Le président pakistanais déchu, Imran Khan,
l’emporte largement sur ses adversaires dans leur propre fief du Punjab.

Par MK Bhadrakumar

Contre toute attente et face à de puissants rivaux, la victoire de l’ancien Premier ministre Khan aux élections du Pendjab est une victoire pour la démocratie et pour la souveraineté du Pakistan.

Par MK Bhadrakumar

Source : The Cradle, le 18 juillet 2022

Traduction : c.l. pour L.G.O.

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C’est toujours une proposition peu recommandable, que ce soit en Inde ou au Pakistan, qu’un pouvoir politique usurpé par des opérateurs clandestins organisant des défections au sein d’un parti au pouvoir et qu’un gouvernement établi renversé en dépit du mandat qu’il a reçu par les urnes.

En Inde – du moins jusqu’à présent – de telles manigances menant à un changement de régime au niveau fédéral ou étatique n’ont pas encore été organisées par des puissances étrangères – sauf, peut-être, lors de l’éviction du premier gouvernement communiste dans l’État méridional du Kerala, en 1959.

Dans la politique sud-asiatique, le Népal, l’Afghanistan, le Sri Lanka et les Maldives sont des cas chroniques, où l’ingérence étrangère dans la politique intérieure est devenue endémique. Mais il s’agit de petits pays ou d’États faibles, vulnérables aux pressions extérieures.

Un coup d’État par d’autres moyens

C’est la première fois que la malédiction de l’ingérence étrangère est apparue dans un grand pays d’Asie du Sud comme le Pakistan, lorsque les États-Unis ont ouvertement fait destituer le Premier ministre en exercice, Imran Khan, et qu’un changement de régime s’est produit en si peu de temps.

Dans quelle mesure les forces politiques qui ont constitué le régime suivant à Islamabad ont été dirigées par Washington jusqu’à usurper le pouvoir, nous ne le savons pas et ne le saurons peut-être jamais. Cependant, compte tenu des antécédents de cette élite politique en matière de mentalité rentière, une telle éventualité ne peut vraiment pas être exclue.

Bien que les élites de l’Inde et du Pakistan présentent de fortes similitudes, l’élite (civile) pakistanaise a longtemps eu pour tradition de regarder par-dessus son épaule pour quémander l’approbation des États-Unis.

Imran Khan lui-même insiste sur le fait que c’est précisément ce qui s’est passé, et c’est pourquoi il a qualifié son mouvement de protestation de « djihad ». En effet, le brusque réchauffement des relations américano-pakistanaises – qui étaient au plus bas sous Khan – aussitôt après son éviction, a clairement témoigné de la joie et du soulagement de l’administration Biden devant le changement de régime au Pakistan.

Quant au Secrétaire d’État Antony Blinken, qui n’avait pas de temps pour le Pakistan auparavant, le soudain changement de ton – optimiste – de sa diplomatie personnelle à l’égard de la nouvelle élite dirigeante d’Islamabad, elle aussi issue de puissantes dynasties politiques intimement connues de l’establishment américain, a clairement donné l’impression que sur son échiquier de guerre froide, il savait pouvoir désormais compter sur un nouveau pion à opposer à la Chine (et à la Russie).

Voir Le Pakistan échappe à une tentative américaine de changement de régime

Mais Khan n’était pas hors-jeu

Toutefois, cette euphorie a été de courte durée. Contrairement aux estimations, y compris en Inde, selon lesquelles la carrière politique d’Imran Khan était finie, les événements ont montré qu’il est toujours très présent dans l’histoire du Pakistan et que ce sont plutôt les usurpateurs d’Islamabad qui sont des reliques du passé.

Certes, le « djihad » de Khan a pris la forme d’un tsunami qui menace aujourd’hui de noyer les usurpateurs. La manière dont il a pris d’assaut le cœur du Pendjab lors des élections partielles de dimanche doit faire sonner le tocsin dans les couloirs du pouvoir, non seulement à Lahore mais aussi à Islamabad.

Une victoire écrasante

Les foules énormes qui suivent partout Imran Khan se transforment en votes. Cela ne fait aucun doute : il y avait très longtemps qu’un homme politique véritablement charismatique n’était pas apparu dans le paysage politique pakistanais.

Khan vient d’abasourdir ses détracteurs et ses adversaires politiques en prenant le contrôle de l’assemblée provinciale essentielle du Pendjab. Son parti a remporté 15 des 20 sièges à pourvoir lors d’élections partielles, battant sur son propre terrain son grand rival, la Ligue musulmane du Pakistan-N (qui dirige d’ailleurs le gouvernement fédéral à Islamabad depuis avril, suite à l’éviction d’Imran Khan).

