’Est et particulièrement en Russie. Dans votre « Entretien avec Kornel Sawinski » on évoque particulièrement les « analyses du Dr Alexander YANOV qui faisait en 1996 de THIRIART l’inspirateur des thèses d’ANDROPOV et de la « Fraction nationale-patriote » du PCUS (…) Une analyse qui rejoint vos thèses et fait de THIRIART le père idéologique occulté du renouveau russe ». Je voudrais revenir sur ce sujet et vous demander quelques précisions…
Luc MICHEL : Il y a effectivement une étonnante analyse, extrêmement bien documentée, publiée aux USA en 1996 sous le titre « The Puzzles Of Patriotic Communism, Gennadi Zyuganov, The Russian Milosevic? » (Boston University, USA) (13) par le Dr Alexander YANOV, un analyste lié aux Instituts de recherche américains, et alors bien connu à Moscou. Précisons tout d’abord que le Dr Alexander YANOV n’est pas n’importe qui. C’est un des meilleurs soviétologues de l’époque. C’est un analyste politique amplement publié en Union soviétique dans les années 50 et 60, il a avec succès défendu sa thèse sur « Les Slavophiles et Constantin Leontyev » en 1970. Il connaît donc bien l’arrière-plan idéologique de l’Eurasime. En 1974, après que son « HISTOIRE DE L’OPPOSITION POLITIQUE EN RUSSIE » fut envoyée en Occident, « attirant l’intérêt intense du KGB, on lui a offert le choix entre l’émigration ou la prison ». Il a écrit de nombreux livres et articles, principalement : « La détente après Brejnev : les racines intérieures de la politique étrangère soviétique » (1977) ; « Le drame des années 60 soviétiques : Une réforme perdue » (1984) et « Le défi russe et l’année 2000 » (1987). L’Université de Boston disait de son œuvre en 1996 que « ces ouvrages constituent non seulement le traitement qui fait le plus autorité sur le fil « patriotique » dans la politique contemporaine russe mais une unique approche à l’étude de l’histoire russe »
* Question – Karel Huybrechts : Et Dr Alexander YANOV, spécialiste reconnu des mondes soviétique et post-soviétique, évoque THIRIART et vos thèses ? Qu’en dit-il ?
Luc MICHEL : Celui-ci appuie indubitablement ma thèse sur d’une part l’influence primordiale de THIRIART comme inspirateur des thèses néo-eurasistes et d’autre part sur leur diffusion par le canal de ZIOUGANOV et pas de DOUGUINE. Dont le rôle a été surestimé par Marlène LARUELLE, la spécialiste universitaire du sujet, prise d’empathie, comme jadis TAGUIEFF pour Alain de Benoist. L’auteur y étudie la montée de la Fraction nationale-patriote – opposée à la fraction libérale partisane de la détente – au sein du PCUS depuis 1970, son échec avec la mort d’Andropov, sa résurrection avec le KPRF et ZIOUGANOV. Il y oppose deux Perestroïka : l’une, nationaliste, qui a échoué en Russie à cause de la mort prématurée d’ANDROPOV, mais qui plus tard a réussi en Yougoslavie avec MILOSEVIC – d’où le titre de son analyse – à l’autre, libérale, engagée par GORBATCHEV.
En pages 14 et 15, Jean THIRIART, malgré quelques graves erreurs d’appréciation de l’auteur, y est présenté comme l’inspirateur direct au début des Années 80 d’Andropov et de cette Fraction nationale-patriote du PCUS. Ce qui vous confirme aussi par ailleurs mes dires sur la diffusion de nos thèses dans l’intelligentsia soviétique du PCUS dans les années 80.
Ecoutons directement ce que dit le Dr Alexander YANOV de la Fraction nationale-patriote du PCUS et de l’influence de THIRIART sur celle-ci dès 1980 dans « Les puzzles du communisme patriotique : Gennadi Ziouganov, le Milosevic russe ? » : « Leur logique était simple et irrésistible : un empire militaire ne peut pas survivre sans un ennemi et une confrontation permanente. Il n’était simplement pas désigné pour la paix. La détente somnolente brejnévienne le tuait. Non seulement, les « patriotes » avaient la bonne réponse au malaise impérial : c’était la seule bonne réponse (…) Jean Thiriart, s’adressait à Andropov au début des années 80 dans son traité L’Empire euro-soviétique de Dublin à Vladivostok, destiné à devenir le manuel géopolitique des « patriotes » russes modernes. » YANOV cite directement Jean THIRIART : « Voici les thèses centrales de Thiriart : (…) « Les maîtres du Kremlin font face à un choix historique. La géopolitique et la géostratégie forceront l’URSS soit à créer une Europe soviétique soit à cesser d’exister comme grande puissance. » (…) ». Et il conclut : « La perestroïka nationaliste, victorieuse quelques années plus tard en Serbie, a été vaincue en Russie parce qu’en février 1984 les « patriotes » russes ont perdu leur Milosevic. Dévastés par cette perte, mis dans l’incapacité et démoralisés, ils se sont retirés aux marges de la politique soviétique, dégageant la voie pour une perestroïka libérale ». Et l’auteur ajoute, soulignant le caractère déterminant des thèses de THIRIART, que « Les seules nouvelles idées capables d’inspirer les Russes sans détruire l’empire furent celles du nationalisme impérial (exactement les mêmes que celles qui furent utilisées à la fin des années 80 par Slobodan Milosevic) »
* Question – Karel Huybrechts : Pourriez-vous encore préciser la place de MILOSEVIC dans cette analyse ?
