Des Palestiniens, dont certains sont blessés ou ont récupéré leurs biens, traversent le quartier d’Al-Karama qui a été détruit par les frappes aériennes israéliennes ; ville de Gaza. Les forces coloniales israéliennes continuent de pilonner la bande de Gaza pour la cinquième journée. Les frappes aériennes israéliennes ont tué au moins 1300 Palestiniens et déplacé plus de 300 000 personnes. Pour beaucoup, il s’agit d’un deuxième ou d’un troisième déplacement, puisque la majorité des habitants de Gaza sont des réfugiés de toute la Palestine. Les forces coloniales israéliennes ont également décrété un siège total de la bande de Gaza, privant les deux millions d’habitants de l’enclave d’accès à la nourriture, à l’eau, au carburant et à l’électricité – Photo : Mohammed Zaanoun/ Activestills
Par Ramzy Baroud
Gaza a bouleversé l’équation politique en Palestine. De plus, les répercussions de la guerre dévastatrice en cours sont susceptibles de modifier le champ politique dans l’ensemble du Moyen-Orient et de recentrer la Palestine comme la crise politique la plus urgente dans le monde pour les années à venir.
Depuis la création d’Israël en 1948, soutenue par la Grande-Bretagne et protégée par les États-Unis et d’autres pays occidentaux, les priorités ont été entièrement israéliennes. « La sécurité d’Israël, l’avantage militaire d’Israël, le droit d’Israël à se défendre … et bien d’autres choses encore, sont les mantras qui ont défini le discours politique de l’Occident sur l’occupation israélienne et l’apartheid en Palestine.
Cette étrange conception américano-occidentale du soi-disant conflit, selon laquelle l’oppresseur a des « droits » sur l’opprimé et l’occupant des « droits » sur l’occupé, a permis à Israël de maintenir une occupation militaire des territoires palestiniens qui dure depuis plus de 56 ans.
Mais nombreux sont ceux qui affirment qu’elle dure depuis plus de 75 ans.
Elle a également permis à Israël de mettre de côté les racines de ce « conflit », à savoir le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948 et le droit au retour des réfugiés palestiniens, longtemps nié et totalement légitime.
Dans ce contexte, toutes les ouvertures de paix palestino-arabes ont été rejetées. Même le prétendu « processus de paix », à savoir les accords d’Oslo, s’est transformé en une belle opportunité pour Tel-Aviv de renforcer son occupation militaire, d’étendre ses colonies illégales et d’enfermer les Palestiniens dans des espaces semblables à des bantoustans, en les humiliant et en les soumettant à une ségrégation raciale.
Certains Palestiniens, séduits par les cadeaux américains ou brisés par un sentiment persistant de défaite, ont fait la queue pour recevoir les dividendes de la paix américano-israélienne : de pitoyables miettes d’un prestige sans contenu, des titres creux et un pouvoir limité, accordés ou refusés par Israël lui-même.
Cependant, la guerre israélienne contre les Palestiniens de Gaza est déjà en train de modifier une grande partie de ce douloureux statu quo.
L’insistance permanente de l’État d’occupation sur le fait que sa guerre meurtrière est menée contre le mouvement Hamas, contre la « terreur », contre le fondamentalisme islamique et tout le reste, a peut-être convaincu ceux qui sont prêts à accepter la version israélienne des événements pour ce qu’elle est.
Mais lorsque les corps de milliers de civils palestiniens, dont des milliers d’enfants, ont commencé à s’accumuler dans les morgues des hôpitaux de Gaza et, tragiquement, dans les rues, le discours a commencé à changer.
Les corps pulvérisés d’enfants palestiniens, de familles entières qui ont péri ensemble, témoignent de la brutalité d’Israël, du soutien immoral de ses alliés et de l’inhumanité d’un ordre international qui récompense le meurtrier et afflige la victime.
De toutes les déclarations biaisées et honteuses du président américain Joe Biden, celle où il a suggéré que les Palestiniens mentaient sur le nombre de leurs propres morts était peut-être la plus inhumaine.
Washington ne le réalise peut-être pas encore, mais les répercussions de son soutien inconditionnel à Israël se révéleront désastreuses à l’avenir, en particulier dans une région qui en a assez de la guerre, de l’hégémonie, des doubles standards, des divisions sectaires et des conflits sans fin.
Mais c’est en Israël même que l’impact sera le plus fort.
