Par Leila Mazboudi

Rejet des amendements libanais via une source anonyme, tout en louant la proposition américaine sur la démarcation des frontières maritimes avec le Liban, absence de communiqué ministériel et déchainement des médias, annonce de l’état d’alerte militaire par crainte d’une attaque de la résistance, à laquelle cette dernière est entièrement préparée, miser sur des changements présidentiel et gouvernemental au Liban à son avantage qui risque de déchainer le Hezbollah,   « Israël » ne semble pas avoir l’embarras du choix. En dépit des menaces de son ministre de la Défense.

Quelques heures après la remise des amendements libanais à la proposition américaine sur la démarcation des frontières maritimes entre le Liban et la Palestine occupée, le ministre israélien de la Défense israélien Benny Gantz a ordonné jeudi soir à l’armée israélienne de se préparer à affronter des scénarios d’escalade sur le front avec le Liban.

Menaces sans communiqué

Auparavant s’était tenue pendant trois heures et demi la réunion du Cabinet ministériel israélien restreint qui s’est abstenu de publier de communiqué exposant ses décisions.

Ce sont les médias israéliens qui se sont lancés dans une campagne citant des sources sous le couvert de l’anonymat. Comme pour la première position israélienne attribuée par une source anonyme au Premier ministre Yaïr Lapid rejetant les amendements libanais. Le cabinet a donc selon eux entériné ce rejet. Les ministres présents ont été unanimes que la proposition du médiateur américain Amos Hochstein dans sa formule initiale était « excellente », car prenant en compte les intérêts sécuritaires israéliens, et que « les remarques libanaises sont inadmissibles », a traduit le journal al-Akhbar. Et il ont accepté l’éventualité de mener des opérations offensives préventives au cas où les informations obtenues font état que le Hezbollah se prépare pour lancer une attaque.
« Le premier ministre Yaïr Lapid, le ministre de la Défense Benny Gantz et le Premier ministre suppléant, Naftali Bennett, ont été chargés d’assumer cette mission sans revenir au cabinet », rapportent les médias israéliens, toujours selon al-Akhbar.

En ordonnant l’état d’alerte, Gantz a réitéré les mêmes menaces auxquelles il était habitué : « Que l’accord soit signé ou pas, nous sommes prêts à défendre nos infrastructures et notre souveraineté. Et si le Hezbollah veut nuire au champ de Karish, le prix militaire que l’Etat libanais et le Hezbollah paieront sera lourd ».

La crainte du Hezbollah

Le chroniqueur pour les affaires israéliennes du journal libanais al-Akhbar, Yahia Dbouk constate qu’après ses déclarations, tous les médias israéliens se sont déchainés,  réagissant en boucle, pour diffuser des titres et des contenus identiques, rendant compte de « préparatifs de l’armée de l’air, de la marine et du Commandement du Nord pour la possibilité d’une escalade contre le Hezbollah, dans la perspective du démarrage de la production de gaz à partir de la plateforme de Karish prévu à la fin du mois ».
Citant des sources militaires, ces médias ont dit s’attendre à des changements opérés pour le déploiement des systèmes de défense aérienne afin d’augmenter la capacité d’interception des missiles et des drones en cas d’attaque contre le champ de Karish.

Ils ont rapporté les évaluations de l’armée israélienne selon lesquelles « le Hezbollah n’hésitera pas à commettre un acte provocateur en envoyant des drones, ou en lançant des rafles de missiles en vue d’obtenir des gains politiques dans le conflit du Liban sur les eaux économiques contre Israël ».

Donc c’est la crainte que le Hezbollah ne passe à l’acte après le rejet israélien qui les animent, en déduit al-Akhbar.

L’état d’alerte, une imposture

Des chroniqueurs israéliens perçoivent même  « une imposture », dans les déclarations de Gantz sur l’état d’alerte. « C’est une imposture pour nous persuader qu’il faut conclure l’accord. Regardez ce qui se passe ici. Qu’est-ce qui pourrait nous faire entrer dans les abris… Il est clair que ceci ne s’adresse pas aux soldats. S’il voulait hausser le niveau de l’alerte il ne l’aurait pas dit devant les médias », a commenté l’analyste  Raviv Drucker.

Alors que l’expert dans les Affaires arabes Youni ben Menahem est persuadé que le commandement militaire israélien veut éviter la confrontation avec le Hezbollah et « Israël » est concerné pour parvenir à un accord avec le Liban.

