Par René Naba
Mandat d’arrêt contre quatre proches collaborateurs de l’ancien premier ministre Moustapha al-Kazimi
Un mandat d’arrêt a été lancé à l’encontre de quatre proches collaborateurs de l’ancien premier ministre irakien Moustapha Al Kazimi pour détournement des deniers publics, dans le cadre d’une campagne lancée par le gouvernement irakien contre la corruption qui gangrène toutes les strates de l’administration irakienne depuis l’invasion américaine de l’Irak, en 2003.
Les mandats d’arrêt ont été émis par «l’Office Fédéral de l’honnêteté» et concerne les quatre personnalités suivantes: Ali Alaoui, ministre des Finances, Raed Joudi, directeur du cabinet du premier ministre, Ahmad Najati, secrétaire particulier du premier ministre et Mouwaffaq Abbas, son conseiller.
L’office, qui a ordonné la saisie de tous les biens meubles et immeubles des prévenus, leur reproche d’avoir facilité la mainmise sur les dépôts de garantie concernant la fiscalité des individus et des entreprises. Dans le langage courant cela s’appelle un détournement de fonds ou un vol. Dans le jargon technocratique français «une évaporation de recettes».
Le montant du préjudice s’élève à 2,5 milliards de dollars. La nouveauté dans cette affaire est que la lutte contre la corruption, limitée jusqu’alors aux cadres subalternes, n’épargne plus les hauts gradés, en dépit du fait que bon nombre d’entre eux bénéficie de la protection des milices irakiennes.
Moustafa al-Kazimi, premier ministre de 2020 à 2022, est réputé proche des Etats Unis. Ancien chef des services de renseignements irakiens, l’ancien premier ministre irakien, proche de l’administration républicaine de Donald Trump et de son secrétaire d’Etat Mike Pompeo, est accusé par les groupes pro-iraniens d’avoir participé à l’élimination de Qassem Soleimani, le chef de la célèbre «Jerusalem Brigade», le bataillon de choc des «Gardiens de la Révolution» iranienne.
Né en 1967 à Bagdad, ce journaliste et avocat des droits de l’homme, avait milité contre le régime baassiste et dut s’exiler en Europe: en Allemagne, puis au Royaume-Uni où il resta jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003.
Repéré par les Américains pour ses qualités de collecte et d’analyse d’informations, il est nommé à la direction des services de renseignement, Iraqi National Intelligence Service, poste qu’il obtient en 2016 alors que l’Irak est en pleine guerre contre le groupe Etat Islamique.
Kazimi a été épargné jusqu’à présent, alors que la presse abonde d’informations sur les détournements de deniers publics qui s’élèveraient depuis l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, il y a vingt ans, à plusieurs centaines de millions de dollars vers des banques hors d’Irak.
Elizabeth Tsurkov
Dans ce qui apparaît comme un indice de sa connivence occidentale, Moustapha Kazimi était informé de la présence en Irak de l’universitaire Elizabeth Tsurkov, enlevé en Mars 2023 par les des milices chiites irakiennes proches des “Gardiens de la Révolution Iranienne, Les brigades du Hezbollah (Kataeb Hezbollah).
Kazimi était informé de la présence de cette chercheuse porteuse de la double nationalité russe et israélienne, de même que de ses activités et des dangers qu’elle courait et en avait informé aussi bien Moscou que Washington. Elizabeth Tsurkov s’est présentée en Irak comme préparant une thèse de doctorat à l’Université de Princeton.
Depuis la Guerre de Syrie (2010-2011), elle avait développé un réseau de contact au sein des groupes rebelles syriens. En Irak, ses recherches ont porté sur les milices chiites irakiennes. Elle était consultante auprès de l’Atlantic Council et The European Institute for Peace.
