Ce sont à présent des centaines de milleirs d’habitant de la bande de Gaza qui subissent les prémissent d’une famine impitoyablement imposée par l’occupant israélien et ses complices arabes et occidentaux. Ici une file d’attente pour obtenir un minimum de nourriture – Photo : via al-Qods News Network
Par Shahd Safi
Les autorités frontalières égyptiennes font payer aux Palestiniens de Gaza des milliers de dollars pour échapper à la mort dans la bande de Gaza. Et même ceux qui parviennent à payer ce prix exorbitant grâce à des campagnes GoFundMe attendent de pouvoir passer depuis des mois.
Le 19 février, j’aurai 23 ans. Je crains que ce jour arrive et que la guerre soit toujours en cours, et je ne suis pas tout à fait sûre de vivre assez longtemps pour le voir.
Avant la guerre israélienne contre Gaza, je menais une vie paisible, me rendant chaque jour à l’université Al-Aqsa pour poursuivre mes études.
Mon université a été bombardée par l’armée israélienne alors qu’elle était remplie de Palestiniens déplacés du nord de Gaza. La campagne de bombardement a tué un certain nombre de personnes déplacées, transformant l’endroit où j’avais l’habitude d’étudier, de rire et de ressentir de la joie en une véritable scène d’horreur.
Mon amie et camarade de classe, Nadia Abd El-Latif, a été tuée lors de l’assaut israélien par une frappe aérienne israélienne directe sur sa maison. La même chose est arrivée à d’autres amis et collègues – Mahmoud Al-Naouq, Yousef Dawwas et Muhammad Hammo.
Mon professeur, Refaat Alareer, a été tuée de la même manière, tout comme le mari de ma cousine et son fils de sept ans. Tous ces décès m’ont laissée exsangue. Après plus de cent jours, la guerre d’Israël est toujours en cours, et mon âme se sent usée.
Ces 115 jours représentent 2 760 heures passées à vivre dans une peur et une anxiété aiguës, sans savoir si nous ferons partie des survivants ou non. Mais depuis le début des bombardements en octobre, j’ai essayé – en vain – de trouver un moyen de quitter Gaza.
Deux mois avant la guerre, j’avais obtenu une bourse Erasmus et je me trouvais en Espagne. Malheureusement, mon destin était de retourner vivre ce génocide inhumain.
Si j’étais encore en Espagne, je me demande ce que je ressentirais. Ma famille serait certainement ici à Gaza, à l’exception de ma sœur Rawan, qui est partie à l’étranger une semaine avant mon départ prévu, et qui étudie en Algérie depuis janvier dernier, où elle prépare un master en droit international.
Au début de la guerre, une amie m’a aidée à déposer une demande de visa pour le Qatar. Elle espérait que le Qatar m’accorderait un visa, ce qui rendrait mon départ de Gaza un peu plus facile.
Elle m’a promis de m’héberger chez elle jusqu’à la fin de la guerre. J’ai accepté avec hésitation, réticente à l’idée de laisser ma famille dans des conditions aussi désastreuses, mais la question n’était pas pertinente, car le Qatar a rejeté mon visa.
J’ai été très déçue, car je m’attendais à ce que le Qatar accepte, étant donné qu’il s’agit d’un pays arabe qui entretient des relations étroites avec la Palestine.
Après ce refus, j’ai commencé à chercher un autre moyen de fuir Gaza, surtout lorsque l’armée israélienne a lancé son invasion terrestre de Gaza. J’ai été témoin du traitement insupportablement cruel des civils palestiniens par les soldats israéliens, et j’ai vu la réaction glaciale du monde extérieur.
C’est alors que j’ai commencé à paniquer en silence, comme tout le monde ici. Je cache ma peur à mes frères et sœurs parce que je suis leur force, et ils essaient même de me cacher leur peur, sachant qu’ils m’incitent à être forte pour eux.
Mais derrière tout cela, il y a la certitude que nous sommes tous terrifiés alors que nous faisons semblant d’être courageux.
L’Égypte a fermé ses frontières avec Gaza à de nombreuses reprises au cours de la guerre et a rendu le prix de la sortie de Gaza incroyablement élevé.
Comme ma mère est à moitié égyptienne et à moitié palestinienne, cela m’a incroyablement brisé le cœur. L’Égypte est un pays arabe voisin de la Palestine, avec laquelle nous partageons une histoire et une culture communes. Comment peuvent-ils nous faire cela ?
De nombreux Palestiniens de Gaza ont du sang égyptien et possèdent la nationalité égyptienne. Pourtant, même ces citoyens égyptiens résidant à Gaza doivent payer au moins 1500 dollars pour pouvoir franchir le point de passage de Rafah et échapper à la mort.
Plus de 80 % des habitants de Gaza vivent en dessous du seuil de pauvreté et beaucoup ne pourraient même pas payer 100 dollars.
Pire encore, si vous n’avez pas de passeport égyptien, le prix du passage est actuellement de 10 000 dollars – et même dans ce cas, si vous parvenez à trouver l’argent, vous devrez attendre des jours, voire des mois, avant de pouvoir partir.
