Par Moon of Alabama

Alors que l’enfumage autour de l’« invasion russe » atteint de nouveaux sommets, il est temps de s’intéresser aux motifs qui sous-tendent cette histoire.

Le bruit est devenu assourdissant.

Les États-Unis préviennent que la guerre pourrait être « imminente » en UkrainePolitico, 11 févr. 2022

Le briefing des services de renseignement américains comprenait une référence spécifique à mercredi prochain, le 16 février, comme date de début de l’invasion terrestre, ont déclaré à POLITICO trois responsables, basés respectivement à Washington, à Londres et en Ukraine.

L’invasion russe pourrait commencer à tout moment, selon la Maison BlancheReuters, 14 février 2022.

Le mot « pourrait » veut tout dire dans ces titres.

Peut-on le préciser un peu plus ?

1 heure ou 3 heures du matin ?

Quelle heure est la bonne ?

Et pour quel fuseau horaire ?

200 000 soldats ? Hier, il n’y en avait que 100 000. Comment peuvent-ils avoir doublé le nombre en une nuit ?

Il y a aussi la question du pourquoi.

Pourquoi l’administration Biden a-t-elle créé une « crise » artificielle à propos d’une invasion russe de l’Ukraine alors qu’une telle invasion n’est ni planifiée ni susceptible de se produire ? Pourquoi prétend-elle qu’une invasion russe de l’Ukraine est « imminente » alors que la Russie et l’Ukraine nient toute éventualité.

Pourquoi distribue-t-il des photos satellites trompeuses de chars prétendument déployés alors que ceux-ci se trouvent juste à côté des casernes auxquelles ils appartiennent ? Pourquoi un tel battage autour d’un « renforcement russe » alors que c’est ce qui est revendiqué chaque année ?

Jack Matlock, le dernier ambassadeur américain en URSS, a une réponse :

Je me trompe peut-être – tragiquement – mais je ne peux écarter le soupçon que nous assistons à une mascarade élaborée, grossièrement amplifiée par des éléments importants des médias américains, pour servir un objectif de politique intérieure. Confrontée à une inflation croissante, aux ravages d’Omicron, à des reproches (pour la plupart injustes) concernant le retrait d’Afghanistan, ainsi qu’à l’incapacité d’obtenir le soutien total de son propre parti pour la législation « Build Back Better », l’administration Biden titube sous des cotes d’approbation en baisse, juste au moment où elle se prépare pour les élections législatives de cette année.

Puisqu’il semble de plus en plus improbable de remporter des « victoires » claires sur les problèmes intérieurs, pourquoi ne pas en fabriquer une en faisant croire qu’il a empêché l’invasion de l’Ukraine en « tenant tête à Vladimir Poutine » ?

En fait, il semble très probable que les objectifs du président Poutine soient ce qu’il dit qu’ils sont – et ce qu’il dit depuis son discours de Munich en 2007. Pour simplifier et paraphraser, je les résumerais ainsi : « Traitez-nous avec au moins un minimum de respect. Nous ne vous menaçons pas, vous ou vos alliés, pourquoi nous refusez-vous la sécurité que vous exigez pour vous-même ? »

Alastair Crooke pointe du doigt un autre motif :

Dans un éditorial, le Global Times, qui fait autorité en la matière, prévient que les États-Unis sont à l’origine du conflit en Ukraine afin de resserrer la discipline du bloc – pour ramener les États européens dans le giron des États-Unis. Il ne fait aucun doute que la Chine fait le lien entre l’Ukraine et le pivot parfait pour guider l’Europe vers la prochaine étape de l’Amérique, qui nécessite un front uni avec les États-Unis pour la tâche ultérieure de barricader la Chine derrière ses frontières.

En jeu, donc, des décisions clés qui définiront l’Europe pour l’avenir. D’une part, (comme l’a noté Pepe Escobar il y a deux ans), « l’objectif de la politique russe et chinoise est de recruter l’Allemagne dans une triple alliance qui verrouille la masse terrestre eurasienne à la Mackinder dans la plus grande alliance géopolitique de l’histoire – en faisant basculer le pouvoir mondial en faveur de ces trois grandes puissances, et contre la puissance maritime anglo-saxonne ».

