Par Chems Eddine Chitour

«L’Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l’Algérie. Je dois d’y être né, d’un père d’Aïn-Beïda, d’un grand-père et de toute une lignée venue de la Basse-Casbah. Je dois à l’Algérie d’avoir vécu de soleil, d’avoir été nourri de son amour pudique et braillard, excessif et profond, ensemencé des cris de la rue, où j’ai appris la vie, la lutte, la fraternité.» 
Roger Hanin 

Ce bel aveu de Roger Hanin résume mieux que mille discours ce qu’aurait pu être le compagnonnage des Juifs  d’Algérie envers cette Algérie qui leur a tout donné. Il eût mieux valu que le film L’Algérie sous Vichy soit intitulé Les Juifs d’Algérie sous Vichy, car l’Algérie est absente ou plutôt elle est invoquée en creux comme la déchéance dans laquelle les Juifs ne doivent pas tomber se sentant plus français que les Français. Ils n’ont de cesse de  raconter leurs «déboires», magnifiant le calvaire au camp de regroupement près de Bel Abbès où ils côtoient les serpents, les scorpions et dont plusieurs sont morts piqués par ces derniers. Le texte ajoute : «en attendant leur déportation pour les remettre aux nazis afin de les exterminer.»(1)    
Comme dans l’Etranger de Camus, les indigènes sont invisibles ;  quelques allusions noyées dans un plaidoyer pour ces Juifs fidèles sauveurs de la France qui ont réussi l’opération Torch, le débarquement et libéré la France. Ils se veulent les seuls interlocuteurs  en terre algérienne, ne se remettant pas qu’on leur ait retiré le décret Crémieux qui leur permettait de larguer les amarres d’avec les Algériens avec qui ils avaient vécu depuis 2000 ans !  C’est une vision hémiplégique qui ne concerne en rien les Algériens.  Sa programmation en pleine campagne présidentielle n’est pas innocente. Sous prétexte de répondre à Zemmour et son amour intéressé pour Pétain, les concepteurs de ce documentaire, réalisé par des paléo-algériens, s’adressent en fait tous azimuts au corps social  français et ratissent large  de la gauche à la droite et l’extrême et ce, pour ne pas compromettre l’avenir !   

