Les sondages montrent qu’une forte majorité d’Américains s’opposerait
à une guerre avec la Russie ou la Chine. (Getty Images)
Par Branko Marcetic
Au cours de l’année écoulée, le public américain a été soumis à une avalanche de propagande visant à attiser une future guerre avec la Russie et la Chine. Ce qui est étonnant, c’est que peu d’Américains mordent à l’hameçon.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Avec le projet de loi « Build Back Better », autrefois ambitieux, qui a été réduit à néant, les multiples crises de politique étrangère qui se profilent à l’horizon et les maux sociaux et économiques que la présidence de Joe Biden semble déterminée à ne pas régler, nous sommes en manque de bonnes nouvelles ces jours-ci. Alors consolez-vous : l’appétence pour la guerre de l’opinion publique américaine reste remarquablement faible, malgré les efforts de l’élite.
Une enquête récente de YouGov et de l’Institut Charles Koch a révélé qu’une forte majorité d’Américains s’oppose à une guerre avec la Russie au sujet de l’Ukraine, 48 % des personnes interrogées y étant plutôt ou fortement opposées (cette dernière position étant la plus importante), et seulement 27 % y étant favorables, dont seulement 9 % « fortement ». Il s’agit d’un résultat assez étonnant, compte tenu non seulement du penchant pro-guerre des politiciens et des médias lorsqu’il s’agit de cette crise particulière, mais aussi des années de tentatives d’attiser le conflit entre les deux pays depuis 2016.
La Russie et l’Ukraine ne sont pas les seuls pays pour lesquels nous observons ce phénomène. Une poussée bipartisane similaire visant à diaboliser la Chine et à s’engager à entrer en guerre si la souveraineté de Taïwan est menacée a réussi à amener davantage d’Américains à considérer la Chine comme une menace, mais elle ne les a pas rendus particulièrement enthousiastes à l’idée d’une guerre avec ce pays.
L’enquête de la Reagan Foundation en 2021 a révélé que, lorsqu’il s’agit de réponses potentielles à une hypothétique invasion chinoise de Taïwan, les options non militaires telles que la reconnaissance de l’indépendance de Taïwan (71 %) et les sanctions économiques (66 %) sont les plus populaires, tandis que l’augmentation des ventes d’armes (44 %) et l’envoi de troupes terrestres (40 %) sont les moins appréciées. Et si la popularité d’une zone d’exclusion aérienne a augmenté de 8 points (50 %) depuis 2019, il n’est pas évident de savoir dans quelle mesure le public comprend réellement ce que cet euphémisme astucieux implique.
Pour être juste, vous pouvez trouver des résultats différents au Chicago Council on Global Affairs, qui a constaté qu’une faible majorité d’Américains (52 pour cent), pour la première fois, soutient réellement l’envoi de troupes américaines si la Chine envahit Taïwan. (Un pourcentage record de 59 % est également favorable à l’envoi de troupes en cas d’invasion par la Russie d’un allié de l’OTAN, ce qui n’est pas le cas de l’Ukraine). Mais même dans ce cas, les personnes interrogées ont massivement privilégié les préoccupations nationales par rapport aux préoccupations mondiales, et 81 % d’entre elles considèrent que les menaces intérieures, y compris la polarisation et la pandémie de Covid-19, sont plus préoccupantes que les menaces extérieures, des résultats qui rejoignent les conclusions de l’enquête YouGov/Koch, plus anti-guerre.
De même, malgré l’une des campagnes médiatiques pro-guerre les plus agressives de l’histoire récente, l’opinion publique américaine soutient toujours le retrait d’Afghanistan, que ce soit sous la forme d’une forte pluralité (47 % selon la Reagan Foundation) ou d’une large majorité (64 % des répondants du Chicago Council). Les efforts déployés par l’establishment de Washington pour manipuler l’opinion publique et maintenir la guerre ont donc été un échec sans équivoque.
Ces résultats montrent que l’alarmisme en matière d’affaires étrangères est un outil politique de moins en moins valable. Bien qu’il y ait des périodes de l’histoire des États-Unis où les menaces extérieures à la sécurité nationale ont été des cris de ralliement politiques efficaces – les premières années de la Guerre froide et l’ère qui a suivi le 11 Septembre viennent à l’esprit – nous semblons actuellement nous éloigner de ce style de politique, malgré l’avalanche de propagande visant à inverser cette tendance.
Comme Stephen Semler l’a souligné, les tentatives de Biden d’utiliser le spectre de la Chine pour vendre son programme national ont échoué, n’inspirant pas la mobilisation du public en faveur de son programme législatif et n’exerçant aucune pression sur les Républicains du Congrès pour qu’ils le soutiennent. Comme l’admet même le Chicago Council, fermement aligné sur Biden, les Américains « ne semblent pas faire le lien entre les améliorations de l’infrastructure intérieure du pays et les avantages pour l’influence des États-Unis à l’étranger », ce qui place cette politique au dernier rang des actions qui aideraient à conserver l’influence mondiale des États-Unis.
Nous avons vu des faits similaires pendant les années Donald Trump, lorsque les tentatives des Démocrates d’organiser plusieurs crises basées sur la politique étrangère pour saper sa présidence – les sagas du Russiagate et de l’Ukraine-gate, en particulier – ont échoué. Du début à la fin, les électeurs se sont tout simplement désintéressés de la première, tandis que la mise en accusation de la seconde a fait grimper sa cote de popularité à un niveau record. Mis à part les derniers jours de son mandat, la plus mauvaise cote de popularité de Trump remonte à décembre 2017, alors qu’il était occupé à faire passer ses réductions d’impôts ploutocratiques.
Rien n’est jamais garanti en politique, et ce n’est pas parce que les attitudes du public sont toujours remarquablement opposées à la guerre face à un barrage ininterrompu de propagande belliciste que cela restera toujours ainsi. Mais le fait que les puissantes factions pro-guerre de l’establishment aient plus de mal à faire bouger les lignes est une bonne chose.
Au sujet de l’auteur
Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme d’hier, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 04-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…
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