Par René Naba
https://www.madaniya.info/ a décidé de re-publier cinq anciens papiers du site en guise de piqûre de rappel mu par un devoir civique en vue decontrebalancer la tendance à la fascisation du débat public en France, impulsée par EZemmour, afin de replacer les faits dans leur réalité française.
La négation du triptyque républicain
La France pâtit d’une nostalgie de grandeur. Le triptyque républicain (Liberté, Egalité, Fraternité) relève davantage d’une posture déclamatoire propre à la stature de prescripteur moral que la France s’est octroyée en vertu d’une mythique mission civilisatrice. Mais à l’épreuve des faits, le comportement de la France relève davantage de la schizothymie
– La liberté: La Colonisation est la négation de la liberté. Contraire aux principes fondateurs de la Révolution française, la colonisation a été le fossoyeur de l’idéal républicain.
– L’Egalité: L’exception française est une singularité: premier pays à avoir institutionnalisé la terreur comme mode de gouvernement, avec Maximilien de Robespierre, sous la Révolution française (1794). La France sera aussi le premier pays à inaugurer la piraterie aérienne, en 1955, avec le déroutement de l’avion des chefs historiques du FLN algérien, donnant ainsi l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte pour leur indépendance La récidive dans la singularité est aussi un trait de l’exception française: ce pays jacobin, égalisateur et égalitaire se singularisera, aussi, en étant le seul pays au monde à avoir officialisé le «gobino-darwinisme juridique», à avoir codifié en droit «la théorie de l’inégalité des races», une codification opérée sans discernement, pour promouvoir non l’égalité, mais la ségrégation.
La «Patrie des Droits de L’Homme» et des compilations juridiques modernes -le code civil et le code pénal– est aussi le pays de la codification discriminatoire, le pays de la codification de l’abomination: le pays du «Code Noir» de l’esclavage, sous la monarchie, du «Code de l’indigénat» en Algérie sous la République, qu’il mettra en pratique avec les «expositions ethnologiques», ces «zoos humains» dressés pour ancrer dans l’imaginaire collectif des peuples du tiers monde l’idée d’une infériorité durable des «peuples de couleur», et, par contrecoup, la supériorité de la race blanche.
Entorse au principe républicain d’égalité des chances, les discriminations constituent aussi un manque à gagner économique. Et la facture est lourde. Le coût des seules inégalités d’accès à l’emploi et aux postes qualifiés s’élèverait à 150 milliards d’euros.
-Fraternité: La fraternisation sur les champs de bataille a bien eu lieu mais la fraternité jamais, la cristallisation des pensions de retraite des combattants indigènes en est une preuve criante. L’immigré en France a longtemps été perçu comme un indigène, ce qui faisait paradoxalement de l’immigré, l’indigène de celui qui est étymologiquement l’indigène. La France s’affiche volontiers révolutionnaire mais se révèle, en fait, profondément conservatrice. La France du triptyque républicain a eu un comportement liberticide avec la colonisation, ethniciste dans sa politique migratoire, un comportement sociocide dans sa structuration socio-culturelle et démographique.
La France à l’articulation majeure des penchants criminels de l’Europe démocratique
Pour mémoire, force est de rappeler que les trois grandes figures tutélaires du XX me siècle pour leur contribution à la morale universelle auront été trois personnalités du tiers monde colonisé, le Mahatma Gandhi (Inde), Nelson Mandela (Afrique du Sud), et, pour l’espace francophone, le Martiniquais Aimé Césaire, trois apôtres de la non-violence, une consécration qui retentit comme un camouflet pour les pays occidentaux avec leur cortège de nazisme, de fascisme, de totalitarisme et d’esclavagisme.
Et, pour douloureuse qu’elle puisse être pour notre amour propre national, force nous est de relever que la France, en contrechamps, aura été le seul grand pays européen à l’articulation majeure des deux grands fléaux de l’Occident de l’époque contemporaine, «les penchants criminels de l’Europe démocratique», la traite négrière et l’extermination des Juifs, contrairement à la Grande Bretagne qui a pratiqué la traite négrière exclusivement, sans aucunement participé à l’extermination des Juifs, contrairement même à l’Allemagne qui a conçu et réalisé, elle, la solution finale de la question juive, mais sans participation significative à la traite négrière.
A ce passif moral s’ajoute un passif tout aussi accablant: Jamais pays au Monde n’a été autant que la France redevable de sa liberté aux colonies, mais jamais pays au Monde n’a pourtant autant que la France réprimé ses libérateurs souvent de manière compulsive: Alexandrette (Syrie), Sétif (Algérie), Thiaroye (Sénégal), Haut Sanaga (Cameroun), Madagascar.
Le déni de réalité ne saurait tenir lieu de politique mémorielle. Pas plus que la repentance a minima pour solde de tout compte.