Or, dans les médias israéliens, le ton apaisant y est aussi perceptible: des responsables israéliens font valoir que le rejet des amendements libanais ne signifie pas qu’Israël refuse l’accord. D’aucuns font  constater que le rejet attribué à Lapid a été exprimé par un responsable sous le couvert de l’anonymat, laissant entendre que cette position pourrait changer.

Deux probabilités des Israéliens

La position du Cabinet israélien est « ambiguë et ne constitue pas de rejet de l’accord, mais limite plutôt son problème à certains des amendements demandés par le Liban », estime le rédacteur en chef d’al-Akhbar, Ibrahim al-Amine.

Selon ce dernier, en refusant les remarques libanaises, les responsables israéliens sont devant deux probabilités :
Soit, ils veulent miner l’accord
Soit, ils veulent gagner du temps, prévoyant des circonstances meilleures, d’autant que l’ennemi cherche surtout à couper les ailes de la résistance et à l’empêcher d’intervenir entre autres dans ce dossier épineux.

Concernant ces circonstances meilleures prévues, al-Amine croit deviner que les Israéliens veulent miser sur un changement en leur faveur à travers les deux échéances qui attendent le Liban dans les prochaines semaines : l’élection d’un nouveau président et la formation d’un nouveau gouvernement. Et en cas de vacance présidentielle, ils pourraient envisager d’en profiter.

Hezbollah, sans Aoun

Or al-Amine estime que cette situation pourrait se retourner contre eux et se trouver à l’avantage du Hezbollah :
« En cas de vacance présidentielle, ou à la lumière de nouvelles divisions politiques, la résistance retrouvera sa plus grande marge de manœuvre qu’elle a réduite de son plein gré en raison de sa confiance dans le président (Michel) Aoun. Par conséquent, parier sur des changements qui conduiront le Liban à des concessions à un stade ultérieur indique un manque de compréhension sérieuse de la stratégie et du mécanisme de pensée de la résistance », a-t-il prévenu.

La menace de « l’après Karish »

De même dans le cas de retour à la case de départ, et du démarrage de l’extraction de gaz du gisement Karish, la menace de l’après Karish proférée par le numéro du Hezbollah ne tarderait pas à être mise en exécution, estime-t-il.

Avec la participation de la résistance palestinienne, la résistance libanaise serait en mesure d’empêcher les Israéliens de poursuivre l’exploitation des autres gisements gaziers offshore dans le large de la Palestine occupée, loin de la ligne négociée sur la démarcation des frontières maritimes. Et les négociateurs libanais pourraient durcir le ton en cas de reprise des pourparlers, en refusant de les axer sur la ligne 23 pour opter pour une ligne plus éloignée, la 30, bien au-delà de la 29 sur laquelle se trouve le gisement Karish, selon le rédacteur en chef d’al-Akhbar.

Les Israéliens savent bien

Al-Amine ne prend pas beaucoup au sérieux les menaces d’offensive militaire israélienne contre le Liban car, selon lui, les Israéliens savent très bien que la résistance n’attend que cela et que « le commandement de la résistance jouit de la capacité et de la volonté nécessaires pour qu’aucun accord sur la délimitation des frontières maritimes ou terrestres n’ait plus de sens ». Surtout qu’il ne les reconnait pas.

Pour étayer son point de vue, il rapporte les propos du chef du Mossad David Barnea qui a dit hier : « Nasrallah s’est engagé publiquement à empêcher la production du gaz de Karish s’il n’y a pas d’accord… il est à craindre qu’il soit obligé de montrer qu’il tient parole ».

A en croire le journal al-Akhbar, dans une situation pareille, les responsables israéliens n’ont pas l’embarras du choix.
Et comme le Liban ne cesse de s’enliser davantage dans sa crise économique inédite et que les solutions préconisées par les Occidentaux ne feront que l’exacerber, la menace qu’il glisse  vers l’escalade militaire, si ses conditions ne sont pas exaucées, semble plus plausible que jamais.
Alors que les Libanais estiment que dans leur contexte actuel ils n’ont plus rien à perdre, la conjoncture internationale actuelle pourrait très bien leur inspirer.

Source: Médias

Source : Al Manar
https://french.almanar.com.lb/…

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