Chars israéliens avançant sur le plateau du Golan pendant la guerre des Six Jours, juin 1967 [Photo by Government Press Office (Israel) / CC BY-SA 4.0]

Par Jean Shaoul

Ceci est la deuxième partie d’un article en deux parties. La première partie a été publiée le 23 octobre 2023.

La politique du Grand Israël

La guerre de 1967 a marqué un tournant dans le développement d’une politique du Grand Israël consistant à annexer définitivement les terres saisies.

La guerre a étendu les frontières de fait d’Israël et créé de nouvelles vagues de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Le gouvernement d’union nationale, dirigé par le Premier ministre travailliste Levi Eshkol, a établi des colonies de style colonial dans les territoires nouvellement conquis, au mépris des conventions internationales. Les colonies ont à leur tour créé une couche sociale directement intéressée par la politique expansionniste d’Israël, fournissant un pôle d’attraction à certaines des forces les plus réactionnaires, dont les héritiers fascistes sont aujourd’hui au gouvernement et en dictent la politique. Ces forces ont rapidement fait évoluer la politique israélienne vers la droite dans les années 1970, augmentant l’instabilité sociale et mettant fin à l’emprise du parti travailliste sur le gouvernement.

De gauche à droite, le général Uzi Narkiss, le ministre de la Défense Moshe Dayan et le chef d’état-major, le lieutenant-général Yitzhak Rabin, qui deviendra plus tard Premier ministre travailliste israélien, dans la vieille ville de Jérusalem après sa chute aux mains des forces israéliennes lors de la guerre des Six Jours. [Photo by National Photo Collection of Israel, Photography dept / CC BY-SA 3.0]

La répression visant à imposer l’occupation des terres palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza s’est intensifiée à travers l’imposition d’un régime militaire, de punitions collectives, de démolitions de maisons, de déportations forcées et de détentions sans procès, tandis que les Palestiniens devinrent une réserve de main-d’œuvre bon marché exploitée brutalement par les employeurs israéliens. Les dirigeants palestiniens se sont d’abord installés en Jordanie, jusqu’à ce qu’ils soient chassés dans une guerre brutale par la Jordanie en 1970, puis au Liban.

Après la victoire électorale du dirigeant du Likoud, Menachem Begin, en 1977, Israël a lancé une politique expansionniste meurtrière au Liban, avec une série de raids, d’incursions et d’opérations secrètes en alliance avec les forces fascistes libanaises contre les Palestiniens et leurs alliés pendant 15 ans de guerre civile libanaise. Ces guerres et activités secrètes devaient se poursuivre pendant 30 ans.

Suite du massacre de Palestiniens dirigé par les Forces libanaises avec la complicité de hauts membres du Cabinet israélien et des Forces de défense israéliennes et mené par des phalangistes chrétiens et des membres de l’armée du Sud-Liban dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila. [Photo: Robin Moyer, USA, Black Star for Time. Beirut, Lebanon, 18 September 1982. ]

On estime que 32.000 Palestiniens et un nombre incalculable de Libanais ont été tués, coûtant la vie à environ 1.500 Israéliens au cours d’opérations comprenant le massacre de 3.000 Palestiniens à Sabra et Chatila, le camp de réfugiés palestiniens de Beyrouth, par les alliés phalangistes d’Israël sous la protection de l’armée israélienne en septembre 1982.

La fraude d’Oslo

Les attaques israéliennes contre les Palestiniens au Liban et les violations répétées des droits de l’homme dans les territoires occupés ont donné naissance à la première Intifada, le soulèvement palestinien spontané de 1987 à 1993 qui éclata hors du contrôle de l’OLP. Elle a été brutalement réprimée par Israël, coûtant la vie à plus de 1.000 Palestiniens, soit plus de 6 fois le nombre de Juifs israéliens tués.

Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et le président de l’OLP Yasser Arafat, le 13 septembre 1993.