D’autre part, l’OTAN a été conçue, dès le départ, comme un moyen de contrôle anglo-américain sur l’Europe et, plus précisément, pour maintenir l’Allemagne « à terre » et la Russie « à l’écart » (selon le vieil axiome des stratèges occidentaux). Lord Hastings (Lionel Ismay), le premier secrétaire général de l’OTAN, a déclaré que l’OTAN avait été créée pour « garder l’Union soviétique à l’écart, les Américains à l’intérieur et les Allemands à terre ».

Cet état d’esprit perdure, mais la formule a acquis aujourd’hui une plus grande importance et une nouvelle tournure : maintenir l’Allemagne « à terre et non compétitive en termes de prix » par rapport aux produits américains ; empêcher la Russie d’être la source d’énergie bon marché de l’Europe ; et maintenir la Chine « exclue » du commerce entre l’UE et les États-Unis. L’objectif est de contenir fermement l’Europe dans l’orbite économique étroitement définie de l’Amérique et de la contraindre à renoncer aux avantages de la technologie, de la finance et du commerce chinois et russes – contribuant ainsi à atteindre l’objectif de barricader la Chine à l’intérieur de ses frontières.

Je trouve les deux explications, celle de la politique intérieure et celle de la politique étrangère, très plausibles et une combinaison de celles-ci est le motif le plus probable pour expliquer cette affaire.

Le Washington Post explique comment la campagne a été élaborée et dirigée depuis la Maison Blanche. Son titre est cependant trompeur :

Au cœur des préparatifs de la Maison Blanche contre une invasion russe

Une « Tiger Team » composée de fonctionnaires de l’administration a passé les derniers mois à préparer une série précise de réponses, élaborant des scénarios allant de cyberattaques et d’interventions limitées à une invasion de l’Ukraine.

Un titre plus correct aurait été « Les préparatifs de la Maison Blanche en vue de l’invasion russe bidon ».

Voyons cela :

Alors que les craintes d’une agression potentielle de la Russie contre l’Ukraine augmentent, une « Tiger Team » dirigée par la Maison-Blanche étudie discrètement la manière dont les États-Unis répondraient à toute une série de scénarios surprenants, allant d’une démonstration de force limitée à une invasion massive à grande échelle.

L’équipe de la Maison-Blanche a organisé deux exercices théoriques de plusieurs heures – dont un avec des membres du Cabinet – pour donner vie aux scénarios et a élaboré un manuel décrivant une série de réponses potentielles rapides, du premier jour jusqu’aux deux premières semaines d’une potentielle invasion russe.

Selon les hauts fonctionnaires de l’administration, cet effort les a non seulement aidés à anticiper les complications possibles, mais les a également incités à prendre des mesures anticipées, par exemple en exposant la guerre de l’information russe avant qu’elle ne soit mise en œuvre afin d’atténuer son pouvoir de propagande.

L’équipe a planifié ses communiqués de propagande quotidiens, étape par étape :

La « Tiger Team » – un terme désignant un groupe diversifié d’experts qui s’attaquent à un problème spécifique et qui suggère la vigilance et la volonté de bondir – a été créée après que des responsables du Conseil national de sécurité ont détecté, en octobre dernier, des signes troublants d’un renforcement massif des troupes russes à la frontière ukrainienne.

Les responsables du NSC admettent volontiers qu’ils ne sont peut-être pas en mesure d’anticiper précisément les mouvements du président russe Vladimir Poutine et de ses chefs militaires. Mais l’exercice et la planification robuste en valent la peine, ont-ils déclaré.

