Par Olivier Mukuna
Depuis l’offensive-surprise du Hamas contre l’Etat colonial d’Israël, le bilan provisoire s’élève à 700 morts, côté israélien, et 413 morts à Gaza, bombardée en continu par l’armée israélienne depuis le matin du 7 octobre. Face à l’effroi et aux condamnations en boucle des « terroristes du Hamas » martelées par les dirigeants occidentaux, on entend peu ou pas la voix des Palestiniens dans les médias. Exceptés sur Investig’Action et sa nouvelle chaîne Télé Palestine. Entretien avec Ziad Medoukh, professeur de français à Gaza…
D’une voix lasse mais détentrice d’accents combatifs, Ziad Medoukh répond à nos questions, précisant que sa ville vient d’être réduite à 3 heures d’électricité par jour. Soit l’une des nouvelles privations qu’endurent les Gazaouis depuis samedi, jour de l’offensive militaire spectaculaire du Hamas en territoire israélien. Sans étiquette politique ni membre du Hamas, l’enseignant palestinien se définit comme un « résistant par l’éducation et la culture » à l’occupation israélienne, au sein de l’enclave de Gaza, la plus grande prison à ciel ouvert du monde…
« Toute la population s’est réveillée surprise ce samedi matin », explique Ziad Medoukh. « Nous ne nous attendions pas à cela. Avant cette offensive du Hamas, nous étions dans une phase de relative accalmie dans laquelle il y avait eu des ouvertures des passages par les soldats israéliens, la possibilité pour 17.000 ouvriers palestiniens d’aller de travailler en Israël. Exceptées les provocations israéliennes répétées à la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem, il n’y avait rien pour soupçonner la préparation d’une telle riposte militaire palestinienne. C’est d’autant plus une surprise que c’est la première fois qu’on assiste à ce type d’opération, avec de telles incursions en territoire israélien ».
S’il n’est pas membre du Hamas, Ziad Medoukh estime que toute forme de résistance palestinienne à l’occupation coloniale israélienne demeure légitime. Celle de la lutte armée également, même s’il ne s’agit pas de son choix personnel. « Depuis le lancement de cette offensive, je lis et entends, dans les médias et sur les réseaux sociaux, que « Le Hamas attaque Israël ». Non ! Le Hamas a riposté et n’a pas «attaqué» Israël », rectifie l’enseignant. « Cette faction palestinienne a choisi la résistance armée et lutte avec ses faibles moyens militaires comparés à ceux, très supérieurs, de l’armée israélienne. Cette riposte du Hamas relève de son droit légitime. Mais il est vrai que c’est encore la population de Gaza qui va en payer les conséquences ; c’est toujours Gaza qui souffre et va souffrir ; soit du blocus israélien, soit du silence complice de la communauté internationale soit des inévitables représailles militaires israéliennes suite à des offensives palestiniennes, telle que celle du Hamas aujourd’hui ».
Afin de réduire l’intensité de la riposte coloniale israélienne et détenir une marge de négociation ultérieure, une partie des combattants du Hamas a kidnappé une centaine d’otages israéliens (civils et militaires) et étrangers (Allemagne, Népal, etc.) durant leur offensive. Ces combattants les ont ensuite dissimulé à Gaza, voire en Cisjordanie, lors de leur repli en territoire palestiniens. Si cette « prise de guérilla » reste susceptible de ne pas déchaîner un feu d’uranium appauvri israélien contre l’enclave palestinienne, les morts s’y additionnent néanmoins à grande vitesse…
Bombardements sur Gaza depuis 15 ans
Ce samedi après-midi, le professeur Medoukh nous a décrit la situation de sa ville qui, 24 heures plus tard, a empiré en termes de victimes et de destructions matérielles… Au moment où je vous parle, il est 15h00 à Gaza. Nous comptons déjà 12 morts et 23 blessés et nous savons qu’il y en aura d’autres… Depuis ce matin, l’armée coloniale a effectué 75 raids dans la ville, dont des attaques contre des immeubles, des hôpitaux, des ambulances, etc. Le bilan des victimes civils ne cesse de s’alourdir… A nouveau, nous, la population de Gaza, sommes en train subir une série d’attaques meurtrières par voie terrestre, avec l’incursion de soldats, par voie maritime, via des tirs de missiles de la marine israélienne et par les airs avec leur aviation qui se livre à des bombardements intensifs. »
Préférant évoquer une « triste continuité » plutôt qu’une aggravation de la situation, Ziad Medoukh élude la promesse du gouvernement israélien d’extrême-droite de déployer une riposte « dévastatrice » et « sans précédent » contre le Hamas et son fief de Gaza. « Depuis quand la population de Gaza n’a-t-elle pas payé un lourd tribut, en morts, en blessés, en victimes psychologiques de toutes sortes ? Depuis quand ? Dites-le moi ! », s’exclame l’enseignant palestinien avant de dérouler un rappel salutaire, largement absent des médias traditionnels occidentaux.
