Par Ahmed Bensaada
« Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements.
«
Honoré de Balzac
Note : Dans ce texte, il est question de la France officielle. En aucun cas il ne s’agit de nos nombreux amis français, humanistes, pacifistes et très respectueux de la souveraineté et de l’intégrité de l’Algérie.
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Le 23 mai 1956, en pleine guerre d’Algérie, 26 professeurs français de la Sorbonne – dont le célèbre Raymond Aron – publiaient une déclaration dans le journal le Monde dans laquelle ils exprimaient « leur adhésion réfléchie à l’effort militaire qui est demandé au pays [la France]» et approuvaient le récent appel « pour le salut et le renouveau de l’Algérie française ». Mentionnant « les bienfaits d’une œuvre poursuivie depuis 125 ans et dont aucun esprit honnête ne met en doute la valeur », ils soulignèrent que « cette œuvre est de celles dont les Français doivent rester fiers. Elle doit être continuée ».
Ces universitaires, qui prônaient une Algérie française, feignaient d’oublier que les Algériens, encarcanés dans l’abominable code de l’indigénat, ont baigné, 132 ans durant, dans un illettrisme multigénérationnel.
Concernant les valeureux combattants algériens, ils dénoncèrent « la disposition d’esprit qui […] dispense parfois aux crimes des fellagas une indulgence inadmissible […] et ne craint pas […] d’assimiler aux héros de la résistance des assassins de femmes et d’enfants ».
Et ces professeurs parisiens n’étaient pas seuls. La déclaration notait la solidarité avec cent soixante-dix autres collègues de l’université d’Alger.
Mais voilà que soixante-six ans plus tard, la même université parisienne a accueilli, du 23 au 25 juin 2022, un colloque intitulé « Algérie 1962-2022, Trajectoires d’une nation et d’une société », organisé par des descendants de ceux-là même que les sorbonniens traitaient de « fellagas » et d’« assassins de femmes et d’enfants ».
Comment se fait-il qu’après soixante années d’indépendance, de (trop) nombreux intellectuels algériens, purs fruits de l’Algérie indépendante, continuent à se cacher derrière les meurtrières de l’ancien pays colonisateur pour décocher des flèches empoisonnées vers leur propre pays?
Le calendrier aidant, le « 43e congrès national du cercle algérianiste » se tenait à Perpignan presque simultanément (du 24 au 26 juin 2022). Le programme? « Apologie de la colonisation, révisionnisme historique, mensonges par omission, minorisation et dénégation des massacres, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les armées françaises entre 1830 et 1962 […] ».
On se demande pourquoi les organisateurs du colloque parisien n’ont-ils pas saisi l’occasion pour unir leurs efforts avec les congressistes de Perpignan afin de concocter un seul et unique évènement qui aurait couvert exhaustivement la période 1830 – 2022! L’attaque contre l’Algérie et son indépendance aurait été plus efficace, n’est-ce pas?
En fait, au-delà de l’aspect anecdotique de ce bégaiement historique, ce colloque parisien soulève plusieurs questions sérieuses.
Le timing
Le 5 juillet prochain, c’est-à-dire à peine deux semaines après le début de ce colloque, l’Algérie et les Algériens fêteront le soixantième anniversaire de leur indépendance. Une date mémorable qui rappelle le sacrifice de toute une génération de valeureux combattants qui ont donné leur jeunesse et leurs vies pour mettre fin à un joug colonial français sanguinaire, inhumain et raciste. Un système colonial barbare qui est une honte pour ce pays qui se targue d’être « le pays des droits de l’Homme » et qui trouve des « professeurs émérites » pour nous vendre cette ânerie qu’est la « mission civilisatrice de la France ».
