Par René Naba

Les fatwas pathologiques

Cette opération de relations publiques s’est accompagnée, sur le plan interne, d’une réglementation de l’usage des réseaux sociaux de manière à prévenir, d’une part, les débordements des prédicateurs impétueux,, et, d’autre part, à censurer toute opinion dissidente.

Rétrospectivement, ce qui apparaît le comble du cynisme dans cette affaire est le fait que la quasi totalité  des activistes qui se dressaient pour défendre la liberté d’expression ou la libéralisation des mœurs, notamment la reconnaissance aux dames le droit  de pratiquer le sport ou de conduire un véhicule, avaient été cloués au pilori pourfendus comme étant des «pêcheurs de la laïcité», jetés en prison sans autre forme de procès.

Par un incroyable retour de bâtons, la répression et la censure frappent désormais les hommes de religion, piliers de la dynastie, longtemps propagateurs d’une idéologie extrémiste. La monarchie vit comme un cauchemar un nouveau déferlement de fatwas pathologiques, comme ce fut  le cas lors de la séquence dite du printemps arabe, si préjudiciable à la dynastie wahhabite, au Royaume saoudienne et à l’image de l’Islam dans le monde.

Sur les égarements des Frères Musulmans et les sept fautes majeures des islamistes

La Loi Jasta, l’épée de Damoclès

La loi JASTA (Justice against sponsors of terrorist act)  adoptée le 9 septembre 2016, soit quinze ans après le raid terroriste contre les symboles de l’hyperpuissance américaine, fait office d’épée de Damoclès suspendu  sur la tête du royaume.

En autorisant les Américains à poursuivre le Royaume en dédommagement des dégâts infligés par ce raid, les États-Unis ont placé l’Épée de Damoclès en suspension au-dessus de la dynastie wahhabite. Quinze des 19 auteurs des attentats du 11 septembre à New York et Washington étaient Saoudiens. Au total, le préjudice américain est estimé à près de trois trillions de dollars (trois mille milliards de dollars).

Pour parer à cette menace adoptée sous la mandature de Barack Obama,  un deal «win win» a été conclu son successeur Donald Trump: L’adoubement de l’artisan du «Muslim Ban» par les pétromonarchies sunnites, en contrepartie de la promotion du fils du Roi au rang de prince héritier, l’abdication des pétromonarchies à l’égard de la question palestinienne et sa substitution par une alliance  avec Israël en vue de faire pièce à l’Iran.

Un deal scellé par un important contrat militaire de l’ordre de 380 milliards de dollars sur dix ans, destiné à renforcer les capacités balistiques et navales du royaume saoudien face à l’Iran, tout en «préservant la supériorité militaire israélienne dans la zone» selon un membre de l’administration américaine.

L’objectif sous-jacent de ce «contrat du siècle» serait de neutraliser les effets de la Loi JASTA, Une mise en veilleuse de ce contentieux, à tout le moins le long de la mandature de Donald Trump.

Un Royaume du divertissement: The Line, la ville linéaire ?

Cette opération de relations publiques visant à bonifier l’image de Mohamad Ben Salmane  intervient  alors que le prince héritier  saoudien nourrit l’ambition de faire de l’austère et rigoriste Arabie saoudite un Royaume du divertissement.

La criminalisation des prédicateurs de la haine est intervenue alors que MBS lançait le  projet phare qui se propose de propulser l’image d’un royaume moderniste avec notamment l’organisation d’un tournoi mondial de Golf et surtout la ville futuriste linéaire.

The Line, la ville linéaire ?

Repenser la ville de demain passera donc par la création d’un complexe linéaire de 170 km de long, de 500 mètres de hauteur et de 200 mètres de large. Les murs recouverts de miroirs le rendront invisible à la nature environnante. Le projet Neom doit être complètement autosuffisant en énergie avec une ventilation naturelle, des énergies renouvelables mais aussi la création de la plus grande usine d’hydrogène vert du monde.

Plutôt que de s’étendre sur la nature, l’idée est de construire la ville sur trois niveaux : les écoles, les parcs, les maisons ou encore les services seront superposés sur un modèle d’«urbanisme à gravité zéro». Tous les besoins quotidiens seront disponibles à 5 minutes à pied, plus besoin donc de voitures dans la ville de demain. Un train à grande vitesse permettra de parcourir Neom, la nouvelle mégalopole saoudienne, de bout en bout en 20 minutes.

The Line veut répondre à l’urgence écologique mais aussi (et surtout) au boom démographique envisagé par l’Arabie Saoudite. Le prince héritier Mohamad Ben Salmane vise 1,2 million d’habitants à Neom d’ici 2030 et même 9 millions en 2045 ! MBS veut faire de l’Arabie Saoudite une puissance incontournable dans la région.

«C’est l’intérêt principal de la construction de Neom : augmenter la capacité démographique de l’Arabie saoudite […]. Et puisque nous le faisons à partir de zéro, pourquoi copier les villes normales?», a déclaré Mohammed ben Salmane. Le pays est d’ailleurs prêt à accueillir 70 millions d’expatriés d’ici 2040.

La Moutawa’a: la police religieuse

Mais l’opération de ravalement cosmétique du Royaume demeure sujette à caution  tant est vive la prévention à l’égard du  prince héritier.

La dernière manifestation du prince sanguinaire a été la décapitation de 80 opposants saoudiens, en février 2022, le même jour, alors que l’opinion internationale avait l’attention rivée sur  la guerre  d’Ukraine.

Sujette à caution aussi longtemps que perdurera le symbole du rigorisme, voire de l’anachronisme saoudien: La Moutawa’a, la redoutable police religieuse, qui a longtemps terrorisé la population avec ses procédés digne de l’Inquisition du Moyen-Age qui symbolise plus que tout, mieux que quiconque, l’intolérance wahhabite.

Source : auteur
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