De jeunes Palestiniennes, portant le drapeau national et le keffieh, prient devant le dôme du Rocher à la mosquée al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)
Par Meron Rapoport
La paralysie politique associée à la pression messianique de la droite crée une situation qui pourrait devenir incontrôlable en Israël et en Palestine
Par Meron Rapoport – TEL AVIV, Israël
Depuis que la seconde Intifada a commencé à s’estomper en 2005, on entend régulièrement qu’une troisième Intifada a commencé ou va commencer.
Il y a eu l’« intifada des couteaux » (aussi appelée « intifada des loups solitaires ») en 2015, marquée par les actes individuels de Palestiniens et visant principalement des soldats et colons israéliens ; la Grande Marche du retour en 2018 quand les Gazaouis ont marché vers la barrière qui les emprisonne dans la bande de Gaza ; les troubles civils de mai 2021 qui ont commencé par l’escalade des violences à Jérusalem-Est et se sont propagées à Gaza et dans les villes mixtes en Israël.
Toute cette activité a bel et bien montré une hausse des violences et de la létalité dans ce conflit qui couve depuis des années, mais au bout du compte, elle n’a pas engendré de soulèvement palestinien général comparable aux deux intifadas.
Ainsi, la prudence est assurément de mise avant de déclarer que nous sommes au bord d’une troisième Intifada.
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Oui, il y a clairement des éléments qui rappellent les soulèvements précédents : une série d’attaques par les Palestiniens au sein des frontières de la ligne verte, d’intenses opérations militaires israéliennes en Cisjordanie, principalement dans le nord ; plus d’une dizaine de personnes ont été tuées en Israël (en quasi-totalité des civils) et plus de quinze Palestiniens abattus, presque tous des civils non impliqués dans des affrontements.
Pendant ce temps, il y a des hostilités plus importantes que d’habitude dans les villes cisjordaniennes ainsi que des manifestations à al-Aqsa et l’incursion de la police israélienne dans la salle de prière de la mosquée elle-même.
Ceux qui évoquent une nouvelle intifada se concentrent généralement sur la situation en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. C’est peut-être la bonne perspective étant donné que les intifadas sont d’abord et avant tout une réaction palestinienne à l’occupation. Cependant, il faut aussi regarder du côté israélien, lequel se trouve dans une situation très problématique sur le plan politique.
Paralysie israélienne
Lorsque la première Intifada a éclaté, Israël avait un soi-disant gouvernement d’unité nationale composé du Likoud et du Parti travailliste. Yitzhak Shamir (Likoud) était Premier ministre et Yitzhak Rabin (Parti travailliste) était ministre de la Défense. Les gouvernements d’unité nationale sont généralement synonymes de paralysie car l’important pour eux, c’est que les juifs de droite et de gauche soient d’accord en évitant pour ce faire les sujets « politiques » comme l’occupation et les colonies.
Le gouvernement Bennett-Lapid-Gantz est en ce sens un rappel de celui de Shamir et Rabin. Le Premier ministre Naftali Bennett a donné le ton lorsqu’il a déclaré peu après sa prise de fonction qu’il n’y aurait « pas de processus diplomatique avec les Palestiniens ».
La droite messianique fait pression sur [le gouvernement] de l’intérieur et de l’extérieur, tandis que l’armée israélienne, au moins la section postée en Cisjordanie, est elle-même devenue un bras de la droite, faisant presque de l’oppression des Palestiniens qui y vivent une mission religieuse
Yaïr Lapid a pleinement embrassé cette logique lorsqu’il a déclaré que, lorsqu’il serait à son tour Premier ministre, lui aussi s’abstiendrait de tout processus diplomatique. Ce qu’il reste alors, c’est le maintien de l’occupation, supervisée par le ministre de la Défense Benny Gantz, qui a relégué l’Autorité palestinienne et son président Mahmoud Abbas à une sous-direction des affaires palestiniennes dans son ministère.
Mais si le gouvernement Shamir-Rabin reposait sur un équilibre entre « la droite » et « la gauche », la situation du gouvernement Bennett-Lapid est singulièrement différente. Cette coalition dispose d’une majorité claire de centre-gauche, et comprend même un parti islamiste arabe pour la première fois dans l’histoire d’Israël. Toutefois, le gouvernement est dirigé par un membre de l’extrême droite et la plupart des ministères les plus sensibles (tels que la Justice et l’Intérieur) sont également dirigés par des personnalités qui sont résolument de droite.
Ce n’est pas tout. L’opposition parlementaire à ce gouvernement est très importante et ne peut plus être qualifiée comme étant « de droite » au sens où les Israéliens l’entendent habituellement. Cette opposition de droite sanctifie la suprématie juive et la primauté d’un « État juif » sur « un État de tous ses citoyens », c’est-à-dire sur la démocratie.
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L’ex-Premier ministre Benyamin Netanyahou est le leader officiel de cette aile de droite, mais ses personnalités les plus célèbres sont Bezalel Smotrich, qui dirige le Parti sioniste religieux et a explicitement déclaré que les Arabes n’avaient pas le droit de faire partie du gouvernement ou même de siéger au Parlement, et Itamar Ben Gvir, qui a été condamné par le passé pour activité terroriste de droite et a appartenu à un mouvement réclamant l’expulsion des Palestiniens des territoires sous le contrôle d’Israël.
Ces partis de droite détiennent actuellement plus de 50 sièges au Parlement (sur les 120 de l’assemblée israélienne) et les sondages d’opinion donnent aux partis de droite près de 50 % des voix s’il devait y avoir de nouvelles élections.