Cela a conduit à la signature des accords d’Oslo en 1993 par le Premier ministre travailliste israélien Yitzhak Rabin et Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche, Arafat et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) acceptant de reconnaître Israël et de renoncer au terrorisme.

Les accords étaient censés inaugurer la création d’un État palestinien ayant pour capitale Abu Dis, une banlieue de Jérusalem-Est – la soi-disant solution à deux États. Arafat et l’Autorité palestinienne assumeraient le rôle d’Israël dans le contrôle des masses palestiniennes dans un État divisé, composé de bantoustans non contigus, qui serait séparé d’Israël mais sous le joug de ce dernier. Cela ôtait toute possibilité de démocratie pour les Palestiniens.

Les ultranationalistes israéliens et leurs représentants politiques au sein du Likoud et d’autres partis d’extrême droite et religieux ont rejeté même cette parodie d’un État palestinien sur une terre qu’ils convoitaient. À peine deux ans plus tard, en octobre 1995, des nationalistes religieux de droite, poussés par les dirigeants de l’opposition belliciste Ariel Sharon et Benjamin Netanyahu, dénoncèrent Rabin comme un traître lors d’une manifestation de colère à Jérusalem. Un mois plus tard, un fanatique religieux assassina Rabin.

Israël a utilisé les accords d’Oslo pour étendre les colonies en Cisjordanie plus rapidement que jamais, prendre le contrôle de l’eau et d’autres ressources, construire des routes et installer plus de 600 points de contrôle, perturbant ainsi les mouvements dans toute la région et détruisant son économie. Les colonies, qui accueillent maintenant au moins 500 000 Israéliens, soit près de 20 pour cent de la population, contrôlent un pourcentage bien plus important des terres, y compris les plus fertiles et les plus productives.

Israël annexa Jérusalem-Est, une partie de la Cisjordanie, en violation du droit international, et actuellement ses résidents palestiniens ne constituent plus qu’une simple majorité après la construction de quelque 200 000 maisons de colons. Ces dernières années, des affrontements ont eu lieu à plusieurs reprises entre les Palestiniens et la police suite aux menaces d’expulsion de familles palestiniennes des quartiers de Sheikh Jarrah et de Silwan à la demande de groupes d’extrême droite et religieux dirigés par Ben-Gvir.

Faris Odeh, un garçon de 14 ans qui a été tué début novembre 2000, pendant la deuxième Intifada, jette une pierre sur un char des Forces de défense israéliennes dans la bande de Gaza. Cette photo a été prise le 29 octobre 2000 et Odeh a été abattu dix jours plus tard, le 8 novembre, alors qu’il jetait à nouveau des pierres sur les troupes israéliennes. [Photo: Associated Press/Laurent Rebours)]

Ces conditions ont donné naissance à la deuxième Intifada en septembre 2000, après la marche provocatrice d’Ariel Sharon à travers l’enceinte de la mosquée Al Aqsa sous escorte militaire pour affirmer le contrôle d’Israël sur le troisième lieu saint de l’Islam. L’Intifada était tout autant un soulèvement contre les dirigeants de l’OLP qui avaient sanctionné les désastreux accords d’Oslo. Entre 2000 et 2008, les forces de sécurité israéliennes ont tué près de 5 000 Palestiniens, soit environ cinq fois le nombre d’Israéliens tués par les Palestiniens.

Le mur de séparation et le blocus de Gaza

Sharon a ensuite ordonné la construction de la tristement célèbre barrière de séparation qui a volé 10 pourcent supplémentaire des terres palestiniennes pour séparer Israël des Palestiniens et couper des milliers de Palestiniens de leurs familles et de leurs lieux de travail. Les assassinats ciblés de dirigeants palestiniens sont devenus monnaie courante, au milieu des revendications de l’extrême droite en faveur de «transferts de population» et de mesures visant à effectuer un nettoyage ethnique pour contrer la «bombe à retardement démographique». Le nombre de Palestiniens dépasse désormais le nombre de Juifs à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël et des territoires occupés.