Luc MICHEL : Une précision de départ tout d’abord. Les politologues sérieux, pas les flics de la pensée politique des Universités franco-belges, classent dans une même catégorie, qu’ils nomment le « National-communisme », des mouvements politiques comme le KPRF russe, le régime de LUKASHENKO au Belarus ou encore le SPS de MILOSEVIC ou la JUL, la « Gauche Unie Yougoslave » de Mirjana MARKOVIC. ET bien entendu notre PCN, qui idéologiquement et politiquement, les a tous précédé de presque une décennie. Lorsque nous étions représentés au Parlement Wallon, en Belgique, dans les Années 1996-98, la questure nous avait étiquetés « national-communistes ».
MILOSEVIC est le produit d’un processus collectif et d’une stratégie politique. Dans son livre MILOSEVIC, UNE EPITAPHE (14), l’éditeur serbe Vidosav STEVANOVIC, un adversaire radical du président yougoslave, analyse cet aspect méconnu de l’histoire : « L’ascension de Milosevic a quelque chose de fabriqué et de prémédité. Il ne s’est pas imposé tout seul. Quelqu’un l’a choisi et proposé aux cercles les plus fermés du Parti, de l’armée et de la police. Ce quelqu’un, c’est son frère aîné Borislav, policier professionnel, diplomate à l’occasion. Il a passé un an à Moscou dans le cadre d’une formation secrète; or, là-bas, tout ce qui est secret est lié au KGB. Ceux qui ont reçu la même formation ou qui partagent les mêmes idées sont nombreux en Yougoslavie: ce sont des adeptes cachés d’un stalinisme imprégné de slavophilie et d’orthodoxie. Les académiciens n’ont pas été seuls à rédiger le Mémorandum: d’autres conjurateurs l’ont préparé ».
Il y a une interaction entre les nationaux-patriotes russes et ceux de Yougoslavie. Une même volonté de renouvellement idéologique. Une même angoisse de préserver à la fois l’Etat et le système socialistes, étroitement liés. Et un même front politique et idéologique contre les libéraux pro-occidentaux. La mort d’ANDROPOV, le « Milosevic russe » selon le Dr YANOV, a fait que les Russes ont échoué là où les Yougoslaves ont réussi. Les « Gorbatchev » yougoslaves ayant perdu la bataille vers 1987-88.
Evoquent le coup d’état de 1991 à Moscou, Vidosav STEVANOVIC précise ce qui suit : « Les premiers jours, les hommes de Milosevic fêtent publiquement la « victoire des forces saines »; dans les bureaux du gouvernement, les bouchons sautent. Puis, c’est la déception. Le putsch en Union soviétique est un échec. Mais les alliés d’aujourd’hui et de demain, communistes et nationalistes, sont bien vivants. Le frère aîné maintient un contact permanent avec eux » (…) Milosevic garde un œil sur l’Union Soviétique. Les communistes et les nationalistes vont-ils s’y allier à temps et sauver l’empire qui vacille? Si cela n’a pas lieu, il leur donnera l’exemple en créant, sur les bases renouvelées du national-communisme, une petite royauté expérimentale dont il sera le cœur. »
Et ce sera la mise sur pied de la nouvelle Yougoslavie, la troisième, celle de Milosevic, que certains, comme moi, ont appelé « le laboratoire du national-communisme ». STEPANOVIC évoque « les communistes, du moins ceux de Belgrade (…) restés fidèles a eux-mêmes (…) Ceux-ci, grâce a la contre-méthode de leur leader combinent toutes ces résistances et ces idéologies en une même composition chimique de forte puissance. Dans une sorte de néonationalisme, produit dans les laboratoires du régime et distribué gratuitement par les medias. »
* Question – Karel Huybrechts : Effectivement ces précisions sont éclairantes et expliquent les thèses du Dr Alexander YANOV. Vous avez aussi développé des thèses intéressantes sur cette opposition entre fractions libérales pro-occidentales et fractions socialistes lors de l’effondrement des régimes socialistes à l’Est à partir des Années 80, ce que l’on appelle le « processus de transition » ?
Luc MICHEL : Vaste sujet, que je vais essayer de vous synthétiser. Le « processus de transition » répond à un concept à la fois économique et politique. Qui est la notion centrale du passage des économies socialistes à l’économie libérale-capitaliste mondialisée. Ce processus d’ailleurs dépasse très largement l’économie pour concerner l’ensemble du passage de l’ancienne société à l’économie capitaliste et à l’état libéral. Un processus global donc à la fois économique, politique, social et culturel. La « mise au pas » – pour employer le vocabulaire du IIIe Reich – d’une nation au diapason du monde libéral américanisé ! Partout à l’Est, ce processus a été réalisé. Sauf au Belarus, où le président Lukashenko l’a à partir de 1996 arrêté et inversé, maintenant l’Etat socialiste dit « post-soviétique ». Ce qui explique la haine de l’Occident pour l’homme d’état de Minsk. Et sauf en Yougoslavie jusqu’en 2000 et le renversement de Milosevic par un coup d’état rampant pro-occidental.