Tous les pays ont le droit et le devoir de commémorer les dates importantes de leur histoire, en particulier leurs indépendances. C’est le cas, par exemple, des États-Unis le 4 juillet ou le Canada le 1er juillet. En France, là où se trouve l’université qui accueille le colloque, tous les 14 juillet, les militaires de ce pays se parent de leurs plus beaux uniformes pour parader le long des Champs Élysées. Ali Bensaad, le principal organisateur du colloque n’y a jamais vu aucun inconvénient. Par contre, il s’insurge contre le logo du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et trouve « scandaleux » qu’il comporte des éléments rappelant l’aspect militaire de la conquête de la souveraineté nationale (voir son interview à AlternaTV – @ 19’55’’). Non seulement il fait semblant de ne pas voir les éléments centraux de ce logo qui représentent le savoir et la technologie, mais il omet également de préciser qu’il a été choisi après concours national et que l’auteur est un ingénieur en électrotechnique et non pas un militaire.
Tous les peuples ont le droit de fêter joyeusement leurs indépendances, surtout lorsqu’elles sont chèrement acquises après de multiples révoltes et une révolution dont les actes de bravoures et les sacrifices resteront à jamais gravés en lettres d’or dans l’histoire contemporaine. Il y a un temps pour se réjouir de nos acquis et de glorifier ceux grâce à qui nous avons pu les atteindre. Et il y a tout le reste de l’année pour évaluer ces mêmes acquis et débattre des politiques qui pourraient ou auraient pu nous permettre de les dépasser. Mélanger les deux, relève plus d’un illogisme patent – voire d’une réelle mauvaise foi – que d’un désir d’analyse objective et académique par un panel d’universitaires et de journalistes dont les orientations idéologiques à l’égard de l’Algérie est très questionnable. Nous y reviendrons subséquemment.
Le lieu
Le 8 mai dernier, le président français a présidé la cérémonie de commémoration du 77e anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Voici le compte rendu d’un média français : M. Emmanuel Macron « s’est rendu sur les Champs-Élysées pour ranimer la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe […]. Une minute de silence est observée pendant que résonne la sonnerie aux morts, avant que ne retentisse la Marseillaise ».
Une cérémonie à laquelle ont assisté les plus hautes autorités de l’armée française ainsi que des militaires invalides salués par le président en personne.
Peut-on imaginer des universitaires français organisant un colloque à Berlin sur le régime de Vichy ou sur la collaboration pendant l’occupation allemande? Ou sur les gilets jaunes? Ou sur la montée de l’extrême-droite en France? Ou sur ces présidents français si souvent épinglés par la justice de leur pays?
Peut-on imaginer des universitaires français organisant un colloque à Alger sur les crimes de la France durant la conquête, la colonisation ou pendant la guerre d’Algérie? Sur les enfumades, les razzias, les expropriations, les tortures, les viols et les assassinats commis pendant 132 ans d’occupation?
Comment donc expliquer que des universitaires qui ont été formés non pas par la France coloniale mais par l’Algérie indépendante aillent déblatérer sur l’Algérie et ses problèmes chez l’ancien colonisateur?
Où sont passés l’amour-propre, le respect de soi et celui des martyrs de la révolution. Où est passé le « nif », quoi!
Pensent-ils vraiment que la France officielle approuve leurs salmigondis pour des motifs de droits de l’Homme ou de démocratie? Pensent-ils vraiment que l’essor de l’Algérie intéresse la France officielle, celle-là même qui a écrasé leurs ancêtres pendant plus d’un siècle? Savent-ils que s’ils ne servaient pas la politique du Quai d’Orsay, ils seraient éconduits comme de vulgaires bougnouls? Peuvent-ils nous dire, par exemple, que font les crânes de nos concitoyens stockés dans des boites comme de vulgaires objets dans un édifice qu’ils ont abusivement baptisé « musée » comme si les restes humains de nos héroïques combattants pouvaient être considérés comme du matériel muséologique?
Cela me remémore un passage de mon livre « Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête » :
« Quand je pense que ni Kamel Daoud, ni moi ne serions en train de débattre de la sorte si l’Algérie n’avait pas payé un lourd tribut afin de mettre fin au joug colonial français et accéder à son indépendance ! Dans le meilleur des cas, nous serions, lui à Mesra (village près de Mostaganem) et moi à Fillaoucène (village proche de Tlemcen), en train de garder les cochons et les truies du colon du coin, plongés dans une misère affreuse et une ignorance multigénérationnelle, sauf peut-être l’aptitude à reconnaître les gorets des verrats… » (p.124)
Et c’est le cas de la quasi-totalité des participants d’origine algérienne!
