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Par Ted Snider
On pourrait croire à une idylle de circonstance, mais la relation entre les deux puissances a été entretenue bien avant aujourd’hui.
Source : Responsible Statecraft, Ted Snider
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine s’est renforcé. Bien que les deux pays évitent les alliances, le président chinois XI Jinping a récemment déclaré que la « relation dépasse même une alliance par sa proximité et son efficacité. »
La Russie et la Chine étaient toutes deux réticentes à accepter la réalité d’une nouvelle Guerre froide ou l’intensification de l’hostilité avec l’Occident, mais il ne fait aucun doute que cette réalité a précipité leurs relations. Leur relation a bénéficié du rapport personnel entre leurs deux dirigeants. Le président russe Vladimir Poutine a qualifié Xi de « partenaire très fiable » et a déclaré lors d’une interview que Xi « est probablement le seul dirigeant mondial avec lequel j’ai célébré un de mes anniversaires ». Xi a appelé Poutine « mon meilleur ami, le plus intime. »
Ces deux faits ont conduit de nombreux analystes occidentaux à rejeter le partenariat Russie-Chine comme un partenariat de convenance qui ne survivra pas à la situation hostile actuelle ni à la transition vers les futurs dirigeants. Ils ne devraient pas être aussi dédaigneux.
Bien que les relations entre la Russie et la Chine aient bénéficié de l’étroite relation entre Poutine et Xi, elles ont commencé bien avant. Dans « China and Russia : the New Rapprochement » (Chine et Russie : le nouveau rapprochement, NdT), Alexander Lukin affirme que « le rapprochement entre les deux pays n’a pas été… souhaité uniquement par des dirigeants individuels ». Au contraire, dit-il, « il s’est poursuivi sous tous les dirigeants. »
En fait, il a commencé, selon Lukin, « dès les dernières années du mandat de Leonid Brejnev ». L’amélioration des relations avec la Chine était une priorité pour Gorbatchev. En 1986, Gorbatchev a suggéré pour la première fois l’idée d’un pivotement vers l’Asie et a considéré la normalisation des relations avec la Chine comme une priorité. Quelques jours avant que Gorbatchev ne démissionne de son poste de président de l’Union soviétique à la fin de 1991, les vice-ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont entretenus d’une nouvelle relation entre la Russie et la Chine. L’année précédente, confronté à un nouveau monde unipolaire et à la nécessité du développement économique, l’ancien dirigeant chinois Deng Xiaoping avait déjà décidé que « quels que soient les changements survenus en Union soviétique, nous devrions développer calmement les relations avec elle, y compris les relations politiques. »
L’amélioration des relations a survécu à la transition de l’Union soviétique à la Russie. En décembre 1992, Boris Eltsine s’est rendu en Chine et a signé une déclaration qui identifiait la Russie et la Chine comme des « États amis » qui allaient « développer des relations de bon voisinage, d’amitié et de coopération mutuellement bénéfique », la base sur laquelle les relations actuelles allaient être construites. De plus en plus désillusionné par le rôle que la Russie se voyait attribuer dans le nouveau monde unipolaire dirigé par les États-Unis, Eltsine a commencé à comprendre que la Russie devait développer « des relations de bon voisinage et d’amitié entre la Russie et la Chine », selon l’expert chinois de la Russie Li Jingjie.
En 1995, la Chine était devenue « un pays de première importance » pour la Russie. Eltsine a déclaré : « Les relations avec la Chine sont extrêmement importantes pour nous en termes de politique mondiale. Nous pouvons nous appuyer sur l’épaule de la Chine dans nos relations avec l’Occident. L’Occident traiterait alors la Russie avec un grand respect. »
Cette idée d’un monde multipolaire qui remettrait en cause de manière sismique les plans américains pour l’ordre international de l’après-Guerre froide a peut-être fait sa première apparition dès 1994, bien avant Poutine et Xi. Cette année-là, la Russie et la Chine ont signé une déclaration dans laquelle elles s’identifiaient l’une l’autre comme « des puissances qui constituent un facteur majeur de maintien de la paix et de la stabilité dans la situation d’un système international polycentrique émergent ». Cette idée embryonnaire a été formellement adoptée en avril 1997 lorsque Eltsine et le dirigeant chinois de l’époque, Jiang Zemin, ont signé la « Déclaration conjointe russo-chinoise sur un monde multipolaire et l’établissement d’un nouvel ordre international », une relation qui peut survivre à Poutine et à Xi parce qu’elle leur est antérieure.
Cette déclaration a pu être signée parce qu’en 1996, selon Richard Sakwa, professeur de politique russe et européenne à l’université du Kent, la politique étrangère russe avait commencé à passer de l’atlantisme à un accent plus marqué sur les puissances montantes, comme la Chine et l’Inde, et à faire progresser la multipolarité. Les deux pays étaient prêts pour ce changement. Cette année-là, un écrivain chinois, Xi Laiwang, a décrit la base de la relation comme étant trois choses à ne pas faire et trois choses à faire : « Ne pas conclure d’alliance, ne pas s’opposer l’un à l’autre, ne pas prendre de mesures contre un tiers » et « Etre de bons voisins, de bons partenaires et de bons amis ». La même année, Eltsine a pour la première fois qualifié cette relation « d’interaction stratégique ». Selon Lukin, ce sont les termes encore utilisés aujourd’hui pour désigner la politique officielle.