On l’ignore souvent, mais la Yougoslavie, celle de Tito agonisante des Années 80, a été aussi le laboratoire de la liquidation du Socialisme à l’Est. Précisément avant que Milosevic et ses partisans y mettent un coup d’arrêt. Borislav Jovic, l’homme de Milosevic qui représentait alors la Serbie a la Présidence yougoslave, déclare : « Nous ne sommes pas la Roumanie : l’armée, la police et le peuple sont de notre côté ». « A Belgrade, grâce a la contre méthode de Milosevic, quelque chose d’autre a lieu en effet qu’on pourrait appeler le contre-glasnost, précise Vidosav STEVANOVIC. Le mot « peuple » remplace le mot « classe » sur lequel reposait tout l’idéologie marxiste. Cela suffit pour arrêter la marche de l’Histoire. »
L’analyse de Vidosav STEVANOVIC est importante pour expliquer et comprendre. A la fois parce qu’elle vient d’un partisan de l’Occident et d’un adversaire de Milosevic et parce qu’elle met, involontairement, l’accent sur ce qui s’est véritablement passé alors en Yougoslavie. L’émergence de Milosevic, la naissance de la Troisième Yougoslavie et le coup d’arrêt donné à la marche du capitalisme et de l’OTAN, ce n’est pas une question relative au nationalisme. C’est tout autre chose. Et le nationalisme n’a été qu’un instrument. Aux mains de l’Occident pour démembrer la Yougoslavie en soutenant les nationalismes centripètes mortifères. Mais aussi un instrument aux mains de Milosevic pour maintenir l’Etat et le système socialistes. « A ce moment, la Yougoslavie, déstabilisée, ne se pose sérieusement qu’une seule question : comment sortir du socialisme ? précise STEVANOVIC. Le socialisme yougoslave se distingue de celui de ses frères de l’Est : plus libéral (…) les frontières sont ouvertes, le tourisme se développe, une partie de l’économie relève du secteur privé, l’autogestion signifie – du moins si l’on en croit ses théoriciens – que les entreprises appartiennent aux employés. Les ligues de communistes autorisent une sorte de glasnost discrète, les intelligentsias rouspètent et s’agitent. Tito est suffisamment présent pour maintenir tant bien que mal le système des crédits et l’oisiveté. Le processus de libéralisation du plus grand et plus riche Etat balkanique se déroulera peut-être plus facilement et plus rapidement qu’ailleurs. Il suffirait d’agir de façon raisonnable ». Mais la fraction socialiste de la Ligue des Communistes – le parti yougoslave – choisi Milosevic et celui-ci organise sa « contre-glasnost » : « Les événements se seraient déroulés ainsi si « l’homme fort de Belgrade » n’avait pas été là, précise STEVANOVIC. Milosevic, lui, soulève une tout autre question : comment préserver le maximum de « même » ? Comment sortir du socialisme en retournant au communisme ? » !
Vidosav STEVANOVIC explique aussi clairement le processus (pour le défendre) en œuvre au milieu des Années 80 en Yougoslavie : « Le pouvoir fédéral et son président libéral, Ante Markovic, tentent alors de réformer l’économie. La réforme de Markovic reposait sur quatre postulats : a) la mise sur pied d’institutions commerciales ; b) l’ouverture du pays au monde ; c) l’instauration d’un Etat de droit s’accompagnant d’un élargissement des droits de l’homme ; d) la démocratisation de la vie politique et l’introduction d’un système pluripartite… » « Il convient de préciser que ces postulats n’ont pas toujours été entièrement explicites ; dans le cas contraire, la résistance aurait vraisemblablement été plus forte, ajoute STEVANOVIC. La propriété publique- encore une des originalités de la Yougoslavie – devait être privatisée selon un processus appliqué plus tard avec succès en Pologne, en Hongrie et en Tchéquie. Les privatisations devaient se dérouler sur cinq ans. » Un processus que l’économiste Mladan DINKIC appelle « L’Economie de la destruction- Le grand pillage de la nation » (15).
Le processus de transition s’accompagne, comme partout ensuite, d’un volet politique : « Ce libéralisme économique s’accompagne d’une libéralisation politique. Le gouvernement fédéral ouvre ses portes au système pluripartite et autorise les républiques à l’instaurer selon leurs besoins et à leur manière. Il se montre cohérent avec lui-même, mais ouvre ainsi la boîte de Pandore de la folie balkanique. Les fantômes du passé – contenus un demi-siècle durant par une idéologie oppressive – refont surface, plus vigoureux et déments que jamais ». Dans le contexte balkanique, comme plus tard dans le Caucase, cela s’avérera criminel. Ce crime n’est pas celui de Milosevic. C’est celui de l’Occident, des USA, de l’OTAN, des politiciens de l’UE ! De ceux qui ont la boîte de Pandore yougoslave.
* Question – Karel Huybrechts : Vous évoquez aussi ce « processus de transition » à propos de la Libye de Kadhafi ?
Luc MICHEL : C’est effectivement le même processus qui a détruit la Jamahiriya libyenne de Kadhafi. Détruite sur un scénario qui rappelle étroitement la Yougoslavie et ce n’est pas un hasard. La Libye aussi, depuis 2003, avait une aile libérale, opposée à celle des socialistes patriotes. Celle rassemblée derrière Saïf Al Islam, qui a amené libéraux et islamistes (comme le président du pseudo CNT Abdel Jalil) au pouvoir. Il faut lire les pages révélatrices de Bernard-Henry Levy sur Saïf dans son dernier livre d’auto-propagande personnelle « LA GUERRE SANS L’AIMER », où il pose la question qui choque : « comment celui qui était des nôtres (l’expression est de lui) a-t-il pu rejoindre son père ? »… Là le régime a aussi été déstabilisé et attaqué de l’intérieur. Avant que les bombes, les armées et les mercenaires de l’OTAN et des USA ne viennent finir le travail. J’ai vécu de l’intérieur cette prise de la Libye, aux côtés de nos camarades socialistes du MCR. J’ai vu comment les illusions de Tripoli sur la coexistence pacifique et l’économie globalisée ont permis aux libéraux libyens de se constituer en Cheval de Troie et de préparer l’assaut extérieur.
