27 juillet| David Kattenburg pour Mondoweiss |Traduction JPB pour l’AURDIP | en English

Le commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Miloon Kothari, explique pourquoi l’apartheid ne suffit pas à expliquer les causes profondes de la crise palestinienne.

Le voyage de Joe Biden en Israël, en Palestine occupée et en Arabie saoudite est terminé.

Citant « les hostilités avec le Hamas pendant onze jours en mai 2021 » la déclaration de Jérusalem proclamée par Joe Biden et le Premier ministre israélien Yair Lapid a réaffirmé l’engagement de Washington à fournir à Israël, doté de l’arme nucléaire, un milliard de dollars pour la défense antimissile (en plus des 3,8 milliards qu’il reçoit déjà), et à aider Israël à construire des ’systèmes d’armes laser à haute énergie’ pour se défendre contre l’Iran et ses ’mandataires terroristes’.

La mention par la Déclaration de Jérusalem du conflit de mai 2021 – au cours duquel plus de 250 habitants de Gaza ont été tués, dont 66 enfants, et des milliers de Palestiniens blessés – mérite d’être soulignée. Dans le sillage de cette attaque, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) a créé une commission d’enquête chargée d’identifier les ’causes profondes’ de cette flambée de violence qui a duré onze jours.

Le 7 juin dernier – alors que la déclaration de Jérusalem de Biden et Lapid était probablement en cours de rédaction – la Commission a présenté son premier rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. À en juger par le contenu de ce rapport, le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël promet de devenir plus compliqué.

Son nom complet est un peu long, mais en dit long. Selon la « Commission internationale indépendante d’enquête (COI) sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël » ’Israël’ est effectivement un seul État, du fleuve à la mer – un État d’apartheid, apparemment, mais où le colonialisme de peuplement est un problème plus fondamental.

Navanethem (Navi) Pillay, juriste sud-africaine aux références très impressionnantes (voir ci-dessous), préside la Commission, aux côtés de Chris Sidoti, consultant australien en droits de l’homme, et de Miloon Kothari, spécialiste indien des droits de l’homme, militant et défenseur du droit au logement.

Dans le sillage du premier rapport de la Commission, Mondoweiss s’est entretenu avec Miloon Kothari. Son point de vue est à la fois franc et tranchant.

Un mandat sur les causes profondes

Contrairement aux précédentes commissions d’enquête de l’ONU sur le « conflit » du Moyen-Orient, le mandat de la Commission Pillay n’est ni limité dans le temps, ni soumis à un renouvellement annuel, ni restreint à l’examen du conflit qui a conduit à sa création. Au contraire, il lui a été demandé de prendre son temps et d’examiner les ’causes profondes des tensions récurrentes’.

Et, contrairement aux commissions et rapporteurs spéciaux précédents sur les territoires palestiniens occupés (TPO), la Commission a été chargée d’examiner la situation à la fois dans les TPO et en Israël ’proprement dit’ (’Israël lui-même’, selon les termes du rapport de juin de la Commission).

« Donc, essentiellement, nous examinons la situation des droits de l’homme de la rivière à la mer », a déclaré Kothari à Mondoweiss. « Il existe des similitudes à l’intérieur et à l’extérieur de la ligne verte, il faut donc établir des liens. »

Le rapport de juin de la Commission Pillay souligne ces liens.

’L’impunité alimente un ressentiment accru au sein du peuple palestinien dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël… La poursuite de l’occupation du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, le blocus de Gaza depuis 15 ans et la discrimination de longue date au sein d’Israël sont tous intrinsèquement liés, et ne peuvent être examinés isolément.’ [c’est nous qui soulignons].

Miloon Kothari développe.

« Ce qui s’est passé dans les territoires occupés depuis 67 est quelque chose qui se passait déjà à l’intérieur de la Ligne verte depuis 48 – les niveaux de discrimination ; les différentes lois ; la dépossession des Palestiniens-Israéliens », a déclaré Kothari à Mondoweiss. « Donc, je pense qu’il est important de faire cette distinction, mais aussi d’établir des parallèles. »

Plus facile à dire qu’à faire. Israël ne laisse pas la Commission Pillay entrer dans « l’État juif », et l’Égypte ne la laisse pas entrer à Gaza (jusqu’à présent). Les commissaires ont donc rencontré des Palestiniens et des Israéliens à Amman et en Europe. Une délégation de trente universitaires, journalistes et anciens diplomates juifs et israéliens a rencontré la Commission à Genève.

« lls étaient généralement d’accord avec nous ; ils nous ont généralement encouragés à continuer », dit Kothari.

