Des Israéliens protestent contre les plans du gouvernement visant à remanier le système juridique du pays, à Tel-Aviv, en Israël, le 14 janvier 2023. [AP Photo/Oded Balilty]

Par Chris Marsden

La manifestation de masse de samedi dernier à Tel-Aviv marque un changement significatif dans la vie politique d’Israël, du Moyen-Orient et du monde.

Deux semaines à peine après l’élection d’un gouvernement de coalition truffé de racistes et de fascistes purs et simples, le plus à droite de l’histoire du pays, une centaine de millier de manifestants se sont rassemblées sur la place Habima pour protester contre les plans du nouveau régime visant au contrôle politique direct du système judiciaire. Des milliers ont encore manifesté à Jérusalem, devant le domicile du Premier ministre Benjamin Netanyahu, à Haïfa et à Rosh Pina.

La législation annoncée par le ministre de la Justice, Yariv Levin, doit réduire la capacité de la Haute Cour à annuler des lois et permettre au Parlement de passer outre à de telles décisions. Le gouvernement pourra aussi contrôler la nomination des juges et supprimer le poste de procureur général. Cela permettrait à Netanyahou de nommer son propre procureur, lui évitant ainsi des poursuites pour corruption. Plus important encore, cela faciliterait les plans pour intensifier la construction de colonies en vue de l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie.

Mais l’opposition au nouveau gouvernement va bien au-delà de cette question. La coalition de Netanyahou comprend son propre parti, le Likoud, les partis fascistes et racistes Sionisme religieux, Pouvoir juif et Noam, et les partis religieux de droite, Shas et Judaïsme unifié de la Torah. Elle défend la suprématie juive et un régime d’apartheid; la confiscation permanente des territoires palestiniens; la prière juive à la mosquée al-Aqsa; le retrait des mesures anti-discrimination par le biais de changements radicaux du système juridique; et l’intensification de la répression policière et militaire contre les Palestiniens et les travailleurs, juifs et palestiniens, en Israël même.

On a cité le nouveau ministre des Finances, Bezalel Smotrich, du Sionisme religieux, ainsi: «Je suis un homophobe fasciste». L’un de ses premiers actes a été de saisir 40  millions de dollars de recettes fiscales qu’Israël avait perçues pour le compte de l’Autorité palestinienne. Le nouveau ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, du Pouvoir juif, a lui, immédiatement effectué une visite délibérément provocatrice sur le site religieux le plus sensible de Jérusalem, le complexe al-Aqsa.

L’arrivée au pouvoir de tels criminels politiques et provocateurs a suscité une colère massive. Lors de la manifestation, des pancartes artisanales mettaient en garde contre le «fascisme», un «coup d’État», un «gouvernement criminel» et «la fin de la démocratie». Des Juifs se sont joints à des Arabes israéliens pour porter des drapeaux palestiniens, au mépris d’appels à la répression policière de la part de Ben-Gvir.

Cela indique l’apparition possible d’un nouvel axe de lutte qui transcende les divisions soigneusement cultivées entre les travailleurs arabes et juifs.

Les articles des médias ont cherché à se rassurer en indiquant que la manifestation mobilisait principalement la classe moyenne israélienne laïque et qu’elle était menée par les dociles partis d’opposition. Mais ceci n’est qu’une partie de l’histoire.

Le nouveau gouvernement entraîne Israël vers les types de réaction politique les plus sinistres, entre autres la guerre contre les Palestiniens. Il le fait dans des conditions où Israël est une poudrière sociale et politique et où le Moyen-Orient tout entier a été déstabilisé par l’aggravation de la crise économique mondiale, la pandémie et les plans, dirigés par les États-Unis, pour étendre la guerre contre la Russie en Ukraine en hostilités ouvertes contre l’allié régional de la Russie, l’Iran, Israël étant le principal chien d’attaque.

Ont pris la parole au rassemblement de Tel-Aviv des figures comme l’ex-ministre de la Défense Benny Ganz, l’ex-présidente de la Cour suprême Ayala Procaccia; l’ex-ministre de la Justice, Tzipi Livni; la présidente du Parti travailliste, Merav Michaeli; et le chef du Parti arabe Ra’am, Mansour Abbas. Mais ces personnalités, associées au précédent «gouvernement du changement», sont toutes massivement discréditées par leur imposition d’un programme droitier d’austérité et de guerre. Cela a conduit le chroniqueur du quotidien HaaretzAnshel Pfeffer à avertir que «cette manifestation n’[avait] toujours pas de leader… La colère contre le nouveau gouvernement doit encore grandir, mais on pouvait entendre beaucoup de colère autour de la place de la part des dirigeants et des militants des groupes de gauche…»

Yaakov Katz a mis, dans le Jerusalem Post, l’opposition en garde contre les dangers de provoquer une guerre civile. «Parler d’une guerre civile est dangereux. Israël est à la veille de son 75e  anniversaire et la pensée que cette dernière expérience de souveraineté juive depuis des milliers d’années sera mise en péril à cause d’une discorde interne, devrait nous secouer au plus profond de nous-mêmes», écrit-il.