Ce résultat est non seulement un coup dur pour l’actuel Premier ministre Shehbaz Sharif, mais il est également considéré comme un avant-goût de ce qui pourrait se passer lors d’une élection générale. Imran Khan a réclamé la tenue d’élections générales anticipées, qui sont normalement prévues pour octobre 2023.

Les pouvoirs en place

L’idée reçue selon laquelle l’establishment militaire pakistanais se sentirait mis au défi par un tel spectre vient de s’avérer fausse (ce qui ne manque pas d’être de bon augure pour l’avenir politique du pays). Fondamentalement, l’axiome selon lequel un politicien civil pakistanais qui développe des différences avec la direction militaire serait un ange déchu condamné à l’oubli pour toujours vient également de disparaître.

En fait, la rapidité du retour d’Imran Khan sur le devant de la scène est impressionnante, comme s’il n’avait jamais quitté ce devant de la scène et que les usurpateurs n’aient été que des intrus momentanés.

Imran Khan a réécrit l’histoire politique du Pakistan en frappant aux portes du pouvoir politique aussitôt après son éviction par une alliance de serviteurs impies d’un maître étranger.

Si les résultats des élections au Pendjab ont révélé quelque chose, c’est que les habitants de ce pays ont compris en quoi consiste un pouvoir démocratique et qu’ils sont déterminés à faire entendre leur opinion.

Et cette opinion est, sans équivoque, que le changement de régime à Lahore après l’éviction du parti d’Imran Khan du pouvoir était un répugnant épisode et qu’il devait être annulé. Il est fort probable qu’il devienne également un signal envoyé à ceux qui sont au pouvoir à Islamabad.

Compte tenu des graves problèmes économiques du Pakistan, la stabilité politique est un besoin impératif, et la dernière chose que le pays mérite est d’être accablé par un gouvernement national qui manque de légitimité. Lorsqu’un pays est confronté à une telle situation, la seule solution, pour en sortir, est d’organiser de nouvelles élections susceptibles, il faut l’espérer, de mettre en place un nouveau gouvernement stable et véritablement mandaté pour gouverner.

Bien sûr, le mandat ne fait que conférer une légitimité au pouvoir élu et ne garantit pas nécessairement qu’il gouvernera bien – le Bangladesh est peut-être une rare exception dans la région de l’Asie du Sud – mais c’est une chose avec laquelle nous pouvons apprendre à vivre dans notre partie du monde.

Comprendre le « djihad » de Khan

Le « djihad » d’Imran Khan n’est pas un appel à l’anarchie. Il n’essaie pas non plus de provoquer une « révolution de couleur ». Il est, au contraire, un facteur de stabilité pour le Pakistan, en respectant strictement l’état de droit et l’ordre constitutionnel. Il ne fait en somme qu’exiger un nouveau gouvernement doté d’un mandat légitime pour gouverner, cause qu’il n’a pas cessé d’embrasser depuis que les signes d’un coup d’État politique parrainé par les États-Unis contre lui avaient commencé à cristalliser.

Le  danger véritable, c’est que, s’il existe un fossé entre les gouvernants et les gouvernés, non seulement cela affaiblit le gouvernement en place et affecte ses prises de décision, surtout lorsque des décisions difficiles doivent être prises, mais c’est aussi que la dérive politique puisse engendrer des conditions anarchiques. Et c’est une éventualité que le Pakistan ne peut se permettre dans les circonstances actuelles.

Il est possible que Khan soit reconduit au pouvoir lors de nouvelles élections. Il est tout aussi possible que son parti n’obtienne pas la majorité et doive former une coalition ou, au contraire, doive s’accommoder du rôle d’opposition. Mais il faut en tout cas sortir de l’impasse actuelle. Et cela n’est possible que par de nouvelles élections.

L’instabilité politique au Pakistan sera préjudiciable aux intérêts à long terme du pays dans l’état actuel des affaires mondiales, affaires dans lesquelles il a un rôle important à jouer en tant que grande puissance régionale.

Le Pakistan a beaucoup d’atouts dans l’ordre mondial émergent caractérisé par la multipolarité. Il appartient à l’élite politique pakistanaise de ne pas faire d’irréparable erreur dans sa course folle au pouvoir. C’est pourquoi de nouvelles élections dans les plus brefs délais sont une nécessité absolue.

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Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…

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