Le président Biden arrive pour prononcer son discours sur l’état de l’Union devant une session conjointe du Congrès, au Capitole à Washington, le 7 février 2023 [AP Photo/J. Scott Applewhite]
Par Patrick Martin & Barry Grey
Le discours du président Joe Biden sur l’état de l’Union était un exercice de tromperie. Son objectif principal était de dissimuler à la population américaine les plans d’une immense escalade, y compris le déploiement de troupes, dans le conflit militaire toujours plus direct avec les forces russes, alors que la guerre en Ukraine, déclenchée par les États-Unis, entre dans sa deuxième année sanglante.
Le discours annuel devant une session conjointe du Congrès a été précédé d’une intensification fébrile de la guerre. Au cours des dernières semaines, à l’instigation de Washington, plusieurs puissances européennes ont commencé à envoyer des chars de combat en Ukraine, les États-Unis ont annoncé l’envoi de missiles de précision à longue portée capables de frapper profondément en territoire russe et des plans pour envoyer des avions de combat de l’OTAN au régime de Kiev.
Quelques heures après le discours de Biden mardi soir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rendu visite à la Grande-Bretagne et aux puissances de l’Union européenne pour demander l’envoi immédiat d’avions de chasse, et le gouvernement britannique a annoncé des plans pour former des pilotes ukrainiens au Royaume-Uni.
Dans le discours sur l’état de l’Union de l’année dernière, tenu quelques jours seulement après l’invasion réactionnaire et désastreuse de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine, délibérément provoquée par Washington, Biden s’est concentré presque exclusivement sur la guerre, saluant l’unité bipartisane qu’elle avait générée à peine un an après le siège du Congrès par les insurgés fascistes de Donald Trump.
Pourtant, dans le discours de mardi, Biden a pratiquement très peu parlé de la guerre en Ukraine – une guerre qui a amené le monde au bord d’un échange nucléaire, ou «apocalypse», comme Biden l’a lui-même appelé l’automne dernier. Dans un discours qui a duré près de 90 minutes, il n’a consacré que 200 mots sur 7.000 à la guerre, qui est pourtant la principale préoccupation de son gouvernement.
Comment expliquer ce fait étonnant?
Premièrement, Biden sait que la guerre est impopulaire dans la grande masse de la classe ouvrière américaine.
Deuxièmement, son gouvernement est en train d’élaborer sa réponse à la détérioration rapide de la position militaire de l’Ukraine. Cela nécessitera le déploiement de forces de l’OTAN en Ukraine, y compris des entrepreneurs et des troupes des États-Unis, mais Biden n’est pas encore prêt à le révéler. Il a besoin de plus de temps pour intensifier la campagne de propagande médiatique en cours et générer un niveau encore plus élevé d’hystérie anti-russe.
David Sanger, l’un des principaux analystes de politique étrangère du New York Times qui entretient des liens étroits avec les services de renseignement américains, a mis l’accent sur l’extraordinaire minimisation de la guerre en Ukraine dans un commentaire publié après le discours sur l’état de l’Union. Il a écrit:
La gestion simultanée d’une Russie agressive et d’une Chine qui prend des risques pourrait s’avérer le plus grand défi de ses deux prochaines années [celles de Biden]. Et elle occupera de plus en plus son attention, surtout maintenant que le contrôle républicain de la Chambre des représentants met pratiquement fin à son programme législatif national.
Il était donc particulièrement frappant que dans son discours sur l’état de l’Union mardi soir, le président ait choisi de consacrer relativement peu de temps au rôle mondial de l’Amérique, se concentrant plutôt sur sa campagne «Made in America» pour ramener les emplois manufacturiers aux États-Unis, même au prix de la colère des alliés les plus proches et des principaux partenaires commerciaux de l’Amérique.
Soulignant l’impopularité de la guerre et l’austérité supplémentaire que son escalade exigera, Sanger écrit que Biden, qui se prépare à briguer un second mandat, «sait que le réengagement de l’Amérique dans le monde est à la fois, coûteux et, au début d’un cycle électoral, difficile à vendre sur le plan politique. Contenir la Russie et rivaliser avec la Chine est peut-être le travail de plusieurs décennies, mais cela ajoutera des dizaines ou des centaines de milliards de dollars à un budget déjà sous pression».
L’éditorialiste du Times Thomas Friedman, un baromètre pour les discussions qui ont lieu au sein de l’État et des agences de renseignement, a souligné les plans de grande envergure pour les mois à venir dans une chronique publiée le 5 février, «L’an deux de la guerre en Ukraine va devenir effrayant».
Dans le récit de Friedman, la première année de la guerre a été «relativement facile» pour «l’Amérique et ses alliés», ne nécessitant que l’envoi «d’armes, d’aide et de renseignements». Cependant, écrit-il, «je ne pense pas que la deuxième année sera aussi facile» – c’est-à-dire que l’intervention directe des forces américaines sera nécessaire.
Friedman, qui a lancé l’expression «le remède ne doit pas être pire que la maladie» pour justifier l’abandon de toute restriction à la propagation de la pandémie de coronavirus, avance maintenant la position selon laquelle les conséquences d’une défaite de l’OTAN en Ukraine seraient pires que le danger d’une guerre thermonucléaire.