Histoire rapide des Juifs en France

La modeste ambition est de rapporter  en honnêtes courtiers des faits de la  réalité de la condition des Juifs en France  et des indigènes musulmans depuis ce fameux décret Crémieux qui a  créé  une nouvelle classe de colons in situ, certes pas avec les mêmes droits que les Français de souche,  mais tout de même de loin avec un statut plus enviable que le code de l’indigénat. Petit  détour rapide par l’Histoire  avec quelques  jalons de l’histoire des Juifs en France et leur avanie avec les gouvernants : «Si l’on ne peut véritablement parler de ghettos avant le XVIe siècle, dans les villes, les nombreuses mentions de ‘’rue des juifs’’ prouvent ce regroupement, dont le cœur est la synagogue. En France, Philippe Auguste décide d’expulser les Juifs en 1182. Philippe le Bel les expulse à nouveau en 1306, puis Charles VI en 1394. (…)  Les juifs sont exclus non seulement de l’espace, mais aussi du temps liturgique chrétien : on leur interdit de paraître en public le dimanche. Par ailleurs, le canon 68 du concile de Latran IV de 1215, qui s’intitule ‘’Que les Juifs doivent se distinguer des chrétiens par un habit spécial’’, impose aux Juifs un signe distinctif pour éviter de les confondre. Il faut attendre 1269 pour voir ces mesures réellement appliquées, date à laquelle le roi de France Louis IX oblige les Juifs du royaume à porter la rouelle (une petite roue d’étoffe jaune cousue sur la manche), et 1285 pour que Philippe le Bel les oblige à l’acheter.»(2) 
Sous Louis XV et Louis XIV, le sort ne fut pas plus enviable, les Juifs furent accusés de toutes les tares. Ainsi, «dès qu’il est question de meurtre d’enfants et de jeunes, le Juif n’est pas loin  dans l’imagination des peuples ou des grands seigneurs».(3)  
Avec la révolution, le statut des Juifs fut débattu. Ainsi, au sujet de la liberté religieuse, en octobre 1789, le marquis de Clermont-Tonnerre prend position pour l’accession à la citoyenneté des Juifs en déclarant : «Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus.»   
«Malgré leurs professions de foi, les hommes de l’an II se montrèrent au fond hostiles aux Juifs et pas seulement en conséquence de sentiments anti-religieux : confiscation de l’argenterie de nombreuses synagogues, autodafés en Alsace, destruction de lieux de culte dans l’Est, etc.   (…) Napoléon était probablement aussi «anti-judaïque» que la moyenne des Français de son temps. On peut trouver sous sa plume des épithètes défavorables ou méprisantes qui, « assemblées bout à bout, fourniraient la matière d’un petit catéchisme antisémite». Au moment de la grande crise économique de 1805, en effet, l’usure pratiquée par certains prêteurs juifs dans les régions de l’Est et singulièrement an Alsace prit un tour inquiétant. Les autorités eurent vent d’un projet de pogrome, ce que Fouché porta au bulletin de police : «Au commencement de ce mois, on avait répandu dans le Haut-Rhin que les Juifs devaient être tous massacrés, les 10 et 11 vendémiaire. Le préfet estimait que les Juifs faisaient eux-mêmes circuler ces bruits pour fixer sur eux l’attention des autorités […]. Il existe cependant […] un mécontentement général et une haine prononcée contre les Juifs.  À la fin de l’été 1806, Napoléon ordonna au ministre de l’Intérieur de préparer la réunion d’un ‘’Grand Sanhédrin’’,  (…) les quatre décrets des 17 mars et 20 juillet 1808. Les Juifs acceptent, au terme de leurs délibérations, de renoncer à la loi mosaïque (Loi de Moïse).»(4) 
A la lecture de ce passé fait de mépris, on pense à tort que le nazisme fut une rupture dans la considération des Juifs. Il n’en fut rien. Le nazisme fut une continuité, ce sont dix siècles de brimades à l’endroit des Juifs qui aboutirent à la solution nazie. Le XIXe siècle avec les Renan et Gobineau définit le concept de race. 

Le décret Crémieux pris en pleine débâcle de l’empire 

Dans l’atmosphère de chute de Sedan, de l’installation des Prussiens à Versailles, de l’emprisonnement de l’empereur, le député Adolphe Isaac Cremieux ne perd pas le nord. Jean Pierre Serini : «  Adolphe Crémieux a su profiter de la chute de Napoléon III   pour imposer l’idéal de toute une vie : reconnaître aux ‘’ indigènes israélites d’Algérie’’ la nationalité française  (…) Le 24 octobre 1870, à Tours, le gouvernement adopte neuf décrets qui instituent le régime civil réclamé par les insurgés d’Alger. Le septième décret accorde la citoyenneté française aux 37 000 juifs d’Algérie  (…)  Naturellement ce décret, pris en catimini, ne passe pas.» « (…)   L’agitation inquiète le ministère de l’Intérieur qui a la tutelle de la colonie. Le 21 juillet 1871, le ministre dépose un projet de loi abrogeant le décret Crémieux. Crémieux conduit une délégation de rabbins venus d’Algérie faire part au chef de l’État, Alphonse Thiers, de leur opposition à sa remise en cause (…)  L’affaire est ‘’pliée’’. On raconte aussi que le banquier Alphonse de Rothschild pesa dans le même sens et que la Troisième République naissante, qui devait au jeune empire d’Allemagne une indemnité de guerre de cinq milliards de francs, ne pouvait négliger l’avis de son principal financier.»(5)