«Oui, les questions qui sont soulevées sont importantes et les conséquences sont potentiellement terribles. Mais nous ne devons pas considérer cet État comme acquis. Nous devons le protéger, et oui, nous devons aussi nous battre pour lui».

Vu la gravité de la situation, des commentateurs pro-impérialistes ont appelé à une forme d’intervention des puissances américaines et européennes pour freiner Netanyahou. Thomas L. Friedman, dans le New York Times du 17  janvier, plaide ainsi auprès du président Biden, «vous êtes peut-être le seul à pouvoir empêcher le Premier ministre Benjamin Netanyahou et sa coalition extrémiste de faire d’Israël un bastion anti-libéral du fanatisme», ajoutant, «je crains qu’Israël ne soit sur le point de connaître de graves troubles civils internes».

Cela, dit-il, «a des implications directes pour les intérêts de sécurité nationale des États-Unis. Je n’ai pas l’illusion que Biden puisse inverser les tendances les plus extrêmes qui émergent en Israël aujourd’hui. Mais il peut mettre les choses sur une voie plus saine, et peut-être empêcher le pire, avec un peu d’amour sévère, tel qu’aucune autre personne extérieure ne peut le faire».

Simon Tisdall, écrivant à des fins similaires dans le Guardian, avertit: «En mettant en danger le soutien de l’opinion publique occidentale à l’État d’Israël, en sapant sa démocratie et en confondant ses alliances, Netanyahou et ses acolytes fauteurs de haine se montrent comme les pires ennemis de leur pays». Mais il est obligé de reconnaître que Netanyahou ne peut poursuivre son offensive que parce que «la réponse des alliés occidentaux d’Israël à cette évolution alarmante et déstabilisante a été étrangement muette…»

Il note encore que «jusqu’à présent, les États-Unis ont évité toute critique ouverte», une «approche honteusement passive» également adoptée par l’Union européenne et la Grande-Bretagne. À cela s’ajoutait l’évolution des régimes arabes autoritaires de la région vers des relations ouvertement amicales avec Israël.

Les impérialistes et les puissances régionales du Moyen-Orient sont unis contre toute contestation du gouvernement israélien du fait de leur propre crise. Tous doivent réprimer la montée de l’opposition sociale et politique à leur programme commun d’enrichissement toujours plus grotesque de l’oligarchie financière au détriment direct des travailleurs et des masses opprimées, et à leur campagne de guerres de conquête impérialistes et d’hégémonie mondiale visant la Russie, la Chine et des régimes plus petits comme l’Iran et la Syrie.

L’éruption de l’opposition de masse en Israël coïncide par exemple avec l’imposition par le régime d’al-Sisi en Égypte de 38  peines de prison à perpétuité contre ceux impliqués dans les manifestations anti-gouvernementales de 2019. Cela, dans un contexte de quasi-effondrement de l’économie, de montée du mécontentement social et dans le contexte de protestations anti-gouvernementales qui durent depuis des mois en Iran.

Les manifestations de masse en Israël vont changer le climat politique dans le monde entier – tout comme l’ont fait en 2011 les soulèvements avortés du printemps arabe.

Des dizaines de milliers de manifestants israéliens ont dénoncé Netanyahou et ses alliés fascistes et ont ainsi réfuté la campagne mondiale de diffamation et la chasse aux sorcières lancée contre les adversaires de la répression israélienne des Palestiniens, les diffamant comme antisémites. Ce mensonge immonde a servi à chasser des milliers de gens du Parti travailliste britannique et à victimiser de nombreux universitaires, artistes et militants politiques, aux États-Unis et en Europe. Si eux sont des «antisémites», des centaines de milliers de citoyens israéliens le sont aussi!

À l’inverse, ces manifestations constituent une puissante réfutation de la thèse centrale de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions, qui traite tous les Israéliens comme s’ils partageaient la responsabilité des crimes de leur gouvernement.

Le projet sioniste d’établir un État juif par la dépossession violente de la population arabe a conduit inexorablement à la création d’un régime de type apartheid, construit sur la répression de masse.

Les événements de Tel-Aviv sont le signe avant-coureur d’une nouvelle mobilisation de la classe ouvrière, non seulement contre cet État, mais dans toute la région et à l’international. Ils confirment la perspective pour laquelle a lutté historiquement la Quatrième Internationale, dirigée aujourd’hui par le Comité international, celle d’unir les travailleurs juifs et arabes dans une lutte commune afin de renverser l’État sioniste et les régimes bourgeois arabes et pour la construction d’États socialistes unis du Moyen-Orient.

(Article paru d’abord en anglais le 19 janvier 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…