Les plans d’escalade massive en Ukraine coïncident avec la montée en puissance d’un conflit militaire avec la Chine, dotée de l’arme nucléaire, illustrée par l’hystérie anti-chinoise suscitée par le soi-disant «ballon-espion». Dans son discours, Biden a laissé entendre que l’attaque américaine sur le ballon de recherche – la première fois que les États-Unis ont abattu un aéronef chinois depuis la guerre de Corée – pourrait présager d’une nouvelle action militaire. «Comme nous l’avons clairement indiqué la semaine dernière, si la Chine menace notre souveraineté, nous agirons pour protéger notre pays. Et nous l’avons fait», a déclaré Biden.
Ces préparatifs sont essentiels pour comprendre les appels démonstratifs de Biden à l’unité avec les républicains de plus en plus fascistes.
Il a commencé son discours en félicitant le nouveau président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, qui conserve son poste à la joie du House Freedom Caucus, ouvertement fasciste. Il a cité les «réalisations» législatives bipartites de ses deux premières années et a lancé un appel pour qu’il en soit de même à l’avenir, proposant une série de mesures populistes qui n’ont, comme il le sait bien, aucune chance d’être adoptées par le Congrès. Pas plus tard que la semaine dernière, la Chambre des représentants – avec les voix d’une majorité de démocrates – a adopté une résolution qui condamne le socialisme et attaque implicitement la sécurité sociale, Medicare et d’autres programmes du filet social.
L’impérialisme américain et son principal parti de guerre – les démocrates – s’efforcent de maintenir un degré d’unité suffisant avec les républicains pour poursuivre leur programme de guerre contre la Russie et la Chine, et l’austérité sauvage qu’il entraînera au niveau national, face à l’opposition croissante de la classe ouvrière, au déclin du soutien à la guerre et à la rébellion grandissante contre les appareils syndicaux pro-impérialistes, pro-guerre et pro-capitalistes.
D’où la raison pourquoi, d’une part, Biden promeut le Pro Act, qui vise à renforcer l’emprise des bureaucraties syndicales sur la classe ouvrière, et d’autre part, reste silencieux sur un texte de loi ayant obtenu l’appui des deux partis: la loi qui interdit la grève des travailleurs du rail et impose un contrat dicté par le patronat qui avait été rejeté par des dizaines de milliers de travailleurs de la base.
Cela explique également le caractère agressivement nationaliste et d’«America First» des remarques de Biden. Le programme de guerre économique de Biden – dirigé non seulement contre la Russie et la Chine, mais aussi contre les alliés de Wall Street dans l’OTAN et en Asie – et ses slogans tels que «Made in America», «Buy American» et «la chaîne d’approvisionnement commence ici» sont essentiels à la politique étrangère d’agression militaire et à la politique intérieure de guerre des classes.
La tentative de Biden de créer l’image d’une Amérique florissante et d’une démocratie résiliente était basée sur des mensonges purs et simples. Il s’est vanté d’avoir mis fin à toutes les mesures de santé publique pour contenir la pandémie de COVID-19, alors même qu’il reconnaissait que le virus avait tué plus d’un million d’Américains. La prétendue «victoire» sur le COVID-19, qui continue de tuer quelque 500 personnes par jour aux États-Unis selon des chiffres officiels largement sous-estimés, sans parler des ravages indicibles du COVID longue durée, sera couronnée par l’expiration de l’urgence sanitaire nationale en mai.
Alors même qu’il tentait de dépeindre une société qui renoue avec la prospérité, il citait des faits qui démontrent exactement le contraire: des dizaines de milliers de décès par overdose, des fusillades de masse, des meurtres commis par la police, des villes entières dévastées par les fermetures d’usines, les prix abusifs imposés par les entreprises pharmaceutiques et les géants de l’énergie, des infrastructures en ruine, des niveaux colossaux d’inégalité sociale. À un moment donné, dans son mode pseudo-populiste, il a noté que les États-Unis avaient 1.000 milliardaires, puis a admis qu’ils étaient 600 quand il est entré en fonction.
Quant à la démocratie, le fait que la population n’ait pas son mot à dire sur la question vitale de la guerre démontre qu’il n’y a pas de véritable démocratie aux États-Unis. Le discours sur l’état de l’Union lui-même, qui a vu des législateurs républicains chahuter et maudire Biden et le traiter de menteur, a illustré la désintégration des institutions démocratiques bourgeoises et la croissance des partis et forces fascistes qui sont une caractéristique commune de la crise mortelle du capitalisme au niveau international.
Le discours déplorable de Biden, avec ses mensonges, ses platitudes, ses dérobades et ses omissions, témoigne de l’état dégradé du système politique américain et du véritable «état de l’Union» désastreux. C’est une démonstration de plus de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre la voie de la lutte politique de masse et indépendante pour mettre fin à la guerre, à l’exploitation et à la répression en mettant fin au capitalisme et en établissant le socialisme.
(Article paru en anglais le 9 février 2023)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…
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