Cf ce lien sur cette affaire : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/06/une-chercheuse-israelo-russe-kidnappee-en-irak_6180722_3210.html
La sonnette d’alarme d’Adel Abdel Mehdi: 450 milliards de dollars volatilisés entre 2003 et 2015
Adel Abdel-Mehdi, ancien premier ministre du 25 octobre 2018 au 7 Mai 2020, avait, le premier, tiré la sonnette d’alarme, révélant que près de 50 pour cent du budget irakien entre 2004 et 2°15, qui s’est élevé à 850 milliards de dollars s’était évaporé, soit un pillage de 450 milliards de recettes fiscales, prenant le chemin de la Suisse, de la City de londres, voire même de Dubaï.
Né le 1er janvier 1843 à Bagdad, Adel Abdel-Mahdi a été membre jusqu’en 2017 du puissant parti chiite du Conseil islamique irakien suprême, ou SIIC.
Longtemps basé en Iran voisin, le groupe est opposé à une administration du pays par les Etats Unis tout en maintenant des liens étroits avec des groupes soutenus par les Américains qui se sont opposés à Saddam Hussein, y compris les Kurdes et le congrès national irakien.
Fils d’un combattant de la guérilla de 1920, Adel Abdel-Mehdi a fait ses études au Collège des Jésuites de Bagdad. Il adhère au Parti Baas en 1960 mais s’en détache au bout de quatre ans en 1964.
Sous la présidence d’Abdel Karim Kassem, il est jugé pour ses idées nationalistes arabes et emprisonné. En février 1963, il est libéré par la Révolution baasiste. À la suite de cette libération,
Adel Abdel-Mehdi est nommé vice-président de l’Union nationale des étudiants irakiens.
En 1969, il décide de s’exiler en France. Francophone et père de quatre enfants tous de nationalité française, il assume durant son séjour parisien la responsabilité il a été responsable de l’Institut Français des Etudes Islamiques. Titulaire d’un doctorat en économie, il est l’auteur d’une encyclopédie arabe en sciences économiques.
En 2007, Adel Abdel-Mehdi est victime d’un attentat qui fera quatre morts mais il s’en sort n’étant que légèrement blessé.
En septembre 2014, il est nommé ministre du Pétrole du gouvernement de Haïdar al-Abadi. En mars 2016, il démissionne du gouvernement. Deux ans plus tard, il devient Premier ministre, le 3 octobre 2018.
Le 1er octobre 2019, il est la cible de manifestations qui se déroulent à travers le pays, et qui ont fait près de 100 morts et 3.000 blessés. Le 29 novembre, il annonce sa démission, acceptée par le parlement le 1 er décembre.
Ministre des Finances dans le gouvernement intérimaire d’Iyad Allaoui, c’est sous son mandat de Ministre des Finances que la dette irakienne a été considérablement réduite (à hauteur de 80 %) lors d’un accord historique en 2003 au Club de Paris réunissant les principaux États créanciers de L’Irak.
Le casse du siècle
L’ampleur du scandale est telle que la presse irakienne n’a pas hésité à qualifier ce scandale de «casse du siècle». Parmi les gros scandales figurent la réfection du réseau électrique et l’achat de détecteurs d’explosifs
a- La réfection du réseau électrique.
La coupure du courant électrique est fréquente en Irak, de l’ordre de 18 heures en moyenne par jour. Le gouvernement avait alloué 30 milliards de dollars à la réfection du réseau électrique. Mais les milliards se sont envolés et le courant n’a pas été rétabli.
b- Les détecteurs d’explosifs:
L’Irak a commandé auprès du Royaume Uni 6.000 détecteurs d’explosifs d’une valeur de 400 millions de dollars. A l’usage, ces détecteurs se sont révélés inopérants entraînant la mort de plusieurs milliers d’irakiens, tués par l’explosion de charges.
c- L’inspection surprise des casernes de Bagdad par le ministre irakien de la Défense: Où se sont envolés les milliards de dollars consacrés à la Défense?
Symptomatique de la dégradation générale des services publics irakiens aura été l’inspection surprise de M. Thabet Al Abassi, ministre irakien de la défense, au caserne de la 6eme division de Bagdad, chargée de la défense de la capitale.