Sur le processus de transition, au Belarus, en Yougoslavie et en Libye notamment, j’ai donné récemment une longue analyse intitulée “Le Modèle du Belarus comme alternative à la Globalisation”, à Minsk, le 5 mai 2011, à l’occasion de la Conférence internationale “THE PROSPECTS OF THE EASTERN PARTNERSHIP”. Elle a été filmée pour PCN-TV et est disponible sur son site (16).
* Question – Karel Huybrechts : Après ce long détour revenons à FAYE et DUPEUX. Que pensez vous de leurs travaux ? Vous vous êtes en effet montré fort critique sur DUPEUX et beaucoup moins sur FAYE …
Luc MICHEL : Je tiens aussi, parce que moi je suis un esprit scientifique et objectif, à souligner l’esprit novateur de Jean-Pierre FAYE, au sein de l’Université française, qui a soulevé une problématique, qui sera ensuite reprise dans une perspective limitée et intellectuellement malhonnête par les groupes universitaires français qui s’inspirent des travaux de DUPEUX.
Mais le sujet a aussi été également étudié par une école universitaire anglo-saxone plus ouverte et plus honnête, qui a examiné, avec notamment les politologues Argursky et Brandenberger, le National-bolchevisme russe. Le malheur de FAYE fut qu’il n’est pas un historien mais un linguiste et que les milieux de la recherche historique, s’ils ont largement pillé ses « LANGAGES TOTALITAIRES », notamment DUPEUX, n’ont jamais reconnu la dette intellectuelle qu’ils lui devaient.
* Question – Karel Huybrechts : Mais justement que pensez vous des travaux de DUPEUX ? Vous vous êtes en effet montré fort sévère sur les thèses de DUPEUX…
Luc MICHEL : Effectivement et avec de bonnes raisons ! (17) J’en viens donc à la thèse de DUPEUX. Cette thèse est une lecture incontournable – tout comme le livre de FAYE – pour la quantité impressionnante de textes et d’informations historiques qu’elle apporte aux lecteurs – il faut prendre la matière brute et laisser les interprétations erronées ou franchement malhonnêtes -. Mais elle n’a eu aucune influence sur notre courant et ceci pour une raison bien simple : parce que la perspective dans laquelle DUPEUX se place est combattue par la vision idéologique que nous avons de notre propre courant. DUPEUX inscrit en effet ses thèses dans le sillage des théories sur la pseudo « Révolution conservatrice », qui sont issues du livre du politologue de la Nouvelle droite allemande Armin MÖHLLER (18). Celui-ci, de façon arbitraire, a prétendu regrouper sous le nom de « Révolution Conservatrice » deux phénomènes qui pour nous s’opposent et divergent :
– d’une part, la droite conservatrice allemande, c’est à dire un milieu qui va des nationaux-socialistes jusqu’au conservateurs réactionnaires, racistes et anticommunistes des années 1860-1940,
– et d’autre part, l’apparition d’un phénomène de Nationalisme-révolutionnaire – le terme est forgé en 1919 par le communiste national Lauffenberg – moderne dans l’Allemagne des années 20 et 30, qui culmina avec le national-bolchevisme et dont les grandes figures sont des hommes comme NIEKISCH, Paetel ou encore Jünger.
La thèse de DUPEUX et de ses épigones est particulièrement malhonnête parce qu’elle s’arrête à la prise de pouvoir par Hitler en 1933. Et que les Années 1933-1950 changent toute la perspective développée par Dupeux ou Faye ! Que dirait-on d’une biographie du général de Gaulle qui s’arrêterait en 1938, où il est encore imprégné des idées du Maurassisme ?
Lorsqu’on étudie l’histoire des nationaux-bolcheviques et des nationaux-révolutionnaires sous le IIIe Reich, on voit que ceux-ci se sont opposés au Nazisme et ont pris une part prépondérante à la résistance active contre celui-ci. Le premier auteur qui a attiré l’attention sur ce fait est Gérard Sandoz dans son livre « L’AUTRE ALLEMAGNE », où il parle à propos des résistants nationaux-bolcheviques « comme ceux qu’il ne faut pas oublier » (19).
J’ai moi-même longuement étudié dans plusieurs travaux, cette résistance et son importance. Et j’ai placé celle-ci dans la perspective idéologique qui est aujourd’hui celle du PCN, c’est à dire non pas d’une « Révolution conservatrice », mais bien au contraire d’un combat contre les deux aspects du système que sont la Réaction et le bloc régimiste lui-même.
Vous noterez que les travaux universitaires anglo-saxons sur le National-bolchévisme russe, ceux d’Agursky (20) ou de Brandenberger (21) notamment – soigneusement occultés par l’Université française, alors que la thèse initiale d’Agursky a été défendue à Paris, mais jamais éditée en français ! – publiés depuis le début des Années 90 s’inscrivent dans la même perspective idéologique que celle ouverte par le PCN, précurseur indiscutable, au début des Années 80. Et infirment totalement les thèses de Möhler, DUPEUX ou de la Nouvelle Droite.
* Question – Karel Huybrechts : Revenons à THIRIART. Qu’est-ce qui a provoqué le retour à la politique de Jean THIRIART dans les années 80 ? Il y a certes les informations sur sa rencontre avec Yannick Sauveur ou vous-même, mais plus spécifiquement ?
Luc MICHEL : Comme je vous en ai déjà fait la remarque, et comme l’immense majorité des chercheurs qui ont étudié l’action politique et la vie de Jean THIRIART, vous ignorez complètement un des aspects principaux de celui-ci ; à savoir, que si THIRIART était un théoricien et un militant politique, il était aussi une grande figure du combat syndical.
Pendant toute sa vie, ses activités syndicales et ses activités politiques ont été menées souvent en parallèle et hélas, le syndicalisme a souvent pris le pas sur la politique. J’ai dévoilé cet aspect de la vie de THIRIART dès 1993 dans la brochure « IN MEMORIAM » (22), mais ceci a suscité peu d’intérêt.
