Par Ziad Medoukh
Peut-on décrire un crime dans les ruines ? Ou plutôt, peut-on survivre sous un tel déluge de feu à Gaza ? Comme citoyen palestinien de Gaza, je suis accoutumé à témoigner des atrocités de l’occupation. Cependant, une semaine après le cessez-le-feu, la tâche est bien ardue pour décrire la noirceur de ces trois jours sombres et le degré de dévastation qui s’est abattu sur les civils lors de cette énième agression militaire israélienne début août 2022.
Une agression militaire à grande échelle du 5 au 7 août 2022, avec des frappes aériennes et des tirs d’artillerie contre des maisons résidentielles, des terres agricoles et des infrastructures civiles. En conséquence, 49 palestiniens, dont 17 enfants et 4 femmes ont été assassinés, et 360 autres, ont été blessés.
Notre calamité a des causes connues, mais la communauté internationale la laisse croître et s’abreuver du sang de femmes et d’enfants plongés dans les ténèbres pendant trois jours. Que tous sachent que notre résistance pour notre survie et notre volonté de reprendre les rênes de notre liberté confirment notre dévouement à cette terre magique et belle, que les mensonges israéliens et de certains médias étrangers complices de crimes ne pourront ébranler.
Angoissants, terrifiants ces trois jours de déluge de feu sur des femmes et des enfants ! Leur sang ne suffirait pas pour écrire la lente agonie d’une population civile dans sa survie. Malgré le cessez-le-feu, cette population reste traumatisée, le choc psychologique du bruit assourdissant des bombardements est gravé dans nos mémoires, comment est-ce possible ? C’était un véritable carnage, personne n’était à l’abri, tous attendaient sous ce déluge de feu israélien que la mort vienne les happer.
Personnellement, je ne m’attendais pas à ce déferlement de bombes. Mais, pour le régime d’apartheid israélien, rien n’est sacré. Ces criminels s’acharnent avec force et violence contre la bande de Gaza à n’importe quel moment.
Lors de cette agression, l’armée d’occupation israélienne a semé le chaos, la terreur et l’horreur dans une région qui subit déjà un blocus inhumain et illégal depuis plus de quinze ans, et qui survit dans une crise économique sans précédent. Le véritable objectif israélien était de briser la volonté remarquable de cette population civile qui, malgré le blocus, quatre offensives précédentes et la crise humanitaire, continue de résister et d’exister.
Comme toute la population, j’ai vécu dans l’angoisse sous les feux des bombardements toutes les trois à quatre minutes, privé d’électricité 20h sur 24, avec un minimum d’eau pour survivre, peu de médicaments et de produits alimentaires. Malgré le manque de moyens, débordé et sous pression, je donnais la priorité à mon devoir de rédiger un compte-rendu quotidien du bilan de l’agression, que j’envoyais chaque jour, via Internet et les réseaux sociaux, à tous les solidaires dans le monde et aux associations de soutien à la Palestine.
Une tâche bien ardue dans ces temps de blitzkrieg, en raison des coupures d’électricité permanentes. Je témoignais tous les jours, voire toutes les heures, grâce à un groupe électrogène qui fournit un peu d’électricité. Je suis intervenu sur plusieurs chaînes de radio, de télévision, dans des journaux et sur divers sites francophones qui me sollicitaient sans cesse, sans compter les appels téléphoniques quotidiens en provenance de pays francophones.
Je peux affirmer que, durant cette agression, j’étais rempli de joie à chaque retour du courant électrique, ne serait-ce que deux heures par jour, pour envoyer les bilans et charger les batteries qui me donnaient deux ou trois heures de courant en plus.
La transmission à l’étranger du bilan quotidien de l’agression israélienne était pour moi primordiale, parce que je tiens énormément à la solidarité populaire envers notre cause, en particulier pour dévoiler l’extrême brutalité des bombardements israéliens et les silences des pays complices.
Dès le retour du courant chez moi, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, c’était le branle-bas de combat à la maison. Je décrétais un « état d’urgence », avec interdiction formelle de me parler ou de me demander quoi que ce soit .
Je suis convaincu de l’importance de cette solidarité internationale. Je voulais informer du sacrifice de toutes mes obligations de père et d’époux, je devais informer les médias étrangers du bilan quotidien de la tuerie de femmes et d’enfants en toute impunité par l’armée israélienne. En profitant au maximum du courant électrique, je regroupais les informations de plusieurs sites locaux, photos et sources médicales, pour les transmettre à l’étranger.
Pendant les trois jours de bombardements israéliens, j’ai réussi à envoyer mon bilan quotidien à des milliers de personnes. Et même si je n’avais pas le temps de lire et de répondre à tous les messages qu’ils m’adressaient, oh combien !, j’étais réconforté par tous les soutiens des militants de la paix et de la justice qui s’exprimaient sans relâche pour la cause palestinienne partout dans le monde.