Consterné et choqué par l’état de délabrement des installations,le ministre s’est écrié en ces termes: “Quel pitoyable état! Où sont les milliards de dollars consacrés à la défense?. Drôle de dortoir pour des êtres humains. Comment tolérez-vous de vivre dans de telles conditions? Personne n’accepte de vivre dans de telles conditions et si vous, vous l’acceptez, moi je ne l’accepte pas pour vous, a-t-il poursuivi rempli de colère.
Le ministre a effectué son inspection surprise, à bord d’un taxi, accompagné d’un seul collaborateur. Il a promis qu’il en fera d’autres pour se faire une idée précise de l’état de la défense du pays.
Titulaire d’un diplôme en sciences militaires, M. Abbassi a été nommé ministre de la défense du gouvernement Mohamad Chayyah Al Soudani, le 27 octobre 2022, sur proposition de son groupe parlementaire “Azm” (détermination), lequel, avec 20 membres, constitue la 2me formation (sunnite) par ordre d’importance au parlement irakien présidé par M. Mohamad Halboussi.
Le récit de cette inspection surprise sur ce lien, cf Ar Rai Al Yom 10 avril 2023
Le Hold up de Donald Trump
Donald Trump ne s’embarrasera pas de considérations protocolaires. A la manière des cow boys du Far West, Le président américain va se livrer à un hold up sur le pactole irakien. Fraîchement élu et intronisé en janvier 2017, Donald Trump a inauguré son mandat par un grand coup financier.
A la manière des nouveaux «capo» des mafias, pour marquer sa prise de pouvoir, il a ordonné au Trésor américain de bloquer les comptes bancaires d’une vingtaine de hauts dirigeants irakiens, qui ont accédé au pouvoir après l’invasion de l’Irak, en 2003. Le Trésor américain a recensé 22 comptes bancaires alimentés en dollars américains, totalisant 553 milliards de dollars! 22 comptes bancaires appartenant à des personnalités politiques irakiennes, dont l’immense majorité est aujourd’hui au pouvoir, considérés comme des alliés des Etats unis.
«En réparation du sang américain versé en Irak».
Le surprenant est que le président Trump a estimé que cet argent confisqué revenait de droit au peuple américain «en réparation du sang versé par les soldats américains en Irak». Cet argent a été accumulé, en une décennie, par les nouvelles élites irakiennes apparues depuis l’invasion de l’Irak par les président Américain Georges Bush, et proviendraient du détournement de l’argent public irakien, via les transactions étatiques, principalement dans les secteurs du pétrole et de la reconstruction du pays.
Pas de compte au nom du Clan Saddam Hussein
A noter que le Trésor américain n’a trouvé aucun compte bancaire au nom du Président Saddam Hussein, et de ses fils, ni au nom de Tarek Aziz, son ancien ministre des Affaires étrangères, de Taha Yassine Ramadan ou d’Izzat Ibrahim al-Douri, le successeur de Saddam Hussein à la tête de la guérilla baasiste anti américaine, ou de n’importe quel autre visage de leur carte de jeu macabre, ni d’aucun ministre irakien membre des gouvernements successifs du long règne du régime baassiste.