Récemment, les Égyptiens ont affirmé avoir ramené le montant à 5 000 dollars par personne, mais la difficulté reste la même.
Un petit nombre de personnes riches et influentes à Gaza peuvent, en fait, payer de telles sommes pour partir. D’autres ont recours à des plateformes de crowdfunding telles que GoFundMe et LaunchGood, et je ne les blâme pas. Ils n’ont pas d’autre moyen de fuir les bombardements et de sauver leur vie.
De nombreuses familles déplacées ont trouvé refuge dans la maison de mes grands-parents, car nous habitons à Rafah, où de nombreux Palestiniens déplacés vivent désormais sous des tentes. Trois de ces familles ont pu se coordonner légalement avec les autorités égyptiennes pour quitter Gaza.
Hala Ihsan Abu Ramadan, âgée de 32 ans, a été déplacée de l’extrême nord de Gaza avec sa famille à quatre reprises jusqu’à ce qu’ils atteignent enfin Rafah.
Après avoir collecté de l’argent sur GoFundMe, Hala a contacté le « coordinateur » égyptien, qui était un ami de l’employeur de sa sœur Heba. Le coordinateur a demandé 5 000 dollars par personne, pour un total de six personnes : Hala, Heba, Hassan, le mari de Heba, leur frère Abed et leurs parents.
Leur père est atteint d’un cancer et n’a pas pu bénéficier d’examens médicaux ou de séances de chimiothérapie depuis le début de la guerre en raison de la surpopulation des hôpitaux de Gaza.
« Mon père doit absolument quitter Gaza », m’a dit Hala. « Sa vie est en jeu. Si mon père n’est pas soigné, le cancer se propagera dans tout son corps. Il mourra très bientôt si la situation reste inchangée. Nous avons contacté le coordinateur égyptien, qui nous a confirmé que le cas de mon père était considéré comme urgent. »
Hala ajoute que, jusqu’à aujourd’hui, le nom de son père ne figurait sur aucune des listes égyptiennes de personnes autorisées à évacuer Gaza. « Je veux dire que si le cas de mon père est urgent et qu’il attend depuis le 30 décembre, combien de temps les cas urgents prennent-ils ? » me demande Hala.
Les coordinateurs égyptiens ont fini par augmenter plusieurs fois le prix demandé à Hala et à sa famille, d’abord à 6 000 dollars, puis à 7 000, 8 000 et enfin à 10 000 dollars par personne. Il est consternant de constater qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun membre de sa famille n’a été autorisé à quitter Gaza.
Le cousin de Hala, Saleem Abu Hamdah, dont la mère est égyptienne, n’a pas été autorisé à entrer en Égypte bien qu’il ait payé 1200 dollars. Sa femme et ses trois enfants ont cependant été autorisés à entrer en Égypte après avoir payé ces mêmes « frais de coordination », ainsi que ses parents – le laissant seul à Gaza.
Une autre femme à qui j’ai parlé, Samar, a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué pour sa propre sécurité. Elle a une belle-mère égyptienne à qui l’on a demandé de payer 4 000 dollars, alors que Samar n’a eu à payer que 2 000 dollars.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune d’entre elles n’a été autorisée à quitter Gaza, bien qu’elles aient été en contact avec des coordinateurs depuis le début de la guerre. Seule la belle-mère égyptienne de Samar a été autorisée à quitter Gaza, mais elle refuse de laisser derrière elle ses deux fils, leurs épouses et leurs enfants, ainsi que sa fille et les enfants de cette dernière.
« L’appartement de mes parents a été bombardé », m’a dit Samar. « Dieu merci, aucun membre de ma famille n’a été blessé. Mais les bombardements eux-mêmes m’ont rendue très anxieuse et m’ont donné envie de quitter Gaza. Ce dont nous sommes témoins aujourd’hui est bien plus cruel et intense que n’importe quelle autre guerre jamais menée à Gaza. »
Pour ma part, je ne peux pas quitter Gaza. La situation financière de ma famille ne permet pas de couvrir des dépenses de « coordination x aussi élevées.
J’hésite à lancer une campagne GoFundMe en raison de toutes les histoires que j’ai entendues – aucune des personnes que je connais qui ont payé des frais de coordination pour se rendre en Égypte n’a réellement pu quitter Gaza.
Peut-être que si l’une des familles hébergées chez nous recevait l’autorisation de partir, j’envisagerais de lancer ma propre campagne de collecte de fonds. En attendant, je ne crois pas qu’il y ait une véritable issue, et je ne vois pas le monde extérieur faire pression sur Israël pour obtenir un cessez-le-feu.
Auteur : Shahd Safi
« Étant originaire de Gaza, je crois qu’il est de mon devoir de partager mes luttes personnelles avec les lecteurs, même si je déteste la façon dont cela exprime ma véritable identité de réfugiée palestinienne. J’essaie de renforcer notre récit palestinien en écrivant des récits historiques et politiques, racontées ou vécues par ceux qui sont témoins de ce qui se passe sur le terrain. Je suis un exemple de l’adage qui dit que ‘là où la vie vous plante avec un chagrin sincère, fleurissez avec grâce’. »
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29 janvier 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine
Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…