Par Leila Nicolas
Le bureau de la prévention du Génocide et de la Responsabilité de protéger (R2P) des Nations Unies précise qu’en cas de génocide, l’intention est l’élément le plus difficile à établir :
« Pour qu’il y ait génocide, il faut démontrer que les auteurs des actes en question ont eu l’intention de détruire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux. La destruction culturelle ne suffit pas, pas plus que la simple intention de disperser un groupe. C’est cette intention spéciale, ou dolus specialis, qui rend le crime de génocide si particulier. En outre, la jurisprudence associe cette intention à l’existence d’un plan ou d’une politique voulue par un État ou une organisation, même si la définition du génocide en droit international n’inclut pas cet élément.
Il est important de noter que les victimes de génocide sont délibérément visées – et non pas prises au hasard – en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à l’un des quatre groupes de population protégés par la Convention (ce qui exclut les groupes politiques, par exemple). La cible de la destruction doit donc être le groupe, en tant que tel, et non ses membres en tant qu’individus. Le génocide peut également être commis contre une partie seulement du groupe, pour autant qu’elle soit identifiable (y compris à l’intérieur d’une zone géographiquement limitée) et « significative » [*].
Par conséquent, concernant la guerre menée contre la population de Gaza, y a-t-il un élément qui puisse nier l’intention d’Israël d’exterminer, en tout ou en partie, la population de Gaza en tant que groupe et non en tant qu’individus ? Peut-on se contenter de parler de « nettoyage ethnique », comme le déclarent certaines bonnes âmes qui se risquent à dire une partie de la vérité tout en essayant de rester dans les limites de ce qui leur semble justifiable quant aux crimes des agresseurs de la Palestine et des Palestiniens ?
Dr Leila Nicolas, Professeur de Relations internationales à l’Université libanaise, insiste sur l’importance juridique de la distinction entre génocide et nettoyage ethnique. [NdT].
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Bien que toutes les actions menées actuellement par Israël sur Gaza correspondent selon toutes les normes juridiques internationales à un génocide, l’Occident continue à insister sur le fait qu’elles relèvent de la « légitime défense », tandis que certains experts des Nations Unies parlent de « nettoyage ethnique » en sachant qu’il décrit un crime non inclus dans le système de la Cour pénale internationale (CPI), dont la Palestine est membre.
L’empressement occidental à acquitter Israël de l’accusation de génocide vient du fait qu’il est considéré comme « le crime des crimes » en droit international, d’autant plus qu’il se retrouve qualifié de crime dans le « Statut de Rome de la Cour pénale internationale » avec une Convention spéciale pour sa prévention et sa répression.
Le crime de génocide
Le terme « génocide » a été utilisé pour la première fois en 1944 par l’avocat polonais Raphaël Lemkin, en combinant le préfixe grec genos signifiant race ou tribu, avec le suffixe latin cide renvoyant à la notion de tuerie. Il a développé le concept de génocide non seulement pour décrire le crime de l’Holocauste, mais aussi pour qualifier des crimes commis antérieurement dans le but de détruire, partiellement ou totalement, des groupes particuliers ethniques ou religieux, dont le massacre des Arméniens.
Par la suite, le génocide a été érigé en crime autonome punissable par le droit international dans la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 », entrée en vigueur en 1951. Puis, le Statut de Rome a également criminalisé le génocide, ainsi que le Tribunal pénal international pour le Rwanda et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, etc.
De plus, la Cour internationale de Justice (ou CIJ : tribunal civil qui traite des différends entre États ; contrairement à la CPI : tribunal pénal qui poursuit en justice des individus ; NdT) a indiqué à plusieurs reprises que la Convention sur le génocide consacrait des principes relevant du droit international coutumier général, ce qui signifie que les États, qu’ils aient ou non ratifié ce texte, sont tous juridiquement liés par le principe selon lequel le génocide est un crime proscrit par le droit international. Cette même cour a également déclaré que l’interdiction du génocide constituait une norme impérative du droit international et, qu’à ce titre, elle ne devait souffrir aucune dérogation.
C’est l’article II de la Convention de 1948 qui définit le génocide comme l’un des actes cités ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux :
- meurtre de membres du groupe ;
- atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
- soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».
Le nettoyage ethnique
Le « nettoyage ethnique » est devenu le terme dominant utilisé pour éviter l’usage du mot génocide. Faute d’avoir été reconnu comme un crime autonome en droit international, il n’existe pas de définition précise de la notion de nettoyage ethnique ni des actes qui pourraient être qualifiés comme tel. Contrairement aux crimes contre l’humanité concernant notamment le transfert forcé et les déportations de populations civiles, aux crimes de guerre et au génocide, le nettoyage ethnique n’apparaît pas dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il n’y a donc pas de traité qui criminalise le nettoyage ethnique.
Description juridique des actes commis par Israël à Gaza
Dans la pratique, l’utilisation des termes nettoyage ethnique, crimes contre l’humanité ou génocide ne dépend pas du nombre de personnes tuées, mais dépend de critères juridiques précis. Ce qui distingue le génocide des autres crimes est la nécessité de prouver l’« l’intention » des auteurs du crime, de détruire, en tout ou en partie, un groupe en tant que groupe.
Ainsi, dans le cas du Soudan, une commission d’enquête des Nations Unies, dirigée par le juge Antonio Cassese, a déclaré que le meurtre de dizaines de milliers de civils au Darfour ne pouvait pas être considéré comme un crime de génocide pour « absence de preuves suffisantes témoignant de l’intention du gouvernement soudanais de détruire le groupe en tant que groupe ». Il n’empêche que les accusés n’ont pas échappé à leurs peines, car les données juridiques disponibles ont permis d’accuser des responsables du gouvernement d’avoir commis des crimes contre l’humanité.
Quant au cas d’Israël, il est clair que les déclarations des responsables israéliens décrivant les Palestiniens comme des animaux humains et celles appelant au massacre de tous les habitants de Gaza ou à leur transfert, en masse, vers le Sinaï prouvent l’intention israélienne d’exterminer, en tout ou en partie, la population de Gaza en tant que « groupe ».
Or, la Chambre préliminaire de la CPI ayant décidé le 5 février 2021, à la majorité, que la compétence territoriale de la Cour dans la situation en Palestine s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza ainsi que la Cisjordanie et Jérusalem-Est ; le procureur de la CPI peut initier des enquêtes sur qui se passe à Gaza, même si Israël n’en est pas membre.
En conclusion, au cas où pour une raison quelconque le terme « génocide » est juridiquement évité, alors qu’il n’est pas compliqué de prouver l’intention d’Israël d’exterminer partiellement ou totalement la population de Gaza ; il vaut mieux ne pas se référer au crime de nettoyage ethnique puisqu’il ne relève pas de la compétence de la CPI. Il est préférable d’utiliser les termes de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre », car ils sont au cœur du système de la CPI.
Dr. Leila Nicolas
26/10/2023
Source : Al-Mayadeen
[حرب غزة: « إبادة » وليست تطهيراً عرقيّاً]
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
[*][ Nations Unies : Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger]
Source : Mouna Alno-Nakhal