« La réalité est que ce que les Russes peuvent finir par faire ne correspondra probablement pas à 100 % à l’un de ces scénarios », a déclaré [Jonathan Finer, conseiller adjoint à la sécurité nationale du président Biden]. « Mais l’objectif est de faire en sorte que ces scénarios soient suffisamment proches de ce qu’ils finiront par faire pour que les plans soient utiles en termes de réduction du temps dont nous avons besoin pour réagir efficacement. C’est vraiment tout l’objectif ».

Le « renforcement massif des troupes russes à la frontière ukrainienne » ne s’est jamais produit dans la vie réelle. La plupart des troupes russes se trouvent à des centaines de kilomètres de l’Ukraine.

C’est le Washington Post qui, le 30 octobre 2021, a été le premier à publier les affirmations venant de « responsables anonymes » concernant un « renforcement des troupes russes ».

(Remarque annexe : Le nom « Tiger team » ou « Tiger squad » a également été utilisé pour désigner le groupe saoudien qui a tué et démembré l’éditorialiste du Washington Post, Jamal Khashoggi. Il est amusant que l’actuel article du Washington Post ne mentionne pas ce fait).

Revenons au « tic-tac » fourni par le Washington Post :

La Tiger Team est officiellement née en novembre, lorsque le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a demandé à Alex Bick, le directeur du NSC pour la planification stratégique, de diriger un effort de planification entre plusieurs agences. M. Bick a fait appel aux départements de la défense, de l’État, de l’énergie, du trésor et de la sécurité intérieure, ainsi qu’à l’Agence américaine pour le développement international, afin d’étudier une éventuelle crise humanitaire.

La communauté du renseignement est également impliquée, car elle étudie les différents plans d’action que les Russes pourraient suivre, ainsi que les risques et les avantages de chacun d’entre eux, ont indiqué les responsables.

Si le lancement officiel de la « Tiger Team » a pu avoir lieu en novembre, il est clair que toute l’opération a commencé plus tôt, lorsque les Ukrainiens ont été invités à prendre part à l’imposture :

Simon Shuster @Shustry – 8:29 PM – 14 Fev. 2022

Une source proche de Zelensky m’a dit que les États-Unis ont d’abord averti son équipe d’une invasion russe à l’automne dernier, estimant les chances à 80%. Les Ukrainiens n’y ont pas cru, mais ils ont vu une opportunité –  » plus d’aide, plus d’attention «  – et ont joué le jeu. Maintenant ils ont des regrets. Il y a trop d’attention.

La CIA a envoyé des groupes de paramilitaires nazis ukrainiens aux États-Unis pour les former :

Alors que le programme secret, géré par des paramilitaires travaillant pour la branche terrestre de la CIA – maintenant officiellement connue sous le nom de Département terrestre – a été établi par l’administration Obama après l’invasion et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et étendu sous l’administration Trump, l’administration Biden l’a encore augmenté, a déclaré un ancien haut fonctionnaire du renseignement en contact avec des collègues du gouvernement.

En 2015, dans le cadre de cet effort anti-russe élargi, les paramilitaires de la CIA Ground Branch ont également commencé à se rendre sur le front dans l’est de l’Ukraine pour conseiller leurs homologues sur place, selon une demi-douzaine d’anciens responsables.

Le programme de la CIA, basé aux États-Unis et d’une durée de plusieurs semaines, comprend une formation aux armes à feu, aux techniques de camouflage, à la navigation terrestre, à des tactiques telles que « se couvrir et se déplacer », au renseignement et à d’autres domaines, selon d’anciens responsables.

Ces groupes seront les forces à utiliser lorsque les États-Unis décideront de lancer des « attaques russes » sous faux drapeau contre des civils ukrainiens.

Lorsque vous regardez ce film, considérez que chaque mouvement est planifié à l’avance :

Le déroulement du scénario lui-même va bien au-delà de ceux concernant le champ de bataille, il aborde des questions telles que la manière de traiter les réfugiés ukrainiens qui pourraient affluer en Pologne et en Roumanie, la manière de sécuriser l’ambassade des États-Unis à Kiev, le type exact de sanctions à imposer à Moscou et la manière de se défendre contre une cyberattaque sophistiquée.

