Explication de vote du représentant permanent de la Russie à l’ONU, Vassily Nebenzia, lors du vote au Conseil de sécurité sur le projet de résolution proposé par les États-Unis sur la situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne, le 22 mars 2023.

Source : Mission permanente de la Fédération de Russie à l’ONU

Traduction : lecridespeuples.fr (Substack)

Avant le vote

Monsieur le Président,

Depuis six mois, le Conseil de sécurité des Nations unies est incapable d’adopter une résolution exigeant un cessez-le-feu à Gaza. À maintes reprises, les États-Unis ont fait échouer toute tentative en opposant de sang-froid leur veto, jusqu’à quatre fois.

Pendant ce temps, nous avons entendu de nombreuses excuses de la part de nos collègues américains. Par exemple, qu’il est prématuré de demander un cessez-le-feu parce qu’il est nécessaire de donner de l’espace « aux efforts antiterroristes d’Israël » ; que le Conseil ne devrait pas interférer avec la « diplomatie efficace de Washington sur le terrain » ; que nous devrions attendre le Ramadan, lorsque, disent-ils, un accord sur la cessation de la violence sera certainement conclu.

Aujourd’hui, six mois plus tard, alors que Gaza a été pratiquement rasée, le représentant américain déclare sans sourciller que Washington commence enfin à prendre conscience de la nécessité d’un cessez-le-feu.

Ce processus de réflexion tranquille de Washington a coûté la vie à 32 000 civils palestiniens, dont deux tiers de femmes et d’enfants.

Et même aujourd’hui, nous assistons à un spectacle hypocrite typique, lorsque sous l’emballage d’un « cessez-le-feu », les États-Unis tentent de vendre aux membres du Conseil de sécurité et à l’ensemble de la communauté internationale quelque chose d’autre, à savoir une vague phrase sur la « définition de l’impératif d’un cessez-le-feu ». Une telle philosophie sur les impératifs moraux se retrouve naturellement à sa place dans les œuvres d’Emmanuel Kant. Mais elle ne suffit pas à sauver la vie des Palestiniens. Et ce n’est pas du tout ce que suggère le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, qui dispose d’une boîte à outils unique pour exiger un cessez-le-feu et, si nécessaire, le faire respecter.

Dans une interview officielle accordée à Al Hadath à Djeddah le 20 mars, le Secrétaire d’État Blinken a déclaré : « En fait, nous avons présenté une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui appelle à un cessez-le-feu immédiat lié à la libération des otages, et nous espérons vivement que les pays soutiendront cette résolution ». Toutefois, le projet de résolution proposé par les États-Unis ne contient pas un tel appel. Il semble que le représentant permanent des États-Unis auprès des Nations unies ou le Secrétaire d’État américain aient délibérément induit la communauté internationale en erreur.

Chers collègues,

Dès le début, il était évident que les « négociations » sur le projet de résolution menées par nos collègues américains ne visaient qu’à faire traîner les choses en longueur. Tous nos commentaires et « lignes rouges » ont été ignorés, ainsi que les propositions d’un certain nombre d’autres délégations. Il ne s’agissait pas d’un travail normal sur un document. Nous avions plutôt l’impression de parler dans le vide.

Le projet américain est un document totalement politisé, qui ne vise qu’à tirer sur la corde sensible des électeurs avant les élections américaines en leur jetant un « os » sous la forme d’au moins une mention d’un « cessez-le-feu » à Gaza. Le projet cherche également à consolider la politique américaine dans la région par le biais de « labels terroristes » [la résolution américaine désignait le Hamas comme groupe terroriste ne représentant personne] et à garantir l’impunité d’Israël, dont les actions criminelles ne sont pas caractérisées [Israël n’est mentionné qu’une fois dans le long texte, au sujet de la solution à deux Etats].

Permettez-moi également de souligner que le projet américain contient un feu vert de facto pour qu’Israël mène une opération militaire à Rafah. Au moins, les auteurs ont essayé de s’assurer que rien dans leur projet n’empêcherait Jérusalem-Ouest d’achever le nettoyage meurtrier du sud de Gaza.

