Le général Mark Milley, chef d’état-major interarmées, s’exprime lors d’un briefing au Pentagone, à Washington, le 16 novembre 2022. [AP Photo/Susan Walsh, File]

Par Andre Damon

Le 21 janvier, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et le chef d’état-major interarmées, le général Mark Milley, ont donné un briefing à la base aérienne de Ramstein, en Allemagne où ils ont pris pour les États-Unis l’engagement de vaincre militairement la Russie et de reconquérir tous les territoires revendiqués par l’Ukraine.

Milley y a annoncé l’engagement des États-Unis et de l’OTAN à «passer à l’offensive pour libérer l’Ukraine occupée par la Russie». Et il a répété que l’Ukraine utiliserait les véhicules blindés et les chars de l’OTAN pour passer à «l’offensive tactique et opérationnelle pour libérer les zones occupées».

Par cette déclaration, c’est tout le prestige de l’alliance de l’OTAN qu’on met en jeu dans la reconquête de l’ensemble du territoire ukrainien qui, selon les États-Unis, comprend aussi bien tout le Donbass que la péninsule de Crimée.

À mesure que se révéleront les immenses défis posés par la nouvelle stratégie américaine dans les mois à venir et que le nombre de morts augmentera parmi les troupes ukrainiennes, on demandera inévitablement le déploiement direct des troupes de l’OTAN dans la guerre. Cela signifierait que des soldats américains et russes tireraient les uns sur les autres dans le premier engagement général de l’histoire entre des États dotés d’armes nucléaires.

Milley est un officier militaire d’active. Austin est un général quatre étoiles à la retraite, qui a obtenu une dispense spéciale du Congrès pour occuper le poste civil de secrétaire à la Défense. Ces deux généraux quatre étoiles déterminaient effectivement la politique étrangère des États-Unis lors d’une démonstration sans précédent du pouvoir des militaires dans la société américaine.

L’affirmation explicite de Milley et Austin que les armes fournies par les États-Unis et l’OTAN ont un caractère offensif et non défensif constitue un revirement à 180  degrés vis-à-vis des déclarations publiques du gouvernement Biden. Celui-ci justifiait l’escalade de l’engagement américain dans la guerre en déclarant qu’il ne fournirait pas d’équipement «offensif».

«L’équipement que nous avons fourni est défensif, comme vous le savez, et non offensif. Et nous considérons qu’il y a une différence», avait déclaré en mai 2022 le porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki lors d’un briefing.

L’idée que nous allons envoyer du matériel offensif», avait déclaré Biden le même mois, «et que des avions, des chars et des trains seront envoyés avec des pilotes et des équipages américains, comprenez bien – et ne vous faites pas d’illusions, quoi que vous en disiez – cela s’appelle la “Troisième Guerre mondiale”».

Fin décembre, Biden avait déclaré: «L’idée que nous donnerions à l’Ukraine du matériel fondamentalement différent de ce qu’on y envoie déjà, aurait pour perspective de briser l’OTAN, et de briser l’Union européenne». Il ajouta, «ils ne cherchent pas à entrer en guerre avec la Russie, ils ne recherchent pas une troisième guerre mondiale».

Si l’on accepte tant les déclarations publiques de Milley que les affirmations répétées de Biden, cela signifierait que les États-Unis sont en réalité en «guerre avec la Russie». Une guerre non déclarée, menée sans l’autorisation du Congrès et sans le moindre effort pour obtenir l’approbation du peuple américain.

L’annonce par l’OTAN de l’envoi d’armes offensives à l’Ukraine a montré que tout le récit du gouvernement Biden sur l’engagement des États-Unis en Ukraine était une fraude. Celui-ci a affirmé à maintes reprises que les États-Unis et l’OTAN n’étaient pas impliqués dans la guerre. Mais l’OTAN n’est pas seulement partie prenante du conflit, elle en est le moteur.

Comme dans toutes les guerres, à mesure que les combats progressent, le débat sur qui a «tiré le premier coup de feu» s’estompe et les forces sociales réelles et complexes à l’origine de la guerre deviennent visibles.

Tout au long de l’année  2022, le gouvernement Biden a affirmé qu’il intervenait dans le conflit pour sauver des vies ukrainiennes. Il est à présent évident au bout d’un an de conflit que la seule utilité de la population ukrainienne pour l’Amérique est de servir de chair à canon dans une guerre qui vise à dominer la masse continentale eurasienne.

