Par Olivier Mukuna
Large succès de foule, ce 22 octobre, pour la manifestation en faveur des Palestiniens et contre l’effroyable nettoyage ethnique à Gaza. Rassemblant entre 12.000 et 40.000 participants, selon les estimations policières et celles des organisateurs, la manif bruxelloise a démarré et s’est disloquée face à la Commission européenne. Aucun incident ni dérapage n’ont été à déplorer ; soit un signal fort pour certaines élites belges pro-israéliennes qui, comme en France, souhaitent interdire les rassemblements pro-palestiniens.
Familles, enfants, jeunes et moins jeunes, c’est à coup sûr plusieurs dizaines de milliers de personnes qui ont noirci le rond-point Schuman, dimanche, pour exprimer leur vibrant soutien à la Palestine. Mais également leur volonté de voir s’arrêter les bombardements israéliens sur Gaza, qui ont fait plus de 4000 morts, plus de 10.000 blessés et plus d’un million de déplacés en 15 jours… Enfin, la principale revendication politique a été adressée aux dirigeants européens : qu’ils cessent leur complicité manifeste envers le nettoyage ethnique perpétré par l’État colonial d’Israël sous prétexte de « lutte contre le terrorisme » .
Du Jourdain à la mer
Sur l’estrade, Pierre Galand, ancien sénateur socialiste et président de l’ABP (Association belgo-palestinienne), muscle son discours, d’habitude modéré : « Je dénonce la complicité de l’Europe dans le nettoyage ethnique en cours ainsi que la violente répression qui s’exerce en Cisjordanie [Territoires occupés]. Nous resterons mobilisés tant que la Palestine ne sera pas libérée… » Et la foule de clamer directement : « From the river to the sea ! From the river to the sea ! [Du Jourdain à la mer]… »
Sans être nommé ou prénommé par les organisateurs, un Belgo-palestinien prend ensuite le micro pour dénoncer les « massacre après massacre » qu’endure le peuple palestinien. Il poursuit : « Nous sommes ici devant l’Union européenne, devant les bâtiments dans lesquels la présidente de la Commission, Ursula Von Der Leyen, a soutenu inconditionnellement Israël dans la perpétuation de ses crimes de guerre, tout en niant notre droit à la résistance, y compris et surtout une résistance armée ! »
L’ovation de la foule est si puissante que, bousculés, nous en perdons notre carnet de notes qui tombe au sol. L’orateur lui-même se voit contraint de garder le silence quelques minutes devant la forte clameur et les slogans répétés d’approbation. Lorsque le calme revient, l’activiste belgo-palestinien conclut : « La Nakba [la catastrophe] en cours et l’injustice doivent prendre fin. Le monde entier ne nous laissera pas seuls face à cette machine à tuer coloniale. »
Escalade de lampadaires
Plutôt fréquente lors de chaque manif, l’escalade de deux lampadaires par un militant a ému une bonne partie de l’assistance. Le visage masqué par un keffieh, les pieds nus, le jeune homme a procédé à une double et agile ascension que n’ont pas manqué de photographier et filmer une série de téléphones.
Chaque paire d’yeux qui l’observait grimper pour accrocher, au sommet du mobilier urbain, un drapeau palestinien semblait habitée du même sentiment. À la fois une crainte que l’homme ne tombe et une fierté envers son acte audacieux et solidaire qu’aucun fonctionnaire de l’Union européenne ne serait capable d’imiter…
Malgré l’horreur des bombes, la détresse, l’impuissance et la colère, vécues nuit et jour, par écrans interposés, il y avait donc ce jeune homme ; va-nu-pieds, déterminé à planter deux drapeaux palestiniens le plus haut possible sur le rond-point Schuman ; ou ce lieu de collaboration institutionnelle avec l’apartheid, le colonialisme et la barbarie génocidaire en cours à Gaza. Comme pour montrer à toutes et tous, qu’aussi abominables que soient les douleurs ressenties, il resterait toujours de formidables gestes pour symboliser l’espoir, les luttes pour exister et pour la liberté…
Terreur politicienne envers Investig’Action
Présent dans la manifestation, le député écologiste Simon Moutquin est connu pour ces interpellations et son travail parlementaire rigoureux en faveur de la cause palestinienne ainsi que des citoyens belges qui la soutiennent. Hélas, le courageux député, isolé sur la question au sein de son parti, a décliné notre sollicitation d’interview. Acceptant d’abord, oralement, un bref entretien en fin de manif’, il nous enverra finalement le texto suivant : « Je ne vais pas faire une interview pour Investig’Action. Je suis loin des positions de Michel Collon et ça ne va pas servir la cause ». Curieux raisonnement. Puisque le fait que le député soit également “loin” des positions pro-israéliennes de la majorité des directeurs de médias mainstream ne l’ont jamais empêché d’accepter leurs demandes d’interviews pour, comme il dit, “servir la cause”…
De son côté, Gregory Mauzé, porte-parole de l’ABP, nous renvoie au communiqué de presse de l’association, principale organisatrice de la manifestation. “L’appel à manifester a été massivement suivi. Le message est fort et clair : les responsables politiques belges et européens doivent faire tout ce qui est possible pour parvenir à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hamas. La situation à Gaza est telle que le risque de nettoyage ethnique, voire de génocide, sont de plus en plus souvent évoqués. Il est encore temps d’éviter le pire, raison pour laquelle la première urgence est au cessez-le-feu“, indique le porte-parole par voie de communiqué. Interrogé par RTL-TVI, Gregory Mauzé évoquera même un massacre en cours. Et d’ajouter à travers le communiqué de l’ABP: “La Belgique et l’UE doivent rompre tous liens avec les colonies isréaliennes, lesquelles participent toutes à la dépossession du peuple palestinien, ce qui implique a minima d’interdire tout commerce avec elles.”