Qu’on se le dise clairement. Si l’Algérie avait sombré dans cette maudite saison fallacieusement nommée « printemps » par les Occidentaux, la France aurait, sans aucun doute, agi en Algérie comme elle l’a fait en Libye ou en Syrie. Dans le premier pays, elle a tapissé le pays de bombes et, dans le second, elle a aidé des « mangeurs de cœurs humains » à faire « du bon boulot ». Pas au courant? Il faut juste poser la question à MM. Sarkozy et Fabius. Ils n’habitent pas trop loin du lieu du colloque.
Les participants
Tout d’abord, cet évènement ne peut pas être qualifié de « colloque » car, comme l’explique si bien son « organisateur en chef », M. Bensaad, il n’y a pas eu d’appel public à communications (voir son interview – @ 54’02’’) et cela semble bizarre que la « prestigieuse » université parisienne soit rentrée dans cette combine. Cela s’est passé entre copains de même ADN idéologique concernant l’Algérie que j’ai nommé dans une précédente occasion « consanguinité intellectuelle ». C’est le cas d’ailleurs des invités de ce média fantoche basé au Québec nommé AlternaTV qui fait de la pub pour l’évènement ou de ceux de Radio M, un autre média domicilié à Alger qui, lui, est financé par le Quai d’Orsay et dont certains abonnés et collaborateurs étaient présents à ce colloque. Tant pis! Il n’y aura pas de débat contradictoire. Les participants s’autocongratuleront, s’autocomplimenteront et s’autoféliciteront à la fin de l’évènement, espérant que leur laïus aura atteint les oreilles de leur roi Macron car certains attendent impatiemment le retour d’ascenseur. En effet, lorsque l’actuel président français s’attaqua méchamment et gratuitement à l’Algérie, Ali Bensaad prit sa défense dans Le Monde, journal connu pour son « amour inconditionnel » pour l’Algérie. Et il n’était pas le seul, loin s’en faut. Ce même quotidien avait ouvert ses colonnes, quelques jours plus tôt, au « Professeur émérite » (excusez du peu!) Lahouari Addi pour disserter de la pensée philosophique macronienne sur la création de l’Algérie. Et, vous l’avez peut-être deviné, M. Addi était présent au colloque en qualité de membre du comité scientifique.
WOW! Quelle maîtrise de la science! Il en a fait brillamment la démonstration mathématique dans un calcul épique où il a admirablement jonglé avec les cm2 et les cm3! Époustouflant!
En défendant le président Macron, Ali Bensaad et Lahouari Addi rêvent-ils de devenir les « Moustapha Abdeljalil » ou les « Bourhan Ghalioun » d’une Algérie « printanisée »?
Lahouari Addi est un des « ténors autoproclamés du Hirak » que j’ai amplement cité dans mon livre sur le sujet. Il a longuement collaboré avec le think tank de la NED (National Endowment for Democracy), vitrine de la CIA, dont l’implication dans les révolutions colorées et le « printemps » arabe n’est plus à démontrer.
Cela n’est pas sans nous rappeler que Raymond Aron, le principal signataire de la déclaration d’allégeance à l’Algérie française du 23 mai 1956, a été lui aussi été largement financé par la CIA. Cela prouve que cette dernière n’a jamais cessé son travail continu de subversion des « élites » étrangères pour promouvoir son agenda politique dans les pays ciblés.
Et que dire des autres participants? Il serait évidemment trop fastidieux de disserter de leurs accointances et de leurs orientations politiques vu leur nombre, mais il est possible de les catégoriser.
Tout d’abord, et contrairement à ce qu’avance Ali Bensaad (voir son interview – @ 50’00’’), les participants ne font pas tous partie du milieu académique. On y remarque une forte présence de journalistes, pour la plupart d’entre eux de notoires « printanistes », appartenant au Monde (tiens donc!), à ce qui reste du Monde Diplomatique et des habitués de Radio M et de la secte algéroise des « Zigomars » dont Ali Bensaad et Lahouari Addi cognent assidument à la porte d’entrée.
En passant, il n’est pas inutile de rappeler que Le Monde est financé par l’Open Society, la fondation de George Soros, un autre spécialiste des « regime change » à l’instar de la NED.