Deux ans plus tard, Jiang Zemin qualifiait déjà les relations russo-chinoises de « relations internationales d’un nouveau type. »
L’émergence de Poutine a solidifié ces relations. Selon Lukin, « la Chine a toujours eu quelques inquiétudes à l’égard de Boris Eltsine en raison de l’instabilité de ses politiques et même de son comportement personnel. » Poutine allait stabiliser les bases. En 2001, la Russie et la Chine ont officialisé leurs relations en signant le Traité de bon voisinage et de coopération amicale, donnant ainsi une structure juridique aux nombreux documents qu’elles avaient signés au cours de la décennie précédant Poutine. Le ministre des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, a déclaré que le traité « a posé une base politique et juridique fiable pour des relations stables, prévisibles et multiformes entre les deux pays. »
Et regardant potentiellement au-delà de Poutine, Lukin souligne que « l’élection de Medvedev… en mars 2008 n’a pas conduit à des changements dans la politique de la Russie envers la Chine. »
Il découle de cette longue histoire de développement des relations russo-chinoises que cette relation n’est pas seulement construite sur les conditions qui ont émergé depuis la crise en Ukraine en 2014. Sakwa m’a dit que « l’alignement sino-russe est un alignement durable basé sur l’alignement des intérêts et des compréhensions normatives du système international. » Il a dit ailleurs que « sur les questions fondamentales de la politique mondiale, leurs positions sont remarquablement similaires. »
Dès son arrivée au pouvoir, Poutine a déclaré : « La Chine et la Fédération de Russie partagent des positions sur un large éventail de questions internationales et adhèrent à des principes similaires. Je fais référence, avant tout, à notre objectif de maintenir et de renforcer le monde multipolaire. »
Mais cela n’a pas commencé avec l’Ukraine. Selon Lukin, au début des années 1990, « les dirigeants chinois avaient déjà commencé à faire des références anti-unipolaires dans leur approche de la Russie. Pékin a commencé à réaliser que la Russie… pouvait devenir un partenaire dans la lutte contre le… monde unipolaire que Washington s’efforçait d’instaurer ». En 2007, il était déjà clair pour Pékin que « la Chine et la Russie ont des positions communes sur des questions aussi importantes que l’action en faveur d’un monde multipolaire et l’établissement d’un ordre international juste et rationnel. »
La crise en Ukraine a agi comme un accélérateur d’une relation qui se réchauffait déjà. L’étincelle était l’inquiétude russe et chinoise face au double problème unipolaire de l’OTAN supplantant le Conseil de sécurité et de l’expansionnisme de l’OTAN. Et bien que la crise ukrainienne ait attisé cette flamme, ce n’est pas seulement l’étincelle qui l’a allumée, ce n’est même pas le premier accélérateur. Selon Sakwa, c’est le bombardement de la Serbie par l’OTAN sans l’autorisation du Conseil de sécurité qui a transformé la flamme en incendie.
C’est précisément parce que « la Chine et la Russie défendent toutes deux les normes fondamentales qui régissent les relations internationales, dont la Charte des Nations Unies est la pierre angulaire », a déclaré Xi, que « nous soutenons toutes deux les progrès vers un monde multipolaire. » L’hostilité récente de l’Occident, les sanctions et la tendance à une nouvelle Guerre froide ont accéléré cette relation, mais elle est plus ancienne et plus durable que cela.
Bien que les relations se soient intensifiées, elles ne sont pas devenues une alliance, conformément aux plans et aux politiques des deux pays ; même si, sur le plan militaire, elles frôlent le niveau d’une quasi-alliance. Mais, bien que la relation qui s’est développée entre les deux pays soit extraordinairement étroite, elle n’est pas exempte de défis.
Il y a des désaccords. Bien que la Chine attribue la crise en Ukraine à l’empiètement et à l’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures de pays souverains, elle n’approuve pas l’annexion de la Crimée par la Russie. Cependant, même dans ce cas, la Chine a soutenu la Russie.
Certains milieux, mais généralement pas les milieux officiels, s’inquiètent également d’une éventuelle dépendance économique de la Russie vis-à-vis de la Chine. Mais au moment où elle a choisi de pivoter vers la Chine, la Russie a clairement vu que l’alternative était une dépendance certaine et une subordination forcée aux États-Unis. En outre, comme le souligne Lukin, la supériorité économique de la Chine n’est pas nécessairement quelque chose dont la Russie doit avoir peur, pas plus que le Canada ne devrait avoir peur de la supériorité économique des États-Unis.
Il y a un troisième défi : l’intégration a été ralentie à des niveaux réalistes parce que, comme le dit Sakwa, « les publics des deux pays et les élites commerciales n’ont pas vraiment tissé de liens profonds. » Là encore, cependant, les gouvernements sont conscients du défi et le relèvent par des échanges culturels et en encourageant l’apprentissage de la langue de l’autre.
Selon Lukin, aucun de ces défis « ne constitue un problème susceptible d’entraîner une détérioration spectaculaire des relations bilatérales. … La base actuelle du partenariat stratégique russo-chinois est si forte et si solide que tout différend peut être efficacement résolu. »
La relation qui se développe entre la Russie et la Chine survivra aux dirigeants actuels des deux pays et durera au-delà des crises actuelles. Comme l’a déclaré l’ancien vice-ministre chinois des Affaires étrangères Fu Ying, « la relation sino-russe est un partenariat stratégique stable et en aucun cas un mariage de circonstance : elle est complexe, robuste et profondément enracinée. »
Source : Responsible Statecraft, Ted Snider, 26-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : Les Crises
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