Lorsque l’ambassadeur palestinien auprès des Nations unies, Riyad Mansour, a prononcé un discours puissant et émouvant le 26 octobre, il n’a pu retenir ses larmes.
Les délégations internationales présentes à l’Assemblée générale des Nations unies n’ont pas cessé d’applaudir, reflétant le soutien croissant dont bénéficie la Palestine, non seulement à l’ONU, mais aussi dans des centaines de villes et à d’innombrables espaces dans le monde entier.
Lorsque l’ambassadeur israélien à l’ONU, Gilad Erdan, qui avait défendu bon nombre des mensonges véhiculés par Tel-Aviv, en particulier dans les premiers jours de la guerre, a terminé son discours, pas une seule personne n’a applaudi. Le mépris était palpable.
Le récit israélien s’est manifestement effondré en mille morceaux. Israël n’a jamais été aussi isolé. Ce n’est certainement pas le « nouveau Moyen-Orient » que Netanyahu avait prophétisé dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 22 septembre.
Incapable de comprendre comment la sympathie au moins affichée à l’égard d’Israël s’est transformée si rapidement en un mépris total, l’État colonisateur a recouru à ses vieilles tactiques.
Le 25 octobre, M. Erdan a exigé que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, démissionne parce qu’il est « inapte à diriger l’ONU ». Le crime supposé impardonnable du premier dirigeant de l’ONU a été de suggérer que « les attaques du Hamas ne se sont pas produites dans le vide ». Ce en quoi il avait parfaitement raison.
En ce qui concerne Israël et ses bienfaiteurs américains, cependant, aucun contexte n’est autorisé à entacher l’image parfaite que les Israéliens ont créée pour leur génocide à Gaza.
Dans ce monde israélien parfait, personne n’est autorisé à parler d’occupation militaire, de siège, d’absence de perspectives politiques, de déplacement, d’absence de paix juste pour les Palestiniens.
Bien qu’Amnesty International ait déclaré que les deux parties avaient commis « de graves violations du droit humanitaire international, y compris des crimes de guerre », Israël a continué à l’attaquer, l’accusant d’être « antisémite ». Dans l’esprit d’Israël, même le principal groupe international de défense des droits de l’homme n’est pas autorisé à replacer les atrocités commises à Gaza dans leur contexte ou à oser suggérer que l’une des « causes profondes » du conflit est « le système d’apartheid israélien imposé à tous les Palestiniens ».
Israël n’est plus tout-puissant, comme il veut nous le faire croire. Les événements récents ont prouvé que son « armée invincible » – une image de marque qui a permis à Israël de devenir, à partir de 2022, le dixième exportateur mondial de matériel militaire – s’est avérée être un tigre de papier.
C’est ce qui exaspère le plus Israël. « Les musulmans n’ont plus peur de nous », a déclaré Moshe Feiglin, ancien membre de la Knesset, à Arutz Sheva-Israel National News. Pour rétablir cette peur, l’homme politique fasciste génocidaire, a appelé à réduire « Gaza en cendres immédiatement ».
Mais rien ne réduira Gaza en cendres. Pas même les plus de 12 000 tonnes d’explosifs largués sur la bande au cours des deux premières semaines de guerre, qui ont déjà incinéré au moins 45 % des habitations, selon le bureau humanitaire des Nations unies.
Gaza ne mourra pas, parce qu’il s’agit d’une idée puissante, profondément ancrée dans le cœur et l’esprit de chaque Arabe, de chaque musulman et de millions et millions de personnes dans le monde.
Cette nouvelle idée remet en question l’ancienne croyance selon laquelle le monde doit répondre aux priorités d’Israël, à sa sécurité, à ses définitions égoïstes de la paix et à toutes les autres illusions.
L’accent doit désormais être mis là où il aurait toujours dû l’être : les priorités de l’opprimé, et non de l’oppresseur. Il est temps de parler des droits des Palestiniens, de la sécurité des Palestiniens et du droit – en fait, de l’obligation – du peuple palestinien à se défendre.
Il est temps pour nous de parler de justice – de vraie justice – dont le résultat n’est pas négociable : l’égalité, les pleins droits politiques, la liberté et le droit au retour.
Gaza dit au monde tout cela, et bien plus encore. Il est temps pour nous d’écouter.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l’auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s’intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
31 octobre 2023 – The Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Boutros
Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…