Par Karine Bechet-Golovko

Alors que les élites et les milieux de la communication commençaient à relativiser la gravité du crime commis par Prigogine contre la Russie, en réalisant une mutinerie armée, en prenant une ville, en lançant les chars contre Moscou, le Président russe s’est adressé hier soir à la population — et surtout à ces groupes pour les prévenir : ceci est un crime, il ne sera ni oublié ni pardonné. Désormais à eux de choisir leur clan.

Hier, justement, nous soulignons la rapidité avec laquelle certaines élites relevaient effrontément la tête, conduisant le relativisme de cette tentative de coup d’Etat réalisée par Prigogine avec Wagner au point de jouer le révisionnisme (voir notre texte ici). Ils étaient en cela accompagnés par ces soldats de la comm sur Telegram, qui ne pouvant croire que leur héros n’en est pas un, s’accrochent à la thèse fantasmagorique d’une mise en scène du Kremlin (du coup, leur héros est un doublement héros, car en plus, il se sacrifie), tout en attendant toujours la mise à la porte du ministre de la Défense (comme ça, leur héros aura gagné politiquement). Cette armée de la comm est totalement en roue libre. Tant qu’il s’agit de montrer des images de l’armée russe, ça va, mais dès qu’il faut analyser une situation complexe, ils prennent leur fantasme pour la réalité et deviennent contre-productifs.

L’allocution du Président russe hier a été particulièrement forte, et sur la forme, et sur le fond.

Peu après 21h à Moscou, Peskov annonce que Poutine va à nouveau s’adresser à la population depuis le Kremlin et qu’il faut en attendre plusieurs déclarations importantes. A ce moment-là, les réseaux de la comm s’emballent et ils relancent l’idée d’une démission de Choïgou, certains allant même jusqu’à s’appuyer sur d’étranges sources internes pour donner plus de poids à leur affirmation.

Quelques minutes plus tard, l’on apprend que selon les médias biélorusses, Loukachenko doit également prendre la parole (ce que, finalement, il fera aujourd’hui, lors d’une conférence de presse). Ensuite, qu’ils le feront simultanément. Et Peskov d’en rajouter une couche, en affirmant que les déclarations touchent réellement à l’avenir de la Russie. Le cadre est posé. L’attention est à son comble.

A 22h10, heure de Moscou, le Président russe prend la parole. Evidemment, cela n’a rien à voir avec la démission de Choïgou, tant attendue chez les partisans de Prigogine. Mais le message leur est bien adressé. Et comme la mise en scène préalable le fait comprendre, il vaut mieux qu’ils entendent bien l’avertissement.

Tout d’abord, Poutine rappelle qu’il s’agit bien de crimes et de trahison. Il rappelle la prise de Rostov-sur-le-Don et l’appel à marcher contre Moscou. Cela ne se pardonne pas. Cela ne doit pas s’oublier. Donc le relativisme bon ton mode bisounours, même dans sa version bisounours patriotique, n’est pas de mise. Je cite :

«Je souligne que dès le début des événements, toutes les décisions nécessaires ont été immédiatement prises pour neutraliser la menace qui s’était fait jour, pour protéger l’ordre constitutionnel, la vie et la sécurité de nos concitoyens.

La mutinerie armée aurait été réprimée de toute façon. Les organisateurs de la mutinerie, malgré leur perte de repères, ne pouvaient manquer de le comprendre. Ils ont tout compris, y compris qu’ils sont passés à des actes criminels, pour diviser et affaiblir le pays, qui est maintenant confronté à une menace extérieure colossale, une pression extérieure sans précédent. Quand à l’avant avec les mots «pas un pas en arrière!» nos camarades meurent.

Cependant, les organisateurs de la mutinerie, trahissant leur pays, leur peuple, ont trahi ceux qui ont été entraînés dans le crime. Ils leur ont menti, les ont poussés à mort, sous le feu, pour tirer sur les siens.»