« Entre 2018 et 2023, il y a eu quatre grande offensives militaires israéliennes contre Gaza qui ont fait des centaines de morts », enchaîne le professeur Medoukh. « Avant cela, les bombardements intensifs de 2008, 2009 et ceux de 2014 après lesquels Gaza a été endeuillée par plus de 2200 morts dont 400 enfants. Et je ne vous fais pas le décompte, sur toutes ces périodes, des nombreuses « petites » attaques israéliennes qui durent 2 à 3 jours… A côté de ces agressions militaires incessantes, Gaza, c’est une population de plus 2 millions d’habitants qui subit un blocus israélien inhumain depuis 16 ans ; avec des conséquences dramatiques, des malades qui ne peuvent pas se faire soigner, des pénuries en médicaments, en pétrole, des coupures et rationnements d’eau et d’électricité, des énormes difficultés à se fournir en matériaux de construction pour reconstruire les maisons détruites par les bombardements israéliens. Cela va faire 10 ans que nous n’avons pas pu reconstruire plusieurs immeubles et maisons détruites lors du massacre de 2014… »
A quand un sursaut de conscience des médias ?
Ziad Medoukh fustige ensuite la couverture de l’offensive palestinienne proposée par les médias occidentaux. Cette façon partiale et faussement objective de médiatiser au plus grand nombre ce qu’ils nomment « Le conflit au Proche-Orient » ou « Nouvelles flambées de violences au Proche-Orient » et, depuis ce 7 octobre : « La nouvelle guerre du Proche-Orient » (sic !)… Une médiatisation bancale, en droite ligne comme pour le plus grand bénéfice des propagandes de l’État colonial d’Israël et de son premier sponsor militaire et financier : les États-Unis d’Amérique. Un « Oncle Sam » qui, sans surprise, vient d’annoncer l’envoi de plusieurs de leurs navires de guerre au large de Gaza…
« Cette médiatisation occidentale ajoute à l’affliction des Palestiniens », estime le professeur de français et auteur de poèmes. « Avant vous, j’ai répondu à deux demandes d’interview de BFMTV et France Info. C’est toujours pareil : ils donnent la quasi-totalité de leur temps d’émission soit au porte-parole de l’armée d’occupation soit à des journalistes israéliens ou pro-israéliens, et pour Gaza, c’est deux à trois minutes, en général. Dans ce court laps de temps, ils procèdent encore à plusieurs coupures… D’après mon expérience et mes observations, j’affirme que les médias occidentaux ne sont pas objectifs dans leur traitement de ce qui passe du côté palestinien.»
Et Ziad Medoukh d’en appeler à un sursaut de conscience et de déontologie : « Il faut absolument que les médias étrangers soient courageux ; qu’ils prennent l’initiative de décrire objectivement le sort injuste des Palestiniens, qu’ils s’expriment librement et appellent enfin « un chat, un chat ». Les journalistes de ces médias doivent cesser de travailler sous cette politique du deux poids deux mesures ! Pourquoi ces médias – soi-disant libres et démocratiques – ont-ils à peine médiatisé les provocations israéliennes à Jérusalem qui durent depuis trois jours ? Pourquoi n’ont-ils pas parlé des 12 Palestiniens assassinés en Cisjordanie ces quatre derniers jours ? Pourquoi ne traitent-ils pas des lois d’apartheid faisant des Palestiniens des citoyens de seconde zone ? Pourquoi ne parlent-ils pas des malades de Gaza qui meurent à cause du blocus parce qu’ ils ne reçoivent pas l’autorisation de pouvoir aller se faire soigner dans les hôpitaux israéliens ou de Jordanie ? Pourquoi ne parlent-ils pas de tout cela ? Il ne suffit plus de couvrir l’événement violent tout en cachant le fait colonial israélien et, dès qu’intervient un cessez-le-feu, retourner à ses oignons ! »
Le colonialisme produit toujours la guerre
A terme, afin que s’arrête l’horrible compteur des bilans meurtriers et des nouvelles destructions, pour que cesse le bruit des canons, Ziad Medoukh en appelle au règlement des « problèmes de fond ». «Les problèmes de fond, ce sont l’occupation, la colonisation, l’apartheid, c’est le blocus de Gaza, c’est la toute puissance de l’extrême-droite israélienne, ce sont les provocations des colons et ministres israéliens protégés par des soldats sur l’esplanade de Jérusalem… Si la communauté internationale veut vraiment la paix, la sécurité et la stabilité en Palestine, qu’ils se décident à régler ces problèmes de fond ; à en finir avec l’apartheid, la colonisation, le blocus de Gaza ! »
Pour autant, après plus de vingt ans de régressions et d’impasses politiques quant à l’amélioration du sort des Palestiniens, après plus de vingt ans d’inexistence d’un État palestinien, évaporé dans les mirages d’Oslo et autres fantasmatiques processus de paix, l’espoir décolonial des Palestiniens ne réside-t-il pas dans la lutte armée, comme le défend le Hamas et les nouveaux mouvements de jeunesse combattants palestiniens ?
Face à cette question sensible, Ziad Medoukh ne se prononce pas et choisit de conclure par ces mots : « Pour arriver un jour à la paix, il faut régler l’origine des problèmes que je vous ai cités. Pourquoi la lutte armée redevient-elle une alternative crédible ? Pourquoi les processus de paix ont-ils échoué ? Parce qu’il n’y a aucun gouvernement israélien, ni de gauche ni de droite ni l’actuel, d’extrême-droite, qui ont tenté de régler ces problèmes issus directement de leur colonisation, idem concernant les prisonniers politiques palestiniens ou les réfugiés palestiniens à l’extérieur. C’est à ces objectifs politiques prioritaires que nous devons tous contribuer, afin que cesse la guerre et que cesse notre oppression. »
Olivier Mukuna
Source : auteur
https://www.investigaction.net/fr/…
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