* Question – Karel Huybrechts : Pouvez-vous nous rappeler tout celà ? Cela fait près de vingt ans et, comme vous le soulignez, a été bien oublié …
Luc MICHEL : THIRIART a été le fondateur et le leader incontesté de la « Société d’Optométrie d’Europe » (SOE) (« société » étant ici utilisé au sens ancien), la seule organisation syndicale unitaire et intégrée européenne, conçue et pensée à son initiative. Le SOE révèle d’ailleurs ce qu’aurait pu devenir la République européenne unitaire dont rêvait Jean THIRIART. Vous noterez avec intérêt que le fonctionnement de notre Organisation Communautariste Transnationale après 1993 s’est en partie inspiré du mode d’organisation, de fonctionnement et de travail du SOE.
Dans cette organisation syndicale qu’il développa considérablement à partir de 1967, y trouvant d’ailleurs une compensation à l’effacement du PCE, il montra aussi ses qualités d’organisateur et ses conceptions en matière d’organisation unitaire européenne. Lorsque l’on consulte les exemplaires de la revue de ce syndicat, PHOTON, publication multilingue européenne, on y découvre d’ailleurs des thèmes fort proches de ceux du PCE. Jean THIRIART ne faisant guère de séparation dans ses conceptions syndicales, politique ou professionnelle. Il y anima notamment dans les grandes capitales européennes de grands meetings syndicaux unitaires. On reste frappé devant les photos des tribunes de son organisation syndicale ou d’immenses banderoles portent le slogan « EUROPA FORTIS UNITATE » (qui fut aussi un des premiers slogans de JEUNE EUROPE). Il y développa une organisation syndicale européenne au-delà de toutes différences nationales ou corporatives. Les dirigeants y étaient notamment désigné au suffrage universel européen et élu par l’ensemble des membres, partout en Europe, un concept proche de l’ « Omnicitoyenneté » européenne qu’il prônait en politique. On y découvre aussi le ton nettement anti-américain de cette organisation syndicale.
J’ai bien entendu reçu à la mort de THIRIART, une partie de ses archives syndicales et notamment de la presse importante qu’il publiait et dans laquelle on retrouve de nombreux thèmes issus de ses théories politique. Je vous ai déjà expliqué comment s’était, dans la pratique, opéré son retour à la politique.
* Question – Karel Huybrechts : Comment THIRIART était-il arrivé à cette position de force internationale dans le syndicalisme et le secteur de sa profession ?
LUC MICHEL : Jean THIRIART avait dès 1947 commencé par organiser la profession des Opticiens et Optométristes et le syndicalisme au niveau belge. Y compris au niveau de l’enseignement. Et du statut scientifique de la profession, de l’Opticien à l’Optométriste. C’est le schéma léniniste classique : organisation, formation, écoles de cadres. Fondateur de l’UNOB, Union Nationale des Optométristes et Opticiens de Belgique, dans les Années 1947-60, il va organiser une Organisation syndicale unitaire pan-européenne, et même internationale, puisqu’elle avait des sections au Québec, en Turquie, et même aux USA, en Louisiane notamment (l’ancienne Nouvelle France), le SOE – Société d’Optométrie d’Europe – dans les Années 60.
THIRIART dans le cadre de ses activités professionnelles, syndicales et éducatives, dans le domaine de l’optique, exerce les plus hautes fonctions, aussi bien en Belgique qu’en Europe : Président de la « Société d’Optométrie d’Europe », Président de « l’Union Nationale des Optométristes et Opticiens de Belgique », Président du « Centre d’Etude des Sciences Optiques Appliquées (CESOA) ». THIRIART siège aussi à titre syndical et scientifique au conseil de l’INAMI (la sécurité sociale belge) et dans plusieurs commissions de la CEE à titre d’expert. Le CESOA (devenu aujourd’hui le « Centre d’Etudes d’Optométrie Appliquée », dont il est le fondateur et l’organisateur, donne son statut scientifique à la profession et crée le diplôme scientifique d’optométriste. Haute Ecole privée, le CESOA, créé en 1956, devient institut d’enseignement public d’état en 1958, Ecole officielle d’optométrie placée sous l’autorité du Ministère belge de l’éducation nationale. En outre, THIRIART était membre d’honneur depuis 1975, et à titre scientifique, de la « National Eyes Research Foundation » aux USA…
* Question – Karel Huybrechts : A part vous personne n’évoque jamais ce THIRIART leader syndicaliste. Pourquoi ?
LUC MICHEL : La réponse est simple. Elle ne cadre pas avec l’image que les soi-disant « chercheurs » des Universités françaises et belges veulent donner de THIRIART. Syndicaliste, expert de haut niveau pour la CEE, créateur d’un enseignement d’état, ça donne évidemment une autre dimension au personnage.
* Question – Karel Huybrechts : Mais n’est-ce pas une absence de sources sur ce volet de la vie de THIRIART ?
LUC MICHEL : Absolument pas. C’est à nouveau au contraire une volonté délibérée, organisée au plus haut niveau, celui des polices politiques et des gouvernements. Ces pseudo « chercheurs » ne sont que les instruments de Services. De tout temps, les services secrets ont fait des universités leur témoin privilégié de recrutement. Chaque année, dans toutes les universités du monde, et singulièrement en Occident, ces Services recrutent. Officiellement !
Dans le cas du THIRIART syndicaliste, c’était public, connu. THIRIART était LA célébrité de sa profession. Y compris aux USA et au Québec où son syndicat SOE comptait une section régionale. THIRIART a été l’organisateur de sa profession au niveau international, pas seulement en Europe.