Mon quotidien durant cette agression fut très éprouvant. Le simple fait d’effectuer mes courses au marché tous les jours pour nourrir ma famille ou de rendre visite aux voisins pour prendre de leurs nouvelles, comportait des risques majeurs de mourir. Quel que soit l’endroit où vous vous trouviez dans la bande de Gaza, la mort planait dans le ciel. Le reste du temps, je restais enfermé à la maison pour suivre les informations des médias étrangers, qui découvraient que le peuple palestinien était martyrisé, alors que cela dure depuis 73 ans !
Dès que le courant électrique revenait, je m’appliquais à faire mon devoir de citoyen palestinien devant mon ordinateur par mes comptes rendus, pour contrecarrer la désinformation de certains médias francophones à grande écoute. Je faisais mon devoir d’informer, pour que le sacrifice de nos martyrs, hommes, femmes et enfants, ne soit pas étouffé par les caisses de résonance médiatiques à la solde de l’occupation. Je faisais mon devoir d’informer pour la Palestine martyrisée par une armée de criminels, qui a souillé notre terre jusqu’à sa racine. Je faisais mon devoir d’informer, car l’information fait partie de la lutte et de la résistance palestiniennes.
Cependant, à l’image de mon peuple lors de cette agression, j’étais envahi par plusieurs sentiments : fierté, confiance, force, courage, peur, colère, indignation, inquiétude et soulagement. Malgré le sang, les larmes et la douleur, j’ai gagné un grand nombre de nouveaux amis, j’ai découvert des personnes extraordinaires de plusieurs pays avec qui je garde le contact, des personnes solidaires qui souhaitent soutenir Gaza et la Palestine.
Des défenseurs de la cause palestinienne très inquiets du sort malfaisant que cette occupation et ses alliés complices font subir à la Palestine, et à Gaza en particulier, depuis plusieurs décennies., j’ai eu la chance de parler en direct lors de plusieurs manifestations dans des pays francophones pendant et après l’agression israélienne. Leurs slogans (« Palestine vivra, Palestine vaincra ») nous submergent de courage et de résistance, parce que nous savons que, derrière nous, il y a des millions de personnes dans le monde qui expriment leur colère contre les crimes ignobles commis par l’armée israélienne dans la bande de Gaza.
Je suis fier de l’équipe bénévole de la chaîne francophone « Gaza La Vie », et le site « Gaza en français », ces jeunes motivés qui, au risque de leur vie, ont informé le monde francophone pour dénoncer les horreurs de l’agression israélienne, en publiant des vidéos et des photos sur leurs réseaux sociaux.
Deux jours après le cessez-le-feu, j’ai accompagné ces jeunes pour organiser des activités d’animation et de soutien psychologique permettant de rassurer des enfants profondément traumatisés. Il est impératif, pendant ces heures sombres, d’apporter de l’amour et de l’humanité à ces petits anges, qui étaient déjà privés de tout avant ce nouveau carnage.
En dépit de ces trois jours de terreur où Gaza a supporté l’insupportable, les deux éléments qui me rassurent sont, d’une part, la prodigieuse volonté et la patience exemplaire de notre population civile malgré l’ampleur du génocide, et, d’autre part, la mobilisation internationale et le soutien populaire partout dans le monde. Notre population a apprécié cette solidarité qui a contribué à faire pression sur les gouvernements.
Pour faire plier la société civile de Gaza, le régime israélien d’apartheid s’était appuyé sur trois objectifs :
– objectif militaire par des bombardements sans distinction de cibles ;
– objectif psychologique en semant la terreur ;
– objectif économique avec le renforcement de la fermeture des points de passage maritimes, terrestres et aériennes de Gaza, qui est sous blocus depuis plus de quinze ans, afin de priver les civils de nourriture et de médicaments ;
Mais la bande de Gaza n’a jamais plié et elle ne pliera pas si l’armée israélienne s’attaque de nouveau à elle, car cette armée de criminels n’a jamais respecté le droit humain des Palestiniens. D’autant plus que dix jours après l’interruption de cette nouvelle agression, rien n’a changé à Gaza, qui subit toujours le blocus inhumain imposé par ce régime d’apartheid.
Les questions de fond demeurent : l’occupation, la colonisation, le blocus, et l’apartheid. De sorte que tant que les crimes israéliens ne sont pas jugés et tant que dure l’impunité de ce régime colonial, un nouveau génocide se prépare.
La forte mobilisation pour Gaza partout dans le monde, pendant et après la récente agression israélienne, est très appréciée par notre population. Elle doit être poursuivie car, avant et après cette agression, la situation est toujours marquée par l’absence de perspectives.
Malgré les effroyables pertes humaines et les destructions massives, en dépit de ces trois jours de terreur, je suis plus que jamais déterminé à continuer la résistance par la plume, l’information, l’éducation et le travail auprès des jeunes pour une ouverture sur le monde, avec le soutien indéfectible des sympathisants à l’étranger qui militent sans relâche pour une Palestine de liberté et de paix durable, une paix qui passera avant tout par la justice.
Source : auteur
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