Première construction israélienne de la barrière en Cisjordanie, 2003 [Photo by joeskillet/Flickr / CC BY 2.0]

En 2005, Sharon a fermé 14 colonies israéliennes et retiré l’armée de la bande de Gaza, tout en gardant le contrôle des entrées par voie terrestre, maritime et aérienne. Cela masquait un accaparement de terres bien plus important en Cisjordanie, auquel l’administration Bush avait donné le feu vert.

Deux ans plus tard, après la défaite des forces du Fatah par le Hamas lors d’une tentative de coup d’État, Israël a imposé un blocus étouffant qui a transformé Gaza en un ghetto appauvri, dévastant la vie de ses habitants. Il empêche toute indépendance à Gaza, ne fournissant que le strict minimum de services essentiels tels que l’eau et l’électricité – après avoir détruit une grande partie de ses infrastructures publiques et de ses bâtiments résidentiels, hôpitaux, écoles et mosquées à la suite d’attaques meurtrières contre l’enclave, qu’il qualifie de «tonte de l’herbe». Il s’agit notamment de l’opération Plomb durci (2008-09), de l’opération Pilier de défense (novembre 2012) et de l’opération Bordure protectrice (2014). Le bilan combiné des morts palestiniennes lors de plus de sept attaques majeures contre Gaza par la plus puissante force aérienne du Moyen-Orient s’élève à au moins 4.164, avec une perte de seulement 102 vies israéliennes.

L’armée de l’air israélienne largue une bombe à fragmentation au phosphore blanc sur une zone peuplée de Gaza lors de l’opération « Plomb durci », décembre 2008/janvier 2009 [Photo by Al Jazeera Creative Commons Repository / CC BY 3.0]

Dans l’impossibilité de procéder à une quelconque reconstruction, la situation économique de Gaza était désastreuse bien avant l’assaut actuel. Environ les trois quarts des ménages gazaouis dépendent d’une certaine forme d’aide des Nations Unies et d’autres agences, qui, selon l’Union européenne, est désormais « en cours d’examen ». En 2012, l’ONU avait prédit que l’enclave assiégée serait inhabitable en 2020, pour ensuite rapprocher cette échéance en 2017 pour avertir que le «développement enrayé» se produisait encore plus rapidement que prévu.

La situation en Israël des citoyens palestiniens, qui représentent 20 pour cent de la population, est précaire. Leurs foyers comptent parmi les plus pauvres du pays, leurs communautés sont confrontées à la négligence des autorités et à la discrimination budgétaire. Les niveaux de pauvreté et de chômage sont tels que des bandes criminelles rivales ont pris le contrôle des villes et villages arabes, entraînant plus de 180 meurtres depuis le début de l’année.

En mai 2021, les citoyens palestiniens d’Israël sont descendus dans la rue. Des grèves, manifestations et d’émeutes ont été déclenchées par la violente prise d’assaut par la police de la mosquée Al Aqsa et les actes violents de nettoyage ethnique à Jérusalem-Est. Ce fut la première fois qu’ils se joignaient à une grève générale avec les Palestiniens dans les territoires occupés pour protester contre l’assaut contre Gaza et contre la constitution israélienne de type apartheid. La coalition d’extrême droite de Netanyahu envisage de disqualifier les membres palestiniens de la Knesset de siéger au parlement israélien et d’interdire à leurs partis de se présenter aux élections.

Une révolte des opprimés

C’est cette immense souffrance qui a conduit à l’action palestinienne du 7 au 9 octobre. Semblable à une mission suicide de masse, il s’agit de la révolte d’un peuple opprimé déterminé à échapper au camp de concentration dans lequel Israël, avec le soutien de toutes les grandes puissances, l’a enfermé.