Au contraire d’un député écolo fuyant les questions d’un média indépendant, le militant progressiste, Abdalouahad Bouchal a accepté notre sollicitation. « Depuis sa création, Israël ne peut pas survivre à l’avènement de la paix. », estime l’activiste belge, quinquagénaire et d’origine tunisienne. « On a beau dire – et cela se dit dans tous les camps – que tout cela est la faute du gouvernement israélien, du gouvernement Netanyahu, mais c’est davantage le système sur lequel se fonde cette nation qui est en cause. Celui-ci est fondé sur l’expropriation d’autrui via un dispositif militaire surarmé et surfinancé, notamment par nos deniers européens, et ceux des USA. L’idée de paix, le concept même de pacification, c’est le cauchemar d’Israël ! La colonisation ne sert pas qu’à faire venir des gens de Moldavie, d’Ukraine ou de Russie pour arracher leurs terres aux Palestiniens, cela sert surtout à maintenir un état de conflit guerrier permanent. La permanence de ce conflit, c’est ce qui permet à Israël de survivre. ».
A rebours de la doxa médiatique, martelant que la guerre « a commencé » depuis le 7 octobre, Abdalouahad enchaîne : « Les faits sont têtus : tous les efforts de pacification ont été torpillés par les Israéliens, tout gouvernement confondu. Est-ce d’ailleurs un Palestinien qui assassiné un ancien général de l’armée israélienne, devenu Premier ministre, et loin d’être un tendre : Yitzhak Rabin ? Cet homme a été éliminé par quelqu’un d’encore plus dur que lui… Non, Israël ne peut survivre à la paix. Le jour où adviendra une paix consacrée pour ces deux peuples, numériquement parlant, les sionistes savent très bien que c’en est fini pour eux. »
Résistance ou terrorisme ?
Si le militant progressiste a appelé à chacun.e à venir à la manifestation dominicale organisée par l’ABP et d’autres associations, il y regrette « l’absence » d’un mot d’ordre. « Nous sommes tous réunis ici en solidarité avec un peuple qui subit l’horreur, les ignominies, de façon quotidienne, et depuis très longtemps, mais aussi en soutien à la résistance palestinienne. C’est mon cas comme celui de milliers d’autres personnes qui sont ici ! Je soutiens la résistance légitime du peuple palestinien et je constate que ce mot d’ordre est assez absent de cette manifestation. Je le regrette. Pour ma part, je ne le cache pas, ma référence politique en Palestine, c’est le FPLP[Front Populaire de Libération de la Palestine]. Je suis marxiste et soutiens les résistants du FPLP qui revendiquent la lutte armée contre l’occupant et qui, eux, se sont opposés à la farce des accords d’Oslo, sous l’égide de Bill Clinton, qui n’ont jamais été appliqués ».
Pour autant, les 1500 Israéliens, civils et militaires, assassinés par le Hamas le 7 octobre ajoutés aux 200 otages retenus dans Gaza ne constitue-t-il pas une donne hautement répulsive et contre-productive envers la perception de la cause palestinienne ? « Je ne soutiens pas le terrorisme », répond Abdalouahad Bouchal. « Mais vous ne m’entendrez jamais dire ou qualifier comme telle l’action de résistance du Hamas. Analyser sérieusement et prendre à bras le corps la question de la résistance palestinienne conduit à ce que l’on ne puisse pas accuser ces gens d’être des terroristes. Et je veux souligner un point, fort absent du débat : l’offensive du 7 octobre n’est pas à attribuer au seul Hamas. Toutes les factions de la résistance palestinienne (FPLP, Djihad islamique, etc.) s’y retrouvent, y compris le Fatah du conseil révolutionnaire, fidèle non à Mahmoud Abbas, mais à Marwan Barghouti, enfermé dans les geôles israéliennes depuis 21 ans. »
En conclusion, le militant appelle à la seule issue politique pouvant mettre un terme à une guerre coloniale longue de 75 ans et meurtrière dans tous les camps : « La solution, c’est un seul État où tous les peuples de la Palestine, de toutes origines et confessions, jouiront des mêmes droits et des mêmes devoirs. Oui, la solution sud-africaine ! Rappelons-nous que ceux qui ont pris les armes pour lutter contre l’apartheid afrikaner ont longtemps été qualifiés de terroristes par nos dirigeants européens et américains ».
Quelques heures après la manif bruxelloise réussie, Israël annonçait « intensifier » ses bombardements sur Gaza en vue, selon les médias, du lancement « imminent » de sa fameuse offensive terrestre dans la prison à ciel ouvert palestinienne.
Source : auteur
https://investigaction.net/…