Le procureur général américain Merrick Garland et la procureure générale d’Ukraine, Iryna Venediktova, se rencontrent à Krakovets, à la frontière ukrainienne avec la Pologne, mardi 21 juin 2022.
(AP Photo/Nariman El-Mofty).

Par Nick Turse

Le procureur général Merrick Garland a annoncé des enquêtes sur les crimes de guerre commis en Ukraine. Mais les propres atrocités impunies de l’Amérique sont pléthoriques.

Source : The Intercept, Nick Turse
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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« Il n’y a pas d’endroit pour se cacher », a déclaré le procureur général des États-Unis Merrick Garland lors d’un voyage surprise en Ukraine cette semaine, annonçant qu’un procureur vétéran connu pour avoir traqué les Nazis dirigerait les efforts américains pour enquêter sur les crimes de guerre russes. « Nous poursuivrons toutes les voies possibles pour faire en sorte que les responsables de ces atrocités en répondent », a-t-il ajouté.

Garland n’avait pas besoin de parcourir 7 400 km à la poursuite de criminels de guerre. S’il voulait que les responsables de ces atrocités rendent des comptes, il aurait pu rester chez lui.

Dans une banlieue du Maryland, à un peu plus d’une heure du bureau de Garland, j’ai interviewé un vétéran de l’armée américaine qui a avoué avoir tiré, au Vietnam, sur un homme âgé non armé en 1968. Il ne s’est pas contenté de me le dire. Il l’a dit à des enquêteurs criminels militaires au début des années 1970, mais n’a jamais été inculpé ni traduit en cour martiale. Il a pris sa retraite de l’armée en 1988.

Les États-Unis regorgent de criminels de guerre. Certains sont des étrangers qui ont fui les responsabilités dans leur pays. La plupart sont d’origine locale. Ils vivent dans des endroits comme Wheelersburg, Ohio (un tortionnaire avoué), et Auburn, Californie (un diplômé de West Point qui a présidé à un massacre). Comme ces vétérans, la plupart n’ont jamais été inculpés, et encore moins jugés ou condamnés. Si Garland ou Eli Rosenbaum, qu’il a chargé de diriger l’équipe chargée de rendre compte des crimes de guerre en Ukraine, veulent les retrouver, je peux leur fournir des adresses.

J’ai retrouvé ces vétérans grâce aux dossiers d’un groupe de travail secret sur les crimes de guerre mis en place par le Pentagone pendant la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, même ce minimum de responsabilité a disparu. Le département de la Défense n’a plus le droit de mentionner le personnel américain et les « crimes de guerre » dans la même phrase.

Le personnel anonyme impliqué dans l’attaque en Syrie – y compris le pilote du F-15, l’équipe du drone, les avocats, les analystes et les membres d’une équipe spéciale d’opérations – est typique des Américains impliqués dans la mort de civils pendant plus de 20 ans de la soi-disant guerre contre le terrorisme, qui ont rarement été identifiés publiquement, ont rarement fait l’objet d’une enquête criminelle ou ont rarement été soumis à l’examen d’une équipe chargée de rendre compte des crimes de guerre. Nous ne connaissons généralement pas leurs noms, mais grâce au travail des journalistes et des organisations non gouvernementales, nous connaissons leur travail.

Aimal Ahmadi, dont la fille Mailka et le frère aîné Zimarai Ahmadi font partie des 10 proches tués par une frappe de drone américaine dirigée à tort le 29 août, se tient devant sa maison à Kaboul le 14 décembre 2021. (Photo by WAKIL KOHSAR / AFP) (Photo by WAKIL KOHSAR/AFP via Getty Images)

Il y a eu la « frappe vertueuse » d’août 2021 contre une cible terroriste en Afghanistan qui a en fait tué 10 civils, dont sept enfants. Il y a eu les attaques aériennes et d’artillerie à Raqqa, en Syrie, qui, selon le Pentagone, ont tué 159 civils, mais qui, selon Amnesty International et Airwars, un groupe de surveillance des frappes aériennes basé au Royaume-Uni, ont fait plus de 1 600 morts parmi les civils. Il y a eu la frappe de drone qui a tué 30 travailleurs d’une ferme de pignons en Afghanistan en 2019. Une attaque d’avril 2018 en Somalie qui a tué une femme de 22 ans et sa fille de 4 ans. Une frappe aérienne en Libye, plus tard cette année-là, qui a tué 11 civils.