Et ils ont fait le jeu de l’ennemi, Prigogine et Wagner ont servi les intérêts extérieurs contre ceux de la Russie. Je cite :

«C’était précisément ce résultat — fratricide — que les ennemis de la Russie voulaient : à la fois les néo-nazis de Kiev, et leurs patrons occidentaux, et toutes sortes de traîtres nationaux. Ils voulaient que les soldats russes s’entre-tuent, qu’ils tuent des militaires et des civils, afin qu’à la fin la Russie perde et que notre société se divise, s’effondre dans une guerre civile sanglante.

Ils se sont frottés les mains, rêvant de se venger de leurs échecs au front et lors de la soi-disant contre-offensive, mais ils ont mal calculé.» 

Même si Prigogine n’est pas une lumière, et justement parce qu’il n’est vraiment pas une lumière, vous voulez toujours croire qu’il ne comprenait pas ce qu’il faisait, quels intérêts il servait et qu’en même temps il aurait tout organisé lui-même ? Un peu de rationalité et un peu moins de fantasmagorie seraient les bienvenues. 

Et Poutine rappelle que cela n’a pas marché pour une seule raison : la consolidation de la société dans toutes ses dimensions, et des institutions, et des forces de l’ordre, et du peuple.

Ensuite, il s’adresse aux membres de Wagner qui n’ont pas suivi cette aventure, ceux qui se sont arrêtés avant de franchir la ligne de la trahison — soit ils rentrent à la maison, soit ils partent en Biélorussie, soit ils entrent dans l’armée sous contrat pour défendre la Patrie, puisqu’ils sont de grands patriotes. Et où est le problème : ils ne peuvent être une «élite» que dans le privé, s’ils entrent dans l’armée ils seront tout de suite mauvais ? C’est bien la logique néolibérale, celle qui doit détruire le pouvoir étatique national. Ainsi, Poutine s’adressant aux membres de Wagner :

«Aujourd’hui, vous avez la possibilité de continuer à servir la Russie en concluant un contrat avec le ministère de la Défense ou d’autres forces de l’ordre, ou de retourner auprès de votre famille et de vos amis. Quiconque le veut, peut aller en Biélorussie. La promesse que j’ai faite sera tenue. Je le répète, le choix vous appartient, mais je suis sûr que ce sera le choix de soldats russes, qui ont réalisé leur tragique erreur.»

La ligne rouge a été posée par le Président russe. Il s’agit d’une trahison, il s’agit d’un crime. Ceux qui n’ont pas de sang sur les mains, peuvent faire leur choix. Mais de facto, cette déclaration entraîne la dissolution de Wagner. Et c’est bien de l’avenir de la Russie qu’il s’agit : il est impossible de faire comme si rien ne s’était passé, car cela s’est passé. Ils ont servi, puis ils ont trahi. La trahison doit se payer, sinon elle se reproduira et un jour elle gagnera.

Ensuite, le Président Poutine a réuni les directeurs des différents services d’ordre, pour la première fois en présentiel depuis longtemps. 

«Après son allocution, Vladimir Poutine tient actuellement une réunion de travail avec la participation du procureur général Igor Krasnov, du chef de l’Administration du Kremlin Anton Vaïno, du ministre de l’Intérieur Vladimir Kolokoltsev, du ministre de la Défense Sergueï Choïgou, du directeur du FSB Alexandre Bortnikov, du chef de la Garde nationale Viktor Zolotov, le chef du FSO Dmitry Kochnev et le chef du Comité d’enquête, Alexandre Bastrykine», a déclaré Peskov.

Après avoir fixé les lignes, Poutine s’est entretenu avec ceux, qui ont pour mission de les protéger. Ceci montre bien la volonté du Chef de l’Etat de ne laisser aucune ouverture à la mise en danger de la sécurité nationale, quelle que soit la personne qui est mise à contribution pour le faire.

Que les soutiens de Prigogine, convaincus ou intéressés, y réfléchissent.

Source : Russie politics
https://russiepolitics.com/…

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