L’ambassadeur d’Israël n’a pas répondu à une demande de réunion à Genève, dit Kothari.

« S’ils estiment avoir une histoire à raconter, ils devraient nous laisser entrer et nous faire part de leur point de vue sur l’ensemble de la situation », a déclaré Kothari à Mondoweiss. « Donc, nous espérons. Nous continuons à essayer. Nous continuerons à essayer. Et nous espérons qu’ils nous laisseront entrer à un moment donné. »

Une occupation permanente

Parmi les observations les plus directes du premier rapport de la Commission Pillay (limitée, à ce stade, à l’examen des conclusions passées des commissions de l’ONU et des rapporteurs spéciaux) figure l’apparente permanence de l’occupation israélienne.

« La Commission note la force des preuves crédibles disponibles prima facie qui indiquent de manière convaincante qu’Israël n’a aucune intention de mettre fin à l’occupation, a des politiques claires pour assurer un contrôle total sur le territoire palestinien occupé, et agit pour modifier la démographie par le maintien d’un environnement répressif pour les Palestiniens et un environnement favorable pour les colons israéliens », indique le rapport.

Comme l’a souligné Michael Lynk, ancien rapporteur spécial des Nations unies, l’occupation belligérante ’permanente’ est un oxymore en droit international. Miloon Kothari va plus loin.

« C’est illégal depuis le début », a déclaré Kothari à Mondoweiss.

« J’irais même jusqu’à soulever la question de savoir pourquoi [Israël est] même membre des Nations unies. Parce que … le gouvernement israélien ne respecte pas ses propres obligations en tant qu’État membre de l’ONU. En fait, il tente constamment, directement ou par l’intermédiaire des États-Unis, de saper les mécanismes des Nations unies. »

Et, selon Kothari et ses collègues commissaires, Israël pratique le crime suprême d’apartheid.

Citant les observations du Comité des droits civils et politiques des Nations unies, la Commission Pillay a noté le ’système à trois niveaux des lois [israéliennes] accordant un statut civil, des droits et une protection juridique différents aux citoyens israéliens juifs, aux citoyens palestiniens d’Israël et aux résidents palestiniens de Jérusalem-Est’.

En outre, souligne la Commission dans son rapport initial, « Israël applique une partie substantielle de ses lois internes aux colons israéliens en Cisjordanie, tandis que les Palestiniens sont soumis à la loi militaire israélienne. »

Les limites de l’apartheid

Mais la Commission Pillay n’est pas prête à s’aventurer sur le terrain de l’apartheid – pour l’instant.

« L’apartheid est un paradigme/cadre utile pour comprendre la situation, mais pas suffisant », a déclaré Kothari à Mondoweiss.

« Nous devons prendre en compte le colonialisme de peuplement, les questions générales de discrimination, l’occupation et d’autres dynamiques pour obtenir une image plus complète des causes profondes de la crise actuelle… mettre fin à l’ « apartheid » ne mettra pas fin à la crise de l’occupation pour les peuples palestiniens… la question de l’autodétermination nécessite de nombreux autres changements. »

Mais la Commission Pillay « abordera la question de l’apartheid, à un moment ou à un autre, car nous nous pencherons sur la discrimination en général, du fleuve à la mer », précise M. Kothari.

Dans le même temps, la commission rassemble des données médico-légales qui seront soumises à la Cour pénale internationale et à la Cour internationale de justice.

« Notre travail consiste à rassembler un référentiel de toutes les preuves que nous recueillons, puis, à un moment donné, à le remettre aux organes judiciaires qui peuvent prendre des mesures », explique M. Kothari.

Documenter la dépossession

Selon M. Kothari, le secrétariat de la Commission Pillay dispose d’une expertise juridique et de recherche et est en contact avec la CPI. Kothari et ses collègues commissaires ont visité la CPI en juin, où ils ont rencontré le procureur adjoint Nazhat Shameem Khan (aucun lien avec le procureur en chef Karim Khan) et son équipe.

Tout en rassemblant des preuves juridiques en vue de futures actions en justice, la Commission Pillay prévoit également de demander aux ’hautes parties contractantes’ de la 4ème Convention de Genève de rendre des comptes à des tiers. L’article 1 de la 4ème Convention de Genève leur impose de ’respecter et faire respecter la convention en toutes circonstances’.

Parmi les questions que la Commission Pillay abordera avec des tiers tels que les États-Unis, le Canada et l’Union européenne, figurent les transferts d’armes vers Israël et l’engagement de leurs entreprises dans l’occupation apparemment permanente d’Israël et dans l’entreprise de colonisation manifestement illégale.

« Nous espérons convaincre ces pays d’aller au-delà de l’idéologie, de ne pas se contenter d’une foi aveugle dans tout ce que fait Israël », déclare Kothari.