Liste des responsables irakiens dépossédés de leurs milliards de dollars, dirigeants qui n’ont ni protesté ni saisi les tribunaux américains à ce jour:
- Nouri al-Maliki, 66 milliards de dollars
- Massoud Barzani, 59 milliards de dollars,
- Bahaa al-Araji, 37 milliards de dollars
- Adel Abdel-Mahdi, 31 milliards de dollars
- Baqir Jabr al-Zubeidi, 30 milliards de dollars
- Rafaa al-Issawi, 29 milliards de dollars
- Saleh al-Mutlaq, 28 milliards de dollars,
- Oussama al-Noujaifi, 28 milliards de dollars
- Adnan al-Assadi, 25 milliards de dollars
- Hoshyar Zoubeiri, 21 milliards de dollars
- Mohamed al-Karbouli, 20 milliards de dollars
- Mohamed Derradji, 19 milliards de dollars
- Ali al-Allaq, 19 milliards de dollars
- Saadoun Dlimi, 18 milliards de dollars
- Haydar Al-Abadi, 17 milliards de dollars
- Farouk al-Araji, 16 milliards de dollars
- Salim al-Jabouri, 15 milliards de dollars
- Ahmed Nouri al-Maliki, 14 milliards de dollars
- Ali al-Yasari, 12 milliard de dollars
- Hassan al-Anbari, 7 milliard de dollars
- Tariq Najm, 7 milliards de dollars
Le coût de l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak: 8 trillions de dollars
La «guerre contre le terrorisme» menée par les États-Unis a fait près d’un million de morts dans le monde et coûté plus de 8. 000 milliards de dollars (huit trillions de dollars), depuis son lancement en 2001, selon un rapport du projet “Costs of War” de l’université Brown. Le rapport estime que la guerre contre le terrorisme a tué directement 897.000 à 929.000 personnes– dont au moins 387.072 civils. En 2015, l’organisation nobélisée “Physicians for Social Responsibility” a estimé que plus d’un million de personnes avaient été tuées directement et indirectement dans les seules guerres en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
Parmi les coûts économiques comptabilisés dans son rapport, Costs of War dénombre 2. 300 milliards de dollars dépensés par les États-Unis dans des opérations militaires en Afghanistan et au Pakistan, 2.100 milliards de dollars en Irak et en Syrie et 355 milliards de dollars en Somalie et dans d’autres régions d’Afrique.
Dans un rapport publié en 2022 l’an dernier, Costs of War estimait que la guerre contre le terrorisme avait déplacé au moins 37 millions de personnes, en plus des centaines de milliers de victimes directes de la violence.
Les autorités ont aussi délibérément falsifié des informations sur les décès causés par les forces américaines: «L’éphémère Office of Strategic Influence (OSI) (2001-2002) du département américain de la Défense est un exemple frappant de mésinformation et de désinformation produites par le gouvernement pour inciter l’opinion publique à soutenir sa politique en Irak», notent les auteurs du rapport intitulé «Casualty Figures after 10 years of the War on terror»
Si l’Amérique a détruit l’Irak, ses successeurs n’ont pas su rebâtir le pays. Ils se sont plutôt acharnés à le piller. Les factions sectaires et ethniques au pouvoir ont établi un système rentier captif des cours du pétrole. Un système aux mains d’organisations de type mafieux qui importait presque tout et négligeait la crise climatique et de l’eau tandis que le chômage explosait.
Dans l’Irak d’aujourd’hui, le gouvernement a été formé par une coalition qui a obtenu les voix d’à peine 15 % de l’électorat, principalement en raison de la faible participation et de la désillusion croissante vis-à-vis du système. Une alliance de groupes politiques, d’acteurs armés et d’institutions judiciaires servant ses propres intérêts rétablit les lois de l’ère de Saddam Hussein et les utilise pour restreindre la liberté d’expression, les libertés individuelles et l’activisme politique.
Les assassinats politiques sont tolérés par les forces de l’ordre. Il y a un énorme fossé entre cet Irak et celui envisagé par les optimistes en 2003. C’est un fossé que l’administration américaine a contribué à creuser par son occupation mal préparée et mise en œuvre imprudemment, ainsi que son abandon rapide du pays. Et pourtant, ce sont les Irakiens, et leurs groupes politiques dominants en particulier, qui assumeront la plus grande part de responsabilité», analyse Harith Hassan, responsable de recherche au Carnegie Middle East Center.
Pour aller plus loin sur le même thème
- https://www.madaniya.info/2018/09/21/le-martyrologe-scientifique-irakien/
- La version arabe du «casse du siècle», cf ce lien Ar Rai al Yom Mardi 4 Mars 2023
- Et le journal libanais Al Akhbar
Illustration
(Khalid Mohammed/AP/Sipa)
Source : auteur
https://www.madaniya.info/…