L’attaque de la même année au Yémen qui a tué quatre civils et en a laissé un autre, Adel Al Manthari, gravement blessé. Les sept attaques distinctes menées au Yémen par les États-Unis – six frappes de drones et un raid – entre 2013 et 2020, qui ont tué 36 membres des familles al Ameri et al Taisy entremêlées. Et les évaluations confidentielles par l’armée de plus de 1 300 rapports de victimes civiles de frappes aériennes en Irak et en Syrie de 2014 à 2018, publiées sous le titre « The Civilian Casualty Files » [Les dossiers des victimes civiles, NdT] par le New York Times à la fin de l’année dernière, parmi tant d’autres preuves.

L’année dernière, John Kirby, alors porte-parole du Pentagone (aujourd’hui Conseil national de Sécurité), a affirmé « qu’aucune armée au monde ne travaille aussi dur que nous pour éviter les pertes civiles ». Les experts ont dit le contraire. « La protection des civils n’est pas une priorité. Nous ne sommes pas les meilleurs parce que nous choisissons de ne pas l’être », a déclaré à The Intercept Larry Lewis, qui a passé une décennie à analyser les opérations militaires pour le gouvernement américain. Le nombre apparemment infini d’incidents connus de pertes civiles qui méritent une enquête ou une nouvelle enquête indique également que la version de Kirby n’est tout simplement pas vraie. Ce qui est également clair, c’est que le Pentagone, comme l’a dit le secrétaire à la Défense Lloyd Austin en avril, n’a pas l’intention de « recontester les dossiers. »

Cette semaine, une ébauche divulguée de la version du projet de loi sur les dépenses de défense pour 2023 du président de la commission des services armés de la Chambre des représentants, Adam Smith, a appelé à la création d’une commission sur les préjudices civils pour enquêter sur le bilan humain de plus de 20 ans de guerre. « Au minimum, la commission pourrait fournir l’évaluation et la comptabilisation les plus complètes des dommages causés aux civils pendant la guerre contre le terrorisme », a déclaré Brian Finucane, conseiller principal à l’International Crisis Group, à The Intercept. Une équipe chargée de rendre compte des crimes de guerre, constituée par Garland, pourrait mettre du fer dans le gant de la commission.

Récemment, Beth Van Schaack, ambassadrice itinérante du département d’État pour la justice pénale mondiale, a fait remarquer que les crimes de guerre russes n’étaient pas le fait « d’une unité de voyous, mais plutôt d’un modèle et d’une pratique dans toutes les régions où les forces russes sont engagées ». Elle a ajouté que la responsabilité s’étendait aux « personnes situées en amont de la chaîne de commandement qui savent que leurs subordonnés commettent des abus et qui n’ont pas fait le nécessaire pour empêcher ces abus ou en punir les auteurs ».

À cette fin, avant de mener des enquêtes sur les dommages causés aux civils par les pilotes de drones et les opérateurs spéciaux dans les zones de guerre, de la Syrie à la Somalie, de la Libye au Yémen, les États-Unis devraient commencer par les premiers architectes de la « guerre contre le terrorisme » et des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, notamment l’ancien président George W. Bush, le vice-président Dick Cheney et la conseillère à la Sécurité nationale Condoleezza Rice.

Si Garland est vraiment indigné par « les récits déchirants de brutalité et de mort » et s’il s’engage à rechercher « toutes les possibilités de faire rendre des comptes à ceux qui commettent des crimes de guerre », il n’a pas besoin d’envoyer des enquêteurs à l’étranger. Il y a beaucoup de criminels de guerre, cachés à la vue de tous, ici même.

Source : The Intercept, Nick Turse, 25-06-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
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