La Commission Pillay envisage des voyages au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Syrie et en Amérique du Nord, afin de s’entretenir avec les membres de la diaspora palestinienne.

« Il y a des réfugiés qui, historiquement, ont été dépossédés des territoires occupés », explique Miloon Kothari à Mondoweiss.

Pour documenter leur dépossession, la Commission Pillay utilisera des données géospatiales qui « montrent très clairement […] à quel point l’occupation s’est solidifiée en Cisjordanie, et les dommages causés, par exemple, par le blocus de Gaza ».

Le rapport de la Commission Pillay présentera ces conclusions et d’autres dans son deuxième rapport à l’Assemblée générale des Nations unies, au cours de la troisième semaine d’octobre 2022.

Pression politique

Les membres de la commission prévoient de passer deux semaines aux États-Unis, d’organiser des tables rondes dans les universités et de rencontrer les membres du Congrès – ceux qui acceptent de les rencontrer.

Kothari attire l’attention de Mondoweiss sur le COI (Commission of Inquiry) Elimination Act. Parrainée par 73 républicains et 15 démocrates (dont Henry Cuellar, Josh Gottheimer et Ritchie Torres), la résolution 7223 de la Chambre des représentants appelle à une réduction de vingt-cinq pour cent des allocations américaines au Conseil des droits de l’homme, correspondant apparemment au travail de la Commission Pillay.

Rien ne met plus en colère les alliés d’Israël que le président sud-africain de la Commission. Dès sa création, Navi Pillay a fait l’objet d’attaques au vitriol.

Les références de Pillay sont impressionnantes. Première femme à ouvrir un cabinet d’avocats dans sa province natale du Natal, où elle a représenté des militants anti-apartheid emprisonnés à Robben Island, Mme Pillay a été nommée à la Haute Cour sud-africaine, puis au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Mme Pillay siège actuellement à la Cour internationale de justice, à la Commission internationale contre la peine de mort et au conseil consultatif de l’Académie internationale des principes de Nuremberg. Elle est également présidente de l’enquête quasi-judiciaire sur la détention en République populaire démocratique de Corée.

Les références de Mme Pillay n’influencent pas ses adversaires, que ce soit aux États-Unis ou au Canada. B’Nai Brith Canada (BBC) a fait pression sur le gouvernement canadien pour obtenir le renvoi de Pillay, et on leur a conseillé de parler directement à l’ambassadeur canadien [aux Nations Unies] Bob Rae (c’est ce qu’ils ont prétendu).

’À la suggestion de [l’ambassadeur] Rae’, rapporte BBC, ils ont également ’sollicité l’aide de la mission du Canada à Genève’.

À la question de savoir si BBC avait effectivement demandé à la mission du Canada à Genève de faire limoger Mme Pillay, Affaires mondiales Canada a répondu ’poliment’ à cet auteur qu’il n’avait ’rien à ajouter’.

Dans la foulée du rapport de la Commission Pillay du 7 juin – la porte de la grange grande ouverte et les chevaux partis – le Canada s’est joint aux Etats-Unis et à vingt autres pays pour condamner le travail de la Commission. Dans leur lettre au Conseil des droits de l’homme, ils expriment leur ’profonde inquiétude’ au sujet du mandat ’illimité’ de la Commission, sans ’clause d’extinction, date de fin ou limites claires’.

’Personne n’est au-dessus de la surveillance’, souligne la lettre. ’Nous devons travailler pour contrer l’impunité et promouvoir la responsabilité sur la base de normes cohérentes et universellement appliquées.’

Cependant, la lettre poursuit : ’Nous pensons que la nature de la Commission d’enquête … est une nouvelle démonstration de l’attention disproportionnée accordée depuis longtemps à Israël au sein du Conseil … Nous continuons à penser que cet examen disproportionné de longue date devrait prendre fin et que le Conseil devrait traiter toutes les préoccupations en matière de droits de l’homme, quel que soit le pays, de manière impartiale.’

Miloon Kothari convient que ’le Conseil devrait traiter toutes les préoccupations en matière de droits de l’homme, quel que soit le pays, de manière impartiale’, mais rejette la ’duplicité’ et les ’doubles standards’ incarnés dans le reste de la lettre.

’Quand il s’agit de l’Ukraine, le droit international devient très, très important’, a-t-il déclaré à Mondoweiss. ’Et ils vont de l’avant, et soulignent toutes les violations commises par la Russie. Mais les mêmes violations d’occupation et de dépossession faites par Israël ne reçoivent pas le même traitement.’

Source : UJFP
https://ujfp.org/…