De ce fait, on se trouve dans une situation où l’extrême droite est à la fois dans le gouvernement et dans l’opposition, tandis qu’il n’y a aucun véritable équilibre au sein du gouvernement lui-même. Les partis sionistes « de gauche » (Meretz et le Parti travailliste) ont renoncé dès le départ à toute tentative visant à influencer le programme politique du gouvernement.
Les dirigeants des partis centristes Yaïr Lapid (Yesh Atid) et Benny Gantz (Bleu Blanc) sont sur la touche et Mansour Abbas, qui dirige le parti islamique conservateur Raam et a rejoint la coalition, a totalement adopté la philosophie bennettesque – « pas de discussion du conflit » -, du moins avant le premier raid de la police à al-Aqsa vendredi dernier.
Pression de la droite
À cela, il faut ajouter la fusion qui s’accélère entre l’armée et les colons, bien entendu l’armée postée en Cisjordanie et qui renforce l’occupation au quotidien.
Une coopération opérationnelle a été révélée entre les unités de l’armée israélienne et les colons armés qui attaquent les civils palestiniens, fonctionnant comme une sorte de milice de justiciers composée à la fois de soldats et de colons. On a constaté quelque chose de similaire dans la façon dont l’armée a assisté aux projets des colons tels que la création de l’avant-poste (colonie illégale même au regard du droit israélien) d’Itamar, sur des terres villageoises appartenant à Beita dans le nord de la Cisjordanie, et la reformation de Homesh, une colonie démantelée en 2005 qui a été reconstruite sur des terres villageoises au nord de Naplouse.
C’est apparu encore plus clairement à Naplouse la semaine dernière. Une unité de l’armée israélienne a été déployée pour assurer la sécurité lors de la réparation de la structure du tombeau de Joseph, qui se situe dans une zone censée être sous le plein contrôle palestinien et qui est vénéré par les juifs comme la sépulture du Joseph de la Bible.
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Le colonel Roi Zwieg, qui commande la brigade régionale de Shomron, a décrit cette opération en termes religieux messianiques. Sur place, il a déclaré aux soldats avant leur déploiement : « Cette terre a été promise à notre ancêtre Abraham et nous, en tant que soldats de l’armée israélienne, opérons ici aujourd’hui non pas comme des voleurs dans la nuit mais comme les descendants des rois. C’est donc notre privilège de restaurer l’honneur de la terre et du peuple d’Israël. »
Le ministre des Affaires religieuses Matan Kahana, membre du parti Yamina de Bennett censé représenter l’aile de droite « modérée » au gouvernement, a cité la déclaration de Zwieg et a ajouté (comme la promesse biblique de Dieu à Abraham) : « À vos descendants, je donnerai cette terre. »
En d’autres termes, la flexibilité au sein du gouvernement israélien actuel est nulle. Il a annoncé par avance qu’il ne s’occuperait pas du « problème politique » et n’a aucun véritable canal de communication avec les Palestiniens. La droite messianique fait pression sur lui de l’intérieur et de l’extérieur, tandis que l’armée israélienne, au moins la section postée en Cisjordanie, est elle-même devenue un bras de la droite, faisant presque de l’oppression des Palestiniens qui y vivent une mission religieuse.
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C’est également manifeste dans ce qui se passe à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem. Le ministre de la Sécurité publique, qui supervise la police, a beau être Omer Bar-Lev, personnalité du Parti travailliste connue pour ses opinions pacifistes, celui-ci semble incapable d’empêcher les personnalités juives extrémistes de pénétrer sur l’esplanade des mosquées ou la police de s’en prendre violemment aux fidèles musulmans qui s’y trouvent.
Il est difficile à l’heure actuelle de savoir jusqu’où ces développements ont peut-être déjà progressé. Après l’incursion de la police dans la salle de prière Qibli de la mosquée al-Aqsa, le parti Raam de Mansour Abbas a annoncé la « suspension » de sa participation à la coalition.
L’importance de cette « suspension » n’est pas très claire, mais elle sert évidemment à affaiblir davantage le gouvernement, lequel a subi un revers il y a deux semaines lorsque l’une des principales députées du parti de Bennett s’est retirée de la coalition, le laissant sans majorité parlementaire.
Si le parti d’Abbas quitte lui aussi la coalition en réaction à la colère des musulmans en Israël par rapport aux événements à al-Aqsa, la survie du gouvernement semble incertaine.
Cela signifie que si les Palestiniens devaient se lancer dans un large soulèvement – ce qui est toutefois difficile à prédire, tout comme la nature d’un tel soulèvement, plus proche du mouvement populaire caractéristique de la première Intifada en 1987 ou de la plus grande militarisation de la seconde en 2000 –, ils se heurteraient à un gouvernement israélien dans une situation de paralysie quasi-complète.
En l’absence presque totale de marge de manœuvre au sein de l’opinion publique israélienne ou avec les différentes composantes de sa coalition, le gouvernement israélien serait pratiquement dans l’incapacité de dialoguer avec les dirigeants palestiniens (si on suppose qu’il existe des dirigeants palestiniens ayant une quelconque crédibilité parmi leur électorat) et aurait une capacité négligeable à amener des médiateurs internationaux à les aider à résoudre cette crise.
Il est difficile de dire qui dans l’Israël d’aujourd’hui serait à même de mettre un frein à tout cela. C’est certainement une recette pour l’éruption progressive de violences, et donc peut-être une autre intifada.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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Publié le 24 avril 2022 avec l’aimable autorisation de Middle East Eye
Source : MEE
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