En ouvrant le briefing, Austin a déclaré: «Comme l’a dit le président Biden, il s’agit d’une décennie décisive pour le monde». Il citait là l’introduction de Biden à la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis, qui déclare que les États-Unis «se saisiront de cette décennie décisive pour faire avancer les intérêts vitaux de l’Amérique, positionner les États-Unis pour surpasser [leurs] concurrents géopolitiques».

Tout au long du briefing, on n’a jamais mentionné les mots de «cessez-le-feu» ou de «paix». Au lieu de quoi Milley a déclaré: «Cette guerre, comme beaucoup de guerres dans le passé, aboutira à une quelconque table de négociation».

Ce que Milley qualifiait de «table de négociation» ressemblait plutôt à celle placée à bord de l’USS Missouri et à laquelle le ministre japonais des Affaires étrangères Mamoru Shigemitsu signa la reddition inconditionnelle du Japon; l’alternative étant, selon les termes de la déclaration de Potsdam, «une rapide et totale destruction».

Après le largage de deux bombes atomiques sur des villes japonaises et une série de bombardements incendiaires qui tuèrent des centaines de milliers de civils japonais, cette guerre a, elle aussi, abouti à la table des négociations.

Alors même qu’ils admettaient que les intentions des États-Unis dans cette guerre étaient foncièrement offensives, les deux généraux se sont livrés aux mensonges et à l’hypocrisie obligatoires qui servent d’huile aux engrenages de la guerre.

«L’agression internationale, où de grands pays utilisent la force militaire pour attaquer de petits pays et pour modifier des frontières reconnues, ne peut être tolérée», a déclaré Austin. Cela venant d’un pays qui, rien que durant le dernier quart de siècle, a illégalement attaqué ou occupé l’Irak, la Yougoslavie, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie.

«Il s’agit du monde dont nous voulons que nos enfants et petits-enfants héritent» a poursuivi Austin. En fait, la catastrophe déclenchée par l’impérialisme américain au cours de sa «décennie décisive», si elle n’est pas arrêtée, laissera à la prochaine génération un terrain vague carbonisé, s’il reste du tout une génération pour en être témoin.

En réponse à l’affirmation de l’OTAN que son objectif était la défaite de la Russie, Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, fit cette brève déclaration sur Telegram: «La défaite d’une puissance nucléaire dans une guerre conventionnelle peut provoquer le déclenchement d’une guerre nucléaire. Les puissances nucléaires ne perdent pas les grands conflits dont leur destin dépend».

Mais la position de l’impérialisme américain est que l’utilisation d’armes nucléaires – que ce soit par la Russie ou les États-Unis mêmes – ne peut pas être dissuasive dans l’escalade du conflit. Dans un éditorial publié mercredi, le Wall Street Journala exigé des frappes à l’intérieur du territoire russe: «Pourquoi un dictateur qui a roulé par-dessus une frontière étrangère serait-il libre de revendiquer son territoire comme sacro-saint?» Et de conclure: «La réplique est que Poutine pourrait déclencher une arme nucléaire, mais les derniers mois ont montré qu’il prendra de toute façon cette décision en fonction de ses propres calculs».

Cet éditorial reflète l’esprit de totale irresponsabilité qui a pris possession de l’oligarchie capitaliste, qui voit dans la guerre le moyen de sortir de la myriade des crises sociales, économiques et politiques qui secouent l’ordre social capitaliste.

On a pu voir les forces sociales qui poussent à cette guerre au Forum économique mondial de Davos. Milliardaires et dirigeants de grandes banques y côtoyaient oligarques et bellicistes ukrainiens. S’y trouvait aussi l’ex-Premier ministre britannique disgracié, Boris Johnson, qui a déclaré «Que les corps s’empilent par milliers» et «Donnez-leur les chars! Il n’y a absolument rien à perdre».

Mais la même crise qui sous-tend la guerre impérialiste accélère aussi la montée de la lutte des classes dans le monde entier. C’est la classe ouvrière internationale, mobilisée sur la base d’un programme socialiste, qui mettra fin aux conspirations des élites dirigeantes et au système de profit capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 21 janvier 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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