Le régime de Vichy 

Bien plus tard, avec  le régime de Vichy, l’extrême droite française revendique l’abrogation du décret Crémieux. Ainsi, en juin 1940, elle salue avec enthousiasme la Révolution nationale du maréchal Pétain, faisant preuve d’assaut d’allégeance envers les  Allemands, les assurant d’une collaboration pleine et entière. Jacques Soustelle, parlant de cette époque de Vichy, écrit : «Pour bien des Français d’Afrique du Nord, si la Révolution nationale n’avait pas existé, il eût fallu l’inventer… Nulle part en France ni dans l’Empire on ne vit [la propagande du Maréchal] s’étaler avec autant d’indécence : énormes slogans barbouillant les murs, gigantesques portraits du bon dictateur.»  
Pour Alain Constant, ce documentaire, inspiré par le livre de Jacques Attali, l’Année des dupes. Alger 1943 (Fayard, 2019), dévoile un épisode douloureux et complexe de l’histoire de France. Qui résonne avec le présent, après les polémiques relancées par Eric Zemmour. On y découvre comment, entre l’été 1940 et l’été 1943, les Juifs et les musulmans d’Algérie ont vécu les discriminations et les persécutions d’un régime à la fois farouchement antisémite et partisan d’un empire colonial autoritaire.
De fait, en perdant la nationalité et en redevenant «indigènes», les Juifs perdent le droit d’exercer dans la fonction publique, l’armée, la presse, le cinéma, ainsi que leurs biens, et leurs enfants sont privés de scolarité, ce qui provoquera des traumatismes encore palpables chez les témoins, enfants à l’époque.(6)
Contrairement à ce qui est déclaré dans le documentaire, la stratégie pétainiste n’était pas de diviser les Juifs et les musulmans d’Algérie. Il ne faut surtout pas embarquer les indigènes dans le problème franco-juif qui date de 1870. Les Algériens furent du bon côté de l’Histoire. Ils ont eu avec les Juifs un comportement digne, même après le décret Crémieux. Ils ne virent pas le pétainisme comme une revanche, même si le décret Crémieux va introduire du ressentiment parmi les Algériens en privilégiant les Israélites indigènes qui acquièrent d’office la nationalité française, tandis que les musulmans demeurent administrés par le Code de l’indigénat mis en place dix ans après le décret Crémieux.

L’histoire des Juifs algériens en terre d’Islam

Sans remonter jusqu’à la Génèse, après leur persécution, les tribus juives ont essaimé à partir de l’Egypte sur tout le littoral méditerranéen à partir du VIIe siècle avant Jésus-Christ. Cette population juive, venue vraisemblablement par la mer, habitait le littoral libyen, il y avait une autre à l’intérieur du pays, berbère d’origine, qui, elle aussi, a été graduellement gagnée à la religion juive. D’autres Juifs viennent de Palestine fuyant l’empereur Titus après la destruction du temple de Jérusalem en 70 avant Jésus-Christ. Selon le mot d’Olivier cité par Rinn, «les Juifs ne furent que les hôtes des Berbères, ils ne furent pas leurs aïeux».(7)
Pour la  période de l’âge d’or des Juifs en Andalousie, la tolérance à l’ombre de la civilisation islamique a  fait que la symbiose a permis une vie  apaisée. Un exemple parmi tant d’autres nous est donné par le savant juif Maïmonide dont l’ouvrage majeur Le livre des égarés (Dalil al Haïrine)  fut écrit en arabe.   
Avec les dégâts de la Reconquista, le Maghreb fut le refuge des musulmans et des Juifs chassés d’Espagne.  Les Israélites, tout en conservant leur religion, se sont fondus au milieu de la race du pays. A part l’acquittement de redevances (le kharadj, impôt foncier, et la djéziah, impôt de capitation), les souverains musulmans usaient à l’égard des Juifs d’une large tolérance. Il y eut, comme l’écrit A. Dhina, parmi ces Juifs, des hommes pieux et des savants, c’est le cas du rabbin Raphaël Ephraïm Ankoa à Tlemcen. Les implantations les plus importantes des communautés juives se situent à Tlemcen, Constantine, Alger, Laghouat.(8)
Durant la Régence, ils purent vivre en bonne intelligence avec les musulmans. Il en sera de même pendant toute la période coloniale. Ainsi, Mostefa Lacheraf rapporte la bonne harmonie qui régnait entre les deux communautés  dans les années 1920 à 1940 de ce siècle dans son petit village de Sidi Aïssa. Il écrit notamment : «… Et puis l’école officielle du village de Sidi Aïssa était une école dite indigène où il n’y avait pas un seul élève européen, mais une grande majorité d’élèves musulmans en même temps qu’une douzaine de petits Israélites parlant l’arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie.» Eux et leurs familles appartenaient à la communauté juive du Sud algérien et portaient cinq ou six noms parmi ceux de l’ancienne diaspora andalouse judaïque réfugiée au Maghreb entre le XIVe et le XVIIe siècle. Peut-être que le mode religieux n’était pas, à l’époque, pour le «m’as-tu-vu» et le côté spectaculaire de la simple pratique, il n’existait ni mosquée officielle, ni église, ni synagogue édifiée en tant que telle. Femmes juives et femmes musulmanes se rendaient visite pendant les fêtes religieuses de l’une ou l’autre des communautés où elles habitaient côte à côte,… Je me rappelle encore ce que chantaient quelques femmes israélites venus offrir à ma mère du pain «azym» de la Pâque juive et entonnant sur le pas de la porte, en partant, un air célèbre d’origine andalouse. (…) Le chant nostalgique de l’ «au revoir». Les relations entre les deux communautés allaient sans doute changer à l’avènement du sionisme agressif, militaire lors de la spoliation de la Palestine par le nouvel Etat d’Israël.(9)