* Question – Karel Huybrechts : Et personne n’en parle ?
LUC MICHEL : Ce que vous dites est aussi inexact. THIRIART était tellement connu comme leader syndical que l’on trouve même un paragraphe le concernant dans le livre de science-fiction ABATTOIR 5, de Kurt VONNEGUT Jr ! D’où est tiré le célèbre film du même nom. C’est en page 57 de l’édition française de 1971 au Seuil (23). On y lit ce qui suit, l’action se déroulant en 1968 : « Billy a ramené son attention sur son bureau. Un numéro de la Revue d’optométrie y était ouvert. A la page d’un éditorial que Billy déchiffrait maintenant à légers mouvements de lèvres : « Le tour pris par les événements en 1968 déterminera le destin des opticiens européens pendant cinquante ans au mons. Par ces paroles d’avertissement, Jean Thiriart, secrétaire du Syndicat national des opticiens belges insiste sur la création d’une « Association européenne des opticiens ». D’après lui, il n’existe que deux possibilités : reconnaissance d’un statut particulier ou, dès 1971, réduction au rang de marchands de lunettes. » Billy Pèlerin faisait tout son possible pour s’intéresser au problème. »…
Pour comprendre ceci, il faut savoir que Billy, le héros du roman, opticien de profession, effectue des sauts dans le temps. La technique narrative de l’auteur fait que des faits réels appuient le récit fantastique. Ici la mention à THIRIART et à ses activités syndicales sert à crédibiliser le récit. Le plus amusant, c’est que THIRIART, l’anti-yankee par excellence, se retrouve dans un des grands classiques de la littérature des USA ! « d’un style qu’on pouvait autrefois qualifier de kafkaïen, l’auteur tire l’un des étonnants chefs-d’œuvre de la littérature de guerre américaine » écrit l’éditeur d’ABATTOIR 5. Le roman décrit « l’errance misérable d’un « brave soldat Chveik » yankee, opticien à Ilium dans l’Etat de New York, et que le vent imbécile des tueries modernes ratatine de froid et de peur au fin fond d’un abattoir de Dresde, un certain jour de février 1945, sous une pluie de bombes… »
* Question – Karel Huybrechts : Stupéfiant ! Et vous êtes le seul à avoir relevé cette étonnante mention de THIRIART dans ABATTOIR 5?
LUC MICHEL : Même pas ! Dans un livre qui consacre quelques lignes à THIRIART, Rémi KAUFFER évoque celui-ci et sa mention dans ABATTOIR 5. Mais, sans doute parce qu’il s’agit d’une source de seconde main, KAUFFER évoque THIRIART comme « personnage de science-fiction » (sic). Alors qu’il y est cité dans le monde réel.
Mais quoiqu’il en soit, tout ceci n’a curieusement pas conduit nos « chercheurs » sur cette piste, pourtant bien connue….
* Question – Karel Huybrechts : Revenons au THIRIART théoricien et leader politique. Pourriez-vous résumer les grandes étapes de ce retour à la politique ouverte à partir de 1982 ?
Il était parfaitement conscient de l’échec de sa tentative politique des années 60 et de son essoufflement stérile dans le repli sur le syndicalisme des années 70. Un des éléments qui a amené THIRIART à reprendre une activité politique ouverte, a bien entendu était la thèse de Yannick Sauveur – sur « Jean THIRIART et le National-communautarisme européen » (24) (terme inexact par ailleurs) présentée en 1978 devant l’Institut d’Etudes Politiques de l’Université de Paris –, dont il a immédiatement compris l’intérêt après sa présentation et qu’il a commencé à diffuser à compte d’auteur en plusieurs langues à partir de 1980, puis à grande échelle avec mes Editions MACHIAVEL (qui ont précédé le PCN de 2 années) à partir de 1982.
Je voudrais souligner à ce sujet, parce que cela est aussi souvent mal interprété, que Sauveur a réalisé sa thèse sans avoir consulté THIRIART et sans rencontrer celui-ci. Vous y verrez que si plusieurs anciens cadres, notamment de l’époque « Jeune-Europe », sont interviewés, THIRIART n’y apparaît absolument pas. Sauveur a effectué sa thèse à partir de collections de revues et d’archives de presse. Ce n’est donc nullement une hagiographie de commande. Ce qui explique bien entendu les perspectives parfois limitées de cette thèse par rapport à ce que José Cuatrado Costa ou moi-même avons pu écrire après 1983. Pour l’anecdote, j’ai moi-même rencontré pour la première fois Jean THIRIART en 1982 dans le cadre d’une démarche visant à obtenir cette thèse. J’étais déjà à l’époque, un fidèle des théories de THIRIART dont j’avais découvert les livres « L’EUROPE UN EMPIRE DE 400 MILLIONS D’HOMMES » et « LA GRANDE NATION » au milieu des années 70. Comme vous le voyez, un événement, comme la publication d’une thèse universitaire, peut être dans le cadre d’une action politique un déclic. C’est ce qu’a été la thèse Sauveur.
Comme je vous l’ai aussi déjà expliqué, nous nous sommes mis rapidement d’accord, d’une part sur le partage des tâches de notre activité politique et idéologique commune, et également sur le fait qu’il fallait apporter au Communautarisme européen un nouveau départ. Celui-ci s’est effectué progressivement, avec la publication de la revue « CONSCIENCE EUROPEENNE », avec l’action d’une association politique qui s’appelait « NATION-EUROPE » et qui a préparé le lancement du PCN, et bien entendu avec la naissance du PCN en juin 1984 et son apparition publique à l’occasion d’une élection sénatoriale partielle à Charleroi en octobre de la même année.