C’est en fait ce que souhaite Washington. Nous avons déjà dit que nous ne voterions plus de résolutions vides de sens qui n’exigent pas de cessez-le-feu et qui ne nous mènent nulle part.

Ce projet ne doit pas être adopté à la majorité des voix du Conseil de sécurité de l’ONU, afin d’envoyer un message clair selon lequel les concepts non pas palliatifs mais sournois de Washington sont inacceptables. Il serait extrêmement étrange que les membres du Conseil (et ils sont la majorité), qui en sont conscients et qui nous ont dit que le projet américain était imparfait, lèvent la main en faveur de ce projet. Si vous le faites, vous vous couvrirez de honte.

Pensez à l’image que vous aurez aux yeux des peuples du Moyen-Orient et de vos propres pays, si vous soutenez cette entreprise hypocrite destinée à désorienter la communauté internationale et, en fait, à saper l’autorité du Conseil en le rendant incapable d’influencer la situation sur le terrain et en l’obligeant à « rester en dehors du chemin de la Maison Blanche ». Êtes-vous prêt à participer à ce spectacle honteux ?

La Russie ne le fera pas. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité et l’un des fondateurs des Nations unies, nous reconnaissons la responsabilité historique mondiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et nous ne pouvons pas permettre que le Conseil devienne un outil de la politique destructrice de Washington au Moyen-Orient. Si cette résolution était adoptée, elle clôturerait définitivement le débat sur la nécessité d’un cessez-le-feu à Gaza, donnerait les coudées franches à Israël et condamnerait Gaza et toute sa population à l’extermination ou à l’expulsion.

Dans notre travail, nous ne sommes pas guidés par ce qui plaît à Washington ou à ses satellites qui sont prêts à voter à la demande des États-Unis, mais par ce qui est nécessaire pour les Palestiniens et ce qui promeut la paix.

Nous demandons instamment aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU d’empêcher cela et de voter contre le projet de résolution américain.

Monsieur le Président,

Afin que le Conseil de sécurité des Nations unies puisse continuer à remplir son mandat de maintien de la paix et de la sécurité internationales, un certain nombre de membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont préparé un projet de résolution alternatif qui énonce noir sur blanc les conditions d’un cessez-le-feu et de la libération inconditionnelle des otages. Il s’agit d’un document équilibré et dépolitisé.

Nous ne voyons pas pourquoi les membres du Conseil de sécurité pourraient refuser de le soutenir, à moins qu’un cessez-le-feu et la libération des otages ne fassent pas partie de leurs plans. Il s’agit d’une tentative pour permettre au Conseil de remplir les nobles fonctions qui lui ont été confiées. Nous vous invitons à ne pas la manquer.

Nous vous remercions.

Après le vote [3 contre (veto de la Russie et de la Chine + Algérie), 11 pour, 1 abstention]

Monsieur le Président,

Nous avons écouté les discours hypocrites de certains membres du Conseil versant des larmes de crocodile sur les vetos russe et chinois. Nous avons expliqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas adopté cette résolution. Ce n’est pas parce qu’elle a été présentée par la délégation des États-Unis, comme le représentant permanent américain a tenté de nous l’assurer aujourd’hui. Je vous ai dit, à vous qui avez voté ici aujourd’hui, que vous vous couvririez de honte en votant en faveur d’un texte américain inacceptable pour vous (y compris pour ceux d’entre vous qui en font l’éloge aujourd’hui).

Voulez-vous que je vous dise ce qui s’est réellement passé ? Ce n’est pas difficile à deviner, le scénario n’est pas compliqué du tout. Vos maîtres américains, en plus de « tordre le bras » de vos dirigeants dans les capitales, ont dit : « Ne vous inquiétez pas, la Russie mettra son veto de toute façon, donc vous n’aurez pas à aller à l’encontre du projet américain. » C’est tout, c’est tout le scénario. Cessez donc cette hypocrisie qui consiste à dire que vous êtes contrariés que la Russie et la Chine aient opposé leur veto à la résolution. Une fois de plus, vous vous êtes couverts de honte aujourd’hui en votant en faveur d’un projet de résolution que vous ne souteniez pas et que vous ne soutenez pas vraiment.

Je vous remercie de votre attention.

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Source : Le Cri des Peuples
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