Il y a aussi des universitaires algéro-algériens qui ont fait leur pèlerinage à Paris et qui ont, depuis 2011, adopté le « printemps » comme saison de prédilection pour les pays arabes. Il est intéressant de noter que certains d’entre eux ont bénéficié de bourses américaines prestigieuses, ceci expliquant cela.
Le plus étonnant c’est qu’ils ont non seulement pris congé de leurs charges pédagogiques (l’année universitaire n’étant pas encore close), mais certains ont aussi bénéficié d’une prise en charge étatique pour participer à ce colloque! C’est ce que nous révèle Ali Bensaad dans son monologue avec AlternaTV (voir son interview – @ 43’12’’).
Les congés scientifiques financés par le gouvernement algérien serviraient-ils aux universitaires algériens pour collaborer à ce type de colloques? Si c’est le cas, c’est gravissime.
Ces mêmes intellectuels qui sont allés à Paris analyser les « Trajectoires d’une nation et d’une société » pourraient commencer par le commencement, c’est-à-dire analyser leurs comportements dans leurs pratiques pédagogiques quotidiennes et leurs relations professionnelles. En effet, certains se vantent de ne se présenter à l’université qu’une seule (et unique) journée par semaine (sic!) tandis que d’autres communiquent avec leurs collègues enseignantes avec le langage fleuri des injures et des insultes (re-sic!). Il n’est pas utile de citer des noms, les concernés se reconnaitront.
Il va sans dire qu’avant de donner des leçons à toute l’Algérie, il est fortement recommandé de prendre le temps de balayer devant sa porte. Et ce simple et banal conseil est valable pour tous les invités du colloque.
En ce qui concerne les autres participants, on a affaire à certains sympathisants (militants?) du MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) comme Salem Chaker (lire cet article et, pour plus de détails, voir cette émission @ 1h 34’ 45’’), une organisation séparatiste classée terroriste par le gouvernement algérien.
Ajoutons à cela des « quituquistes » notoires, tel Omar Benderra, qui accusent l’armée algérienne des crimes commis par les djihadistes algériens lors de la décennie noire ( voir cette émission @ 1h 15’ 05’’). Benderra et ses acolytes sont reliés à l’organisation islamawiste « Rachad » (lire mon article sur le sujet), elle aussi classée terroriste par le gouvernement algérien. Rappelons à ce sujet que le « professeurissime » Lahouari Addi avait qualifié Mourad Dhina, un des fondateurs de « Rachad », « d’Erdogan algérien »!
Ainsi, les trois composantes du Hirak frelaté en l’occurrence les ONGistes, les makistes et les islamawistes sont soit présents dans ce colloque, soit représentés par des sympathisants et des collaborateurs actifs.
Pour l’anecdote, j’avais analysé la rhétorique de Ali Bensaad en comparaison de celle de Larbi Zitout, un autre membre fondateur de « Rachad ». Ce dernier est un saltimbanque du Hirak qui passe son temps à croasser sur le cyberespace, s’attaquant à tout ce qui bouge en Algérie. J’étais arrivé à la conclusion que leurs discours avaient plusieurs similitudes du point de vue rhétorique, malgré l’énorme différence entre leurs parcours. En réalité, on se rend compte qu’ils mènent le même combat à la seule différence que Ali Bensaad se cache derrière une toge et un mortier. Un combat pour la « printanisation » de l’Algérie et le colloque parisien en est un des multiples instruments.
Mais sachez messieurs les « intellectuels invités de la Sorbonne », en Algérie nous préférons voir les feux d’artifice des Jeux Méditerranéens monter vers le ciel d’Oran plutôt que les bombes de l’OTAN descendre sur les têtes des Libyens.
Nous préférons voir les sourires et la joie sur les visages des sportifs méditerranéens plutôt que la peur et les larmes sur ceux des réfugiés syriens.
Nous préférons voir la Méditerranée comme une mer de paix et d’amitié entre les peuples plutôt qu’un tombeau pour le petit Aylan.
Reçu de l’auteur pour publication
Source : Ahmed Bensaada
https://www.ahmedbensaada.com/…
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