La considération des musulmans pour les Juifs 

Un autre film, Les hommes libres,  passé inaperçu, décrit la bravoure des Algériens émigrés à Paris qui ont sauvé des centaines de Juifs, mais aussi étaient dans la résistance. Le cinéaste Ismaël Ferroukhi raconte comment les émigrés algériens  — sous prolétariat français —  avaient sauvé  des Juifs et les ont cachés. Si Kaddour Ben Ghabrit, le fondateur de la Mosquée de Paris, fera de cette mosquée un lieu de résistance. 
Les Algériens du FTP (Francs-tireurs partisans) avaient pour missions de secourir et  protéger les parachutistes britanniques et de porter assistance à des familles juives,  Le tract, en tamazight, a été lu à voix haute pour les hommes pour la plupart analphabètes. «Le tract était rédigé ainsi du 16 juillet 1942 à Pari : «Hier, à l’aube, les Juifs de Paris ont été arrêtés. Les vieux, les femmes et les enfants. En exil comme nous, travailleurs comme nous, ils sont nos frères. Leurs enfants sont comme nos propres enfants (ammarach nnagh). Celui qui rencontre un de ces enfants doit lui donner un abri et la protection aussi longtemps que le malheur — ou le chagrin— durera. Oh ! l’homme de mon pays, votre cœur est généreux.»(10) 
On se souvient que les autorités coloniales en Algérie avaient choisi la collaboration, les indigènes refusèrent de livrer les Juifs et de collaborer. C’est le cas notamment à Laghouat où la population s’oppose à la demande des autorités de livrer les Juifs, contribuèrent à la protection de nombreux Juifs. Ainsi, Messali Hadj fera exclure du PPA les zélateurs d’une alliance avec les Allemands et sera emprisonné par le régime de Vichy en 1941.  
«En ôtant leurs droits aux Juifs, vous n’accordez aux musulmans aucun droit nouveau. L’égalité que vous venez de réaliser entre Juifs et musulmans est une égalité par le bas», déclare, en mars 1941, Messali Hadj, leader du courant indépendantiste».(11) 
Les Algériens disent qu’ils n’ont fait que leur devoir. Ils  ne demandent  reconnaissance ni aux Juifs français et encore moins au musée Yad Vaschem  pour les « Justes »…