Le scénario – qui synthétise près de trois douzaines de documents et d’évaluations de renseignements commandés par l’équipe à diverses agences – a été distribué aux différents responsables, y compris aux dirigeants militaires et civils du Pentagone.

Le scénario envisage également des conséquences de « second ordre », telles que des représailles russes en cas de sanctions.

Ces « cyberattaques sophistiquées » proviendront très probablement de la National Security Agency, qui fait partie du Pentagone. Lorsque la Maison Blanche affirmera qu’elle dispose de preuves d’une « cyberattaque russe » contre l’Ukraine, ce qu’elle fera probablement, gardez à l’esprit que quiconque prétend pouvoir trouver la source réelle d’une telle attaque vend de la poudre de perlimpinpin.

La Maison-Blanche a également publié des documents de désinformation qui prétendent que la Russie utilisera de tels moyens :

L’une des principales préoccupations de la Tiger Team concerne les efforts déployés par la Russie pour promouvoir le récit erroné selon lequel c’est l’Ukraine, aidée par l’Occident, qui se prépare à lancer une offensive dans l’est de l’Ukraine, et que la Russie en est la victime.

Ces dernières semaines, le gouvernement américain a déclassifié des renseignements sur ces efforts, notamment sur une éventuelle opération type « fausse bannière » dans lequel Moscou organiserait une explosion qui tuerait des Russes en Ukraine ou en Russie même, et rejetterait ensuite la faute sur Kiev comme prétexte éventuel à une invasion.

La Maison Blanche n’a rien déclassifié que quiconque ait pu voir. Comme le NYT l’a correctement remarqué :

Malgré toutes les divulgations, l’administration Biden n’a fourni aucune preuve montrant les complots de désinformation qu’elle prétend avoir découverts.

Le projet d’« invasion russe » a été approuvé par le sommet de la hiérarchie :

En décembre, la Tiger Team a organisé deux exercices virtuels pour tester divers scénarios et réponses. Le premier a réuni des secrétaires adjoints et le second des membres du Cabinet. M. Biden a examiné le scénario et a été informé des résultats, ont indiqué les responsables.

« C’est une chose de considérer chacun de ces problèmes – énergie, sanctions, posture militaire – isolément. C’en est une autre de les mettre ensemble et d’exécuter un plan pour chacun d’entre eux », a déclaré le responsable du NSC. « Ce que j’ai vu au cours de cet exercice de planification, c’est que, y compris aux niveaux les plus élevés, des indicateurs se sont allumées sur la façon dont les pièces s’assemblent. »

Le plan est suffisamment intégré pour permettre des objectifs et des réalisations dans de multiples domaines.

C’est pourquoi je pense que Matlock et Crooke ont raison dans leurs explications des motifs de l’enfumage « invasion russe ».

Il y a des objectifs nationaux et des objectifs de politique étrangère, et les pièces du plan s’emboîtent.

Mais cela n’est vrai que tant que l’ensemble ne s’effondre pas. Dans la vie réelle, aucun plan de bataille ne survit au premier contact avec l’ennemi.

Le refus très critiqué de Zelensky de jouer son rôle dans ce grand spectacle pourrait bien être l’un des éléments qui feront que tout s’écroule.

Il y a ensuite la Russie, qui est toujours douée pour créer de véritables surprises. Je parie que ses exigences en matière de sécurité et les projets de traités qu’elle a fournis n’étaient pas prévus dans le scénario. Elle a déjà réussi à faire pression sur Biden pour qu’il fasse des concessions que les États-Unis n’étaient pas disposés à faire auparavant. D’autres surprises dans différents domaines vont suivre. Dès que les Jeux olympiques seront terminés, la Chine pourrait également jouer un rôle dans cette affaire.

Les grands projets entraînent souvent de grands échecs.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

Source : Le Saker francophone
https://lesakerfrancophone.fr/…

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