Le feu et la fumée s’élèvent d’une explosion dans une tour d’appartements palestinienne à la suite d’une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023. [AP Photo/Adel Hana]

Comme l’a expliqué le World Socialist Web Site (WSWS), un État fondé sur « la répression continue des Palestiniens a toujours été incapable de développer une société véritablement démocratique. Son évolution en tant qu’État de garnison pour l’impérialisme américain, en guerre répétée avec ses voisins arabes et en guerre perpétuelle avec les Palestiniens; en poursuite d’une politique expansionniste du «Grand Israël»; s’appuyant de plus en plus fermement sur la population des colons de droite dans les territoires occupés et sur les subventions militaires américaines pour compenser l’ impact déstabilisateur des niveaux aigus des inégalités sociales parmi les plus élevés au monde, c’est ce qui a ouvert la voie au monstre de Frankenstein du gouvernement de Netanyahu».

La guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza est la démonstration ultime de l’essence réactionnaire du sionisme. Un État capitaliste prétendant offrir un refuge aux Juifs a au contraire produit des décennies de mort, de nettoyage ethnique et de dépossession des Palestiniens qui y vivaient, plaçant les Juifs israéliens dans un conflit permanent avec leurs voisins arabes.

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a soutenu le 9 octobre:

«La classe dirigeante israélienne en est maintenant au point où la perspective réactionnaire d’assurer un État juif exclusiviste par l’expulsion forcée des Palestiniens ne peut être maintenue que par le meurtre de masse et le nettoyage ethnique». On demande aux travailleurs juifs de mener cette guerre sous la direction d’un gouvernement de criminels fascistes. C’est une guerre qui est le prélude à un embrasement bien plus large, parallèlement à la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine et en Iran et contre ses alliés en Syrie et le Hezbollah au Liban, qui menace le monde de mort à une échelle inimaginable.»

La sale guerre d’Israël ne peut prendre fin que grâce à l’action politique indépendante de la classe ouvrière à travers le Moyen-Orient et à l’échelle internationale, y compris les travailleurs israéliens qui sont prêts à prendre position contre la xénophobie nationaliste de tous leurs dirigeants et de leurs partis.

Tout au long du mouvement de neuf mois qui s’est opposé au coup d’État judiciaire de Netanyahu et aux efforts visant à assumer des pouvoirs dictatoriaux, le WSWS a averti que les dirigeants autoproclamés des manifestations partageaient tous la politique expansionniste de Netanyahu aux dépens des Palestiniens – comme la volonté des dirigeants de l’unité nationale, les anciens chefs d’état-major de Tsahal Benny Gantz et Gadi Eizenkot, à rejoindre son gouvernement fascisant pour poursuivre la guerre en est la preuve. Après avoir revendiqué leur soutien aux manifestations massives contre Netanyahu, Ben Gvir et Smotrich, ils appellent désormais des centaines de milliers de réservistes à tuer des civils innocents et à mourir pour eux. Ils seront à jamais associés aux yeux du monde à l’un des plus grands crimes du XXIe siècle.

Le CIQI insiste sur le fait que l’ennemi des travailleurs et des jeunes en Israël ne sont pas les Palestiniens, mais le gouvernement Netanyahu et la classe dirigeante israélienne:

« Le grand paradoxe historique et politique de la situation actuelle est le suivant: la classe ouvrière israélienne ne peut pas défendre ses propres droits démocratiques sans lutter pour les droits démocratiques du peuple palestinien contre l’oppression sioniste. Et les Palestiniens ne peuvent réaliser leurs aspirations aux droits démocratiques et à l’égalité sociale sans forger une alliance de combat avec la classe ouvrière israélienne. La seule perspective viable n’est pas une mythique «solution à deux États», mais un État socialiste unifié de travailleurs juifs et arabes…..

«Le soulèvement en Palestine fait lui-même partie d’une éruption de colère et d’opposition qui se développe sous la forme de grèves et de manifestations de masse dans le monde entier. C’est ce mouvement social, guidé par un programme et une perspective consciemment socialiste et révolutionnaire, qui doit être mobilisé pour mettre fin à la guerre impérialiste, à l’inégalité et à toutes les formes d’oppression. Tels sont la perspective et le programme de la Quatrième Internationale trotskiste, dirigée par le Comité international.»

(Article paru en anglais le 24 octobre 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…