Les Juifs et la Révolution 

Durant la Révolution, les Algériens de confession juive ont été sollicités pour apporter leur aide à la Révolution.  Dans la lettre du FLN aux Israélites en 1956 :  «C’est parce que le FLN considère les Israélites algériens comme les fils de notre patrie qu’il espère que les dirigeants de la communauté juive auront la sagesse de contribuer à l’édification d’une Algérie libre et véritablement fraternelle. (…)» Nous lisons  aussi la lettre suivante qui rappelle la condition non enviable des Juifs en France : «Le Front de libération nationale (FLN), qui dirige depuis deux ans la révolution anticolonialiste pour la Libération nationale de l’Algérie, estime que le moment est venu où chaque Algérien d’origine israélite, à la lumière de sa propre expérience, doit sans aucune équivoque prendre partie dans cette grande bataille historique (…) La communauté israélite se doit de méditer sur la condition terrible que lui ont réservée Pétain et la grosse colonisation : privation de la nationalité française. Sans vouloir remonter bien loin dans l’Histoire, il nous semble malgré tout utile de rappeler l’époque où, en France, les Juifs, moins considérés que les animaux, n’avaient même pas le droit d’enterrer leurs morts intra muros. Exactement à la même époque, l’Algérie était le refuge et la terre de liberté pour tous les Israélites qui fuyaient les inhumaines persécutions de l’Inquisition. Exactement à la même époque, la communauté israélite avait la fierté d’offrir à sa patrie algérienne non seulement des poètes, des commerçants, des artistes, des juristes, mais aussi des consuls et des ministres.(…). Le FLN est convaincu que les responsables comprendront qu’il est de leur devoir et de l’intérêt bien compris de toute la communauté israélite de ne plus demeurer ‘’au-dessus de la mêlée et de proclamer leur option pour la nationalité algérienne’’.»(12)  Beaucoup d’Israélites ont fait le minimum en «cotisant». Il y eut des Algériens juifs admirables qui ont bravé les interdits, traversé les barrières invisibles des communautés. Les jeunes Algériens doivent savoir que Maurice Laban  de Biskra est mort les armes à la main. 
Il en sera ainsi de Pierre Ghenassia,  un Juif algérien de 17 ans : «Quand l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) déclenche en mai 1956 une grève illimitée des cours, il déserte le lycée Bugeaud comme de nombreux jeunes qui iront grossir les maquis de l’ALN. C’est sans doute en novembre 1956, il rejoint la Wilaya IV, où il remplit plusieurs fonctions, dont celle d’infirmier. Son chef, le commandant de l’ALN Si Azzedine, écrira en 1976 : ‘’Parmi [les infirmiers et médecins], l’une des figures les plus attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi, mais son vrai nom était Ganacia (sic). Il était israélite, parlait très bien l’arabe. S’agissant du prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on le sache : Hadj est mort, refusant d’abandonner ses blessés. C’était un frère et nous l’avons pleuré. À Boukren, il sauva Boualem Oussedik de la gangrène. […] Hadj est mort à Tiberguent, en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité’’.» (13)  
Sa lettre est pleine d’espoir : «Chers parents, j’emprunte l’organisation du maquis pour vous faire parvenir de mes nouvelles qui sont excellentes. (…) Bien des aventures me sont arrivées mais celles-ci je me réserve de vous les conter après l’indépendance inchallah. A bientôt dans une Algérie libre et indépendante.»  «Si j’avais su qu’il était tombé, je l’aurais remplacé», aurait déclaré son père quelques années plus tard.»(13)
Un autre exemple nous est donné par le  Dr Daniel Timsit, né à Alger en 1928, dans une famille modeste de commerçants juifs descendant d’une longue lignée judéo-berbère. Il a participé activement à la guerre d’indépendance de l’Algérie en s’occupant  du laboratoire de fabrication d’explosifs, puis  il entrera dans la clandestinité en mai 1956. Arrêté, il sera détenu jusqu’à sa libération en 1962, date à laquelle il rentre à Alger. Il s’explique longuement sur son identité algérienne, lui qu’on continue en France à présenter comme un Européen. «Je n’ai jamais été un Européen», se défend-il. Il s’est toujours considéré comme Algérien, lui dont la langue maternelle est l’arabe «derdja». La langue et la culture françaises, qu’il ne renie pas, viennent au second plan. L’algérianité ne se définit pas en fonction d’une appartenance ethnique ou religieuse, mais parce qu’il appelle «une communauté d’aspirations et de destin». Le récit des années de prison fait partie de cette expérience unique où il découvre la nation algérienne dans sa diversité et sa profonde solidarité. Là se côtoient ceux qui ne parlent que l’arabe, le berbère ou le français, frères, pourtant, dans une même Algérie qui saigne.(14)

