Par Gideon Levy
Gideon Levy, Haaretz, 27/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le requérant numéro 6 est une fillette de 3 ans. Le plaignant numéro 5 est une fille de 11 ans. Le demandeur numéro 4 est un excellent élève du secondaire. Le demandeur numéro 3 fait partie du personnel de nettoyage du centre médical Hadassah, à Aïn Karem. Le plaignant numéro 1 est un entrepreneur en rénovation et le numéro 2 est sa femme. Ils vivent tous ensemble dans un appartement délabré dans le camp de réfugiés de Shu’faat à Jérusalem.
Israël a l’intention de démolir leur maison et ils ont fait appel à la Haute Cour de justice dans une vaine tentative de faire annuler ce décret méprisable. La Haute Cour, en sa qualité de plus haut tribunal militaire d’Israël, a approuvé la démolition jeudi. Rien n’était plus prévisible.
Toutes les quelques semaines, les juges de la Haute Cour sont appelés au service de réserve. C’est le cas lorsqu’ils entendent des requêtes contre l’establishment de la défense. Ils ne portent pas d’uniformes militaires, comme il se doit, ni d’insignes d’officiers, mais la Cour est vêtue de kaki et fonctionne exactement comme le tribunal militaire de la base d’Ofer. Il est difficile de distinguer les différences entre les juges de la Haute Cour et le moindre juge militaire, sommé d’approuver une quelconque injustice.
Les deux cours ont un objectif idéologique identique : légitimer, blanchir et approuver tout ce que le service de sécurité Shin Bet et l’armée exigent ; refuser toute requête demandant une mesure de justice, une observation des droits humains ou un peu d’humanité à quant à l’occupation. Le phare de la justice éteint alors sa lumière, et l’obscurité s’installe jusqu’à ce que le tribunal revienne à des affaires civiles, où sa nature éclairée se révèle à nouveau.
Même dans cette réalité déprimante, certains points sont particulièrement intéressants. C’est le cas de l’arrêt 5933/23, rendu dans le cadre d’une requête déposée par la famille de l’enfant M.Z., accusé d’avoir poignardé un policier sans causer sa mort. Le policier est décédé lorsqu’un agent de sécurité a ouvert le feu. La famille de l’enfant a demandé à la Cour d’empêcher la destruction de leur maison.
Par une majorité de deux juges vicieux contre un vertueux, Alex Stein et Gila Kanfi contre Uzi Vogelman, la Cour a approuvé la démolition. Il est toujours bon d’avoir un juge éthique dans la position minoritaire, afin de ne pas briser complètement le prestige largement reconnu de la Cour.
On peut supposer que les trois juges n’ont jamais visité le camp de Shu’faat et qu’ils n’ont aucune idée de la vie qui y règne. Il s’agit de l’un des camps de réfugiés les plus durs. Les juges ont toutefois pris connaissance d’un rapport sur l’interrogatoire du père de l’enfant, mené par un agent du Shin Bet appelé “Majdi”.
Au point numéro 10 de ce rapport, l’agent a écrit que le garçon était un ami de Mohammed Ali Abu Saleh, qui a été abattu le jour où une autre maison du camp a été démolie après qu’il eut menacé les forces israéliennes avec un fusil jouet. Selon l’acte d’accusation, M.Z. a trouvé un couteau près de la maison de sa tante et a décidé sur un coup de tête de poignarder un policier en réponse au meurtre de son ami. Ses parents et ses frères et sœurs n’avaient probablement aucune idée de ses intentions, mais sa sœur de 3 ans va maintenant payer le prix de son acte. Aujourd’hui, elle aussi va devenir sans-abri, grâce à la Haute Cour de justice.
La démolition de maisons est une punition collective, un crime de guerre. Raser la maison de la famille d’un garçon de 13 ans est plus grave et encore plus inconcevable. La démolition des maisons des agresseurs palestiniens, jamais de celles des agresseurs juifs, est la marque par excellence d’un système judiciaire fondé sur l’apartheid. Le fait que la Haute Cour de justice n’ait même pas attendu la condamnation du garçon – son procès est toujours en cours – ne fait que prouver que lorsqu’il s’agit de Palestiniens, il n’y a pas besoin de procès.
M.Z. a poignardé un policier dans un bus après que son ami a été tué lors d’une démolition dans le camp. Aujourd’hui, le prochain attaquant, qui grandira sur les ruines de la maison de M.Z., s’échauffe sur la ligne de touche. L’affirmation des juges majoritaires – que la démolition dissuadera les parents – est ridicule. Il est triste de constater à quel point elle est déconnectée de la réalité. À l’entrée du camp de Shoafat se trouve un poste de contrôle où des Sturmtruppen [troupes d’assaut] règnent sur les habitants. La police attaque le camp tous les jours et toutes les nuits et maltraite ses résidents. M.Z., 13 ans, était assez grand pour comprendre qu’il devait faire quelque chose. Les arbitres de la justice ont estimé que sa famille devait être cruellement punie. L’ignominie est au-delà des mots.
Source : TLAXCACA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…
Le sommaire de Gideon Levy