THIRIART était parfaitement conscient qu’on ne pouvait mener le combat des idées sans une Organisation pour les porter, sans le militantisme. Dans une lettre circulaire (il en publiait depuis 1974 …) du 3 février 1984, il évoquait « la première tentative ratée (« Jeune-Europe ») » et « la seconde qui s’impose (Luc Michel) » (les commentaires entre parenthèses sont de lui).
Dans la pratique nous nous sommes organisés pour faire face à ce partage des tâches. Les vastes locaux que nous avions ouverts à Charleroi, et où sera établie notre centrale jusque 1990, abritaient nos imprimeries, le travail militant, les réunions, et nous avions installé dans les bureaux de Jean THIRIART à Bruxelles, un secrétariat politique qui occupait plusieurs personnes, financé par ses activités commerciales, et qui finira par occuper un étage complet de son bâtiment de l’avenue Louise à Bruxelles.
C’est là que s’organisait le travail éditorial, notamment des Editions Machiavel, la diffusion de nos thèses en sept langues, et une activité de lobbying importante vis à vis de la presse et des décideurs, notamment en Europe de l’Est, qui portera ses fruits après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.
Dans mon INTERVIEW pour Kornel SAWINSKI, j’ai longuement exposé nos contacts et notre impact en URSS dès 1983 …
Au début des années 90 lorsque nous ouvrirons les seconds bureaux de notre centrale, à Bruxelles cette fois, et y installerons notre secrétariat-général, pas très loin des bureaux de THIRIART, tout cela sera regroupé dans notre nouveau bâtiment de 350 m2. Notre Centrale est depuis lors, en 1991, installée à Bruxelles. Ce qui n’empêche pas inlassablement certains journalistes de présenter le PCN, vingt ans plus tard, comme « un groupe basé à Charleroi » (sic) …
* Question – Karel Huybrechts : Peu après les meetings communs que vous avez tenus en France à la fin des années 80 avec THIRIART, il aurait, à en croire vos textes, mis une pause à sa collaboration afin de se recentrer sur ses activités professionnelles. « Pour un homme né en 1922, cela peut paraître étonnant », écrit même un de vos critiques français les plus hostiles. Que pouvez-vous en dire ?
Luc MICHEL : Cette interprétation reflète de grandes lacunes dans la connaissance de la vie et de l’action de THIRIART. Je vous ai déjà exposé la part importante des activités syndicales de THIRIART et hélas – je dis hélas par rapport à la vie de notre Organisation – prépondérante que celles-ci ont tenu dans sa vie.
THIRIART est le fondateur et jusqu’à sa mort le leader européen incontesté du syndicalisme dans le domaine de l’optique et de l’optométrie. Jusqu’à sa mort soudaine en 1992, à 70 ans, THIRIART était un homme actif, qui travaillait toujours. Il n’y a que de petits fonctionnaires de l’université pour s’en étonner …
Fondateur du premier syndicat de ce type dans la Belgique de la fin des années 40, THIRIART va donc, comme je vous l’ai déjà exposé, transformer rapidement celui-ci – le SOB, Union Nationale des Optométristes et Opticiens de Belgique – en une Organisation syndicale unitaire pan-européenne, le SOE – Société d’Optométrie d’Europe – présente également en Europe de l’Est, et qui tiendra dans les années 70 et 80 notamment des congrès à Leipzig en Allemagne de l’Est qui était alors une des capitales de l’industrie optique.
En 1987, THIRIART est face à un important défi syndical. La renégociation, dans le cadre de la CEE, la Communauté Européenne d’alors, de la position professionnelle des opticiens et optométristes. Il s’agissait d’un vieux combat qu’il menait depuis quatre décennies contre le monde médical et la prétention de celui-ci au monopole dans le domaine de l’optique. THIRIART qui avait déjà mené une première phase de ce conflit à la fin des années 70, était l’un des principaux experts qui avait contribué aux dispositions européennes en la matière va donc devoir engager un nouveau combat, qu’il est seul à pouvoir mener afin de sauver les intérêts syndicaux de sa profession. Il va alors s’engager dans un combat, qui va occuper près de quatre longues années de ses activités entre 1987 et 1991. Bien entendu, au départ, ni lui, ni moi nous ne pensions que cette action allait prendre une telle ampleur. A cela s’ajoutera une série de procès en Belgique contre l’Ordre des médecins, vieil ennemi du THIRIART syndicaliste, qui y étaient liés.
A la même époque, le PCN doit tirer les conclusions de ses premières années de combat politique et notamment le fait qu’il nous ait été impossible à cette époque de déboucher notamment en France ou en Italie sur une Organisation de type pan-européen. Les essais que nous menons alors en France mais également en Espagne n’ont pas été concluants.
En France, les esprits ne sont pas encore prêts, notamment notre rencontre avec des cadres démobilisés de la mouvance NR, ne donnent rien de concret. En Espagne, la mort prématurée de José CUADRADO COSTA, met également un terme provisoire à nos activités. Le « Deuxième congrès du PCN » en 1986 tirait déjà les conclusions de ce mauvais climat politique, et nous décidons de ré-enraciner notre action dans le militantisme de terrain afin de renouveler nos cadres et de nous donner une base qui permette un combat de longue durée.
* Question – Karel Huybrechts : Nous sommes donc fin 1987. Certains évoquent alors une « éclipse » du PCN, prétendant même parfois que « le PCN aurait disparu entre 1987 et 1991 » … Y a-t-il quelque chose de vrai là-dedans ?