Les Juifs algériens  qui s’engagèrent pour l’indépendance

Heureusement pour l’Histoire, il y eut des personnes illustres. Gisèle Halimi plus que personne mérite le titre d’Algérienne et de moudjahida. Sa défense de Djamila Boupacha qu’elle a arrachée aux guillotineurs est un exemple de personnalité qui a fait son devoir vis-à-vis de la condition humaine. De quelque côté qu’on l’observe, elle ne laisse pas indifférent,  on ne peut pas ne pas lui reconnaître une certaine rectitude, une élégance et une résilience dans ses combats.  La guerre d’Algérie va permettre de la révéler. Ce sera une battante que rien n’arrête tant il était vrai qu’elle était habitée par le souci de la justice et de la vérité : à partir de 1956, elle devient l’avocate des condamnés algériens dans l’affaire des condamnations sur aveux extorqués à 44 personnes dont 17 femmes, puis dénonce les tortures pratiquées par l’armée française et défend les militants du Mouvement national algérien poursuivis par la justice française.   À partir de 1960, elle prend la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN algérien, torturée par des soldats français en détention  et temoigne notamment dans les colonnes du journal Le Monde, journal de référence du temps du grand Hubert Beuve Mery, avec l’écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir. De nombreux soutiens et la participation de grands noms comme Pablo Picasso.  Condamnée à mort en France le 28 juin 1961, Djamila Boupacha sera amnistiée et libérée le 21 avril 1962. Dans une interview testament en septembre 2019, Gisèle Halimi passe sa vie au scanner. «Soixante-dix ans de combats. Soixante-dix ans d’énergie, de passion, d’engagement au service de la justice et de la cause des femmes.    “Je ne pensais pas que ces guerres feraient irruption dans ma vie avec une telle violence.  “Oui, et j’étais assurément considérée comme une ‘’traîtresse à la France’’ par les militaires et tenants de l’Algérie française.»(15)
Bien plus tard, suite à sa disparition, le témoignage de Djamila Boupacha  dont l’image devenue icône a bouleversé le monde. Tous les grands noms ont témoigné et communié avec son calvaire. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Picasso. Elle déclare   : «Gisèle a été non seulement mon avocate, mais une grande sœur sur qui je pouvais compter.
À Paris, Gisèle s’est attelée à constituer un comité pour ma défense et a demandé à ce que je sois transférée en France. Ici, le garde des Sceaux a dit : ‘Si vous le voulez, vous devez payer les frais du voyage.’ Le comité s’est mobilisé avec beaucoup de personnes pour collecter l’argent.   Il manquait une certaine somme. C’est le maire de Fort-de-France, le célèbre poète martiniquais Aimé Césaire, qui a complété la somme restante pour que je puisse voyager en France.  Elle venait régulièrement me voir en prison.»(15)

Les Juifs vivant de nos jours en Algérie

Après le départ massif de 1962, beaucoup de Juifs ont préféré rester en Algérie. Zouheir Aït Mouhoub en parle : «L’Algérie, pour laquelle ils ont participé à la libération, est leur patrie. Avec les Algériens, ils partagent tout, à l’exception de… la religion. Eux, ce sont les Juifs d’Algérie. Aujourd’hui, ils continuent encore de se cacher pour mieux vivre.» Il donne la parole  ensuite  à un jeune Algérien juif qui a choisi de sortir de son silence : «Je n’ai que 24 ans. Mais j’ai déjà passé l’essentiel de ma vie à me cacher. A cacher mon secret, celui de ma famille, de mes semblables. Je suis algérien. Avec mes concitoyens, je partage le ciel, la mer, la terre, les joies et les tristesses. Mais pas la religion. (…) Je m’appelle Naïm. Ma famille a toujours refusé de quitter l’Algérie et est restée liée à son histoire depuis des siècles. Mon grand-père décida de rester. ‘’Ici, c’est notre terre. Elle a vu naître tes parents et tes aïeuls et nous n’avons nulle part où aller’’, répétait-il à chaque discussion. (…) Mon grand-père, à l’époque commerçant à Znikat Laârayass, dans la Basse-Casbah, aidait ses frères moudjahidine. Son frère s’était même engagé dans l’Armée de libération nationale. C’est un chahid. Aujourd’hui encore, les vieux et les vieilles de La Casbah se souviennent de l’engagement de ma famille dans la Révolution.»(16) 