Luc MICHEL : l’Imagination malsaine et nuisible de nos diffamateurs est effectivement sans limite ! J’ai lu effectivement, notamment sous la plume de certains provocateurs et autres flics de la pensée, souvent des auxiliaires de police tout court, , que « le PCN aurait disparu entre 1987 et 1991 ». Il vous suffira d’aller lire les collections des journaux belges de l’époque pour voir qu’il n’en est rien. Nous avons notamment, à Charleroi et à Bruxelles, une intense activité politique et électorale qui nous vaut souvent la Une des journaux et revues. Nous essayions, à l’époque, de nous profiler comme l’Organisation n° 1 regroupant les ennemis du Système. C’est également l’époque où nous sommes engagés dans des combats écologistes de terrain avec l’association « Europe-Ecologie », qui devient la « Fraction Verte externe du PCN ».
* Question – Karel Huybrechts : « Europe-Ecologie » comme les Verts français ?
Rien à voir évidemment avec le mouvement électoraliste de COHN-BENDIT et Eva JOLY, qui usurpe la dénomination de notre Association « Europe-Ecologie » – le sigle est médiatique et porteur – depuis 2008. Notre association est , elle, active en Belgique et en France depuis 1986, et toujours au combat pour l’écologie véritable, la « deep ecology » !
* Question – Karel Huybrechts : Mais revenons au PCN et à ses activités de 1987-1991 ?
Luc MICHEL : Nous devons également alors faire face à des défis d’ordre financier. La politique telle que nous la menons, avec des locaux, des imprimeries, des permanents, une presse à large diffusion coûte cher. Les sacrifices de nos militants et l’aide financière de THIRIART ont très vite trouvé leurs limites. Avec l’aide de militants issus de la mouvance maoïste, et qui ont une certaine expérience dans ce domaine, nous créons alors un secteur commercial dépendant de notre parti, dans le domaine de l’imprimerie, de la presse et de la publicité. C’est ce qui nous permettra de financer l’activité du PCN depuis cette époque et de nous permettre de disposer de moyens d’une certaine importance, qu’ont souligné même nos adversaires les plus résolus (nos concurrents ont des boîtes postales et des fanzines polycopiés, nous avons de vastes locaux et une presse en kiosques …).
Tout cela évidemment ne se fait pas en un jour. Et alors que THIRIART mène son combat syndical, je mène moi-même avec beaucoup de nos cadres une entreprise de structuration et d’enracinement. Ceci en parallèle avec un combat politique de terrain.
Au début des années 90 et 91, THIRIART sort alors de son dernier combat syndical victorieux et le PCN commençe à disposer des moyens nécessaires à nos ambitions européennes.
C’est à cette époque que nous relançons avec THIRIART une activité politique internationale d’une part vers les milieux nationaux-révolutionnaires et nationaux-bolcheviques en Belgique, France, Italie et Espagne, et d’autre part également vers les milieux radicaux du Communisme russe alors en plein effondrement.
Copyright : Luc MICHEL (2012),
tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.
* NOTE 1
Le quotidien belge (flamand) De Morgen écrivait en décembre 2022 : « Michel va désormais agir en entrepreneur géopolitique pour élargir la sphère d’influence russe en Afrique : « un groupe d’entrepreneurs indépendants, nous avons inventé le concept de guerre hybride. Nous travaillons avec la Russie, mais nous ne payons pas pour les services de sécurité. Une guerre hybride se nourrit de différentes manières : militaire, diplomatique et communicationnelle. Je fais ce dernier. « Et puis il y a le Belge, le militant Luc Michel, avec qui tout a commencé. Lui, avec l’idéologue Jean Thiriart (…) avec l’organisation des élections, a façonné les instruments de la reconquête de l’empire soviétique et a créé un espace, de Lisbonne à Vladivostok ». Michel se réjouit des résultats des derniers référendums dans les républiques populaires de Louhansk, Donetsk…
* NOTE 2
Lire ausi :
Esquisse de la guerre hybride. L’action de Luc Michel en tant qu’ ‘entrepreneur géopolitique indépendant’
https://www.palestine-solidarite.fr/esquisse-de-la-guerre-hybride-ix-mon-action-en-tant-qu-entrepreneur-independant/
* NOTE 3
Une précision. Les politologues sérieux, pas les flics de la pensée politique des Universités franco-belges (qui sont souvent des flics tout court, correspondant des polices politiques), classent dans une même catégorie, qu’ils nomment le « National-communisme », des mouvements politiques comme le KPRF russe, le régime de LUKASHENKO au Belarus ou encore le SPS de MILOSEVIC ou la JUL, la « Gauche Unie Yougoslave » de Mirjana MARKOVIC. ET bien entendu notre PCN, qui idéologiquement et politiquement, les a tous précédé de presque une décennie. Lorsque nous étions représentés au Parlement Wallon, en Belgique, dans les Années 1996-98, la questure nous avait étiquetés «national-communistes» (le FN y était étiqueté « extrême-droite »). En 1996-98, nous avions des élus, dont un député, au Parlement Wallon, au Parlement de la Communauté française de Belgique et de 1996 au 1999 au Conseil provincial du Hainaut.
* NOTE 4
« Une tentative du même M. THIRIART (la Jeune-Europe des années 60) a essuyé un échec. Au début des années 80 ses adhérents ont fait une nouvelle tentative: le PCN a été fondé en Belgique (…) Le parti des adhérents de M. THIRIART c’est quelque chose dans le genre de l’Internationale de Marx (…) (A. IVANOV dans ROUSSKI VESTNIK, « Les idées de Jean Thiriart: un commentaire nécessaire », Moscou, septembre 1992).
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EURASIAN OBSERVATORY FOR DEMOCRACY & ELECTIONS (EODE):
http://www.eode.org/
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Source : Luc Michel