Conclusion

Ce documentaire est un non- évènement où les Algériens sont absents. Il est réalisé par des Juifs à la veille d’élection pour attirer l’attention sur eux et faire allégeance à la droite. Ils racontent l’Algérie à leur guise, leur Algérie dans laquelle les Algériens sont inexistants, une Algérie aseptisée de ses Algériens. C’est pratiquement une guerre de mémoire d’Algérie pour faire l’apologie de la fidélité des Juifs  qui n’ont eu  de cesse de demander à recouvrer leur identité française que leur a octroyée Adolphe Isaac Crémieux durant la débâcle de 1870, la France envahie par l’Allemagne et Bismark  proclamait l’empire au  Château de Versailles.   
Sans remettre en cause sa compétence, Benjamin Stora est la seule  grille de lecture officielle  française de l’Algérie. Quel que soit le chef d’Etat  français après 1981. Benjamin Stora « s’est imposé » comme le seul habilité  à parler de  l’histoire de l’Algérie faisant croire qu’il a l’écoute de l’autre bord. Rien n’est moins vrai !  Le pouvoir français se satisfait de cette histoire sans épaisseur mais qui ne fait pas avancer le nécessaire devoir d’inventaire entre les peuples d’Algérie et de  France. Nous voulons mettre à plat ce contentieux et nous tourner vers l’avenir. 
Plus que jamais, nous devons consolider un récit qui nous permettra de parler d’une seule voie à l’extérieur. Si nous nous ne mettons pas en ordre de bataille — notamment sur le plan de l’unité —, nous allons être broyés par le Nouvel Ordre qui fera fi de nos petites querelles d’autant que l’Algérie est un dernier gisement à conquérir… Nous irons inexorablement vers une somalisation inéluctable. Ce que l’Occident dans son ivresse d’empire appelle les zones grises. J’en appelle  à un aggiornamento  multidimensionnel    pour redonner une nouvelle impulsion à ces jeunes en panne d’espérance, leur offrir leur Histoire, toute leur Histoire, rien que leur Histoire, et en faire des battants fascinés par l’avenir.
C. E. C.

1.http://opr.news/547d06b5220119fr_dz?link=1&client=news
2.https://www.nationalgeographic.fr/histoire/les-juifs-au-moyen-age-lescalade-de-la-persecution
3.https://www.persee.fr/doc/rjuiv_0484-8616_1884_num_8_15_3384
4.Lentzhttps://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires /articles/41371/ Thierry       
5.https://orientxxi.info/magazine/1870-la-france-coloniale-divise-juifs-et-musulmans,0545
6.AlainConstant https://www.lemonde.fr/culture/article /2022/01/18/l-algerie-sous-vichy-sur-arte-revient-sur-la-strategie-petainiste-pour-diviser-les-juifs-et-les-musulmans-d-algerie_6110013_3246.html
7. L. Rinn:Essai linguistiques sur l’origine des Berbères; Revue Africaine, p.115,1889..
8. A. Dhina: Les Etats de l’Occident Musulman aux 13e-15e siècle.p. 260.Eds Enal, 1984.
9. Lacheraf: Des noms et des lieux.p.27, 28,29. Editions Casbah. 1999.
10. http:// kabylemag. com/2011/09/25/ces-kabyles-qui-ont-sauve-des-juifs-des-nazis/24.10.2006
11. https:// www. lemonde. fr/archives /article /1974/06/05/ messali-hadj-est-mort-a-paris-le-prophete-fourvoye_3092423_1819218.html
12. http://www.algeria-watch.org/farticle/1954 -62/israelites.htm
13.J Le foll-Luciani Https://www.trajectoires-dissidentes.com/2016/02/22/alger-1947-2-pierre-ghenassia-dit-el-hadj-1939-1957/  22 février 2016   
14 Daniel Timsithttp://www.ldh-toulon.net/spip.php ?article4023
15.C.E. Chitour https://www.liberte-algerie.com/contribution/un-sacerdoce-de-bonnes-causes-343066
16. Zouheir Aït Mouhoub http://www. dafina. net/gazette/article/moi-na%C3%AFm-24-ans-futur-rabbin-d%E2%80%99alg%C3%A9rie 13 07 2012

Par Pr Chems Eddine Chitour 
École polytechnique, Alger

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

Source : Le Soir d’Algérie
https://www.lesoirdalgerie.com/…

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