L’effet Boomerang: «L’invasion barbare».
Par un rebond de l’histoire, dont elle connait seule le secret, l’effet boomerang interviendra au XXe siècle. L’Europe, particulièrement la France, pâtira de sa frénésie belliciste, avec l’enrôlement de près de 1.2, millions des soldats de l’outre-mer pour sa défense lors des deux guerres mondiales (1914-1918/1939-1945) et la reconstruction du pays sinistré. Au point que par transposition du schéma colonial à la métropole, les Français, par définition les véritables indigènes de France, désigneront de ce terme les nouveaux migrants, qui sont en fait des exogènes; indice indiscutable d’une grave confusion mentale accentué par les conséquences économiques que cette mutation impliquait.
L’indépendance des pays d’Afrique neutralisera le rôle du continent noir dans sa fonction de volant régulateur du chômage français. L’arabo-phobie se substitue alors à la judéo-phobie dans le débat public français avec la guerre d’Algérie (1954) et la Guerre de Suez (1956), avant de muter en Islamophobie avec la relégation économique de la France à l’échelle des grandes puissances. La xénophobie française se manifestera alors d’une manière inversement proportionnelle à la gratitude de la France à l’égard des Arabes et des Musulmans, dans le droit fil de son comportement post guerre mondiale à Sétif, en Algérie, en 1945, et à Thiaroye, en 1946, au Sénégal.
Cinq siècles de colonisation intensive à travers le monde n’auront ainsi pas banalisé la présence des «basanés» dans le regard européen, ni sur le sol européen, pas plus que dans l’imaginaire occidental, de même que treize siècles de présence continue matérialisée par cinq vagues d’émigration n’ont conféré à l’Islam le statut de religion autochtone en Europe, où le débat, depuis un demi-siècle, porte sur la compatibilité de l’Islam et de la République, comme pour conjurer l’idée d’une agrégation inéluctable aux peuples d’Europe de ce groupement ethnico-identitaire, le premier d’une telle importance sédimenté hors de la sphère européocentriste et judéo-chrétienne.
L’immigration basanée en France: Une immigration de créance
L’immigration basanée en France est une immigration de créance et non une émigration de bienfaisance. Elle résulte d’un tribut de sang, sans pareil dans les annales, qui fait, qu’à ce titre les immigrés en France se doivent être accueillis par la grande porte alors que les instances du pays veillent constamment à leur faire prendre la porte de service.
La contribution globale de colonies à l’effort de guerre français pour les deux guerres mondiales est connue: 1ère Guerre Mondiale (1914-1918) s’est élevée à 555.491 soldats, dont 78.116 ont été tués et 183.903 affectés à l’arrière à l’effort de guerre économique pour la première guerre mondiale. Pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945): La première armée d’Afrique qui débarqua en Provence (sud de la France), forte de 400.000 hommes, comptait 173 000 arabes et africains dans ses rangs.
La France a décidé le 13 juillet 2010 l’alignement des pensions de tous les anciens combattants résidant à l’étranger, quelle que soit leur nationalité, à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique francophone. Cet alignement a bénéficié à quelque 30 000 personnes sur les quelques 173 000 combattants indigènes qui constituaient l’ossature de la première armée d’Afrique.
Epilogue de soixante ans d’une aberration morale, cette mesure n’avait toutefois pas d’effet rétroactif et ne concerne pas les anciens combattants décédés sous le régime de la «cristallisation» des pensions. La générosité française parait parcimonieuse et apparaît rétrospectivement comme un solde de tout compte. Au rabais.
Le devoir de vérité ne constitue donc pas, selon une analyse chauvine, une pantalonnade assimilable «aux sanglots de l’homme blanc», mais un acte de courage moral de salubrité publique.
L’erreur est humaine mais sa répétition est diabolique. Pour la prévenir, il importe de se remémorer que l’identité française était vichyste sous Pétain et l’écrasante majorité de Français se reconnaissait en elle, alors qu’elle était farouchement combattue par les métèques de la République.
La fuite comme mode de gouvernement
Le récent changement de nom du parti néo-gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire), devenu «Les Républicains», remet sous les deux de l’actualité une spécificité française qui vise à opérer un ravalement cosmétique destiné à gommer les turpitudes d’une institution sans garantie d’une rédemption, avec la certitude d’une récidive.
Singulière pratique qui distingue la France des autres grandes nations occidentales, sans qu’il ait été possible de savoir si cette jonglerie sémantique constitue un signe de vitalité et de créativité, ou plus grave, le symptôme d’une inconstance, voire d’une instabilité.
En comparaison avec les autres pays occidentaux, le comportement de la France fait tache. Depuis la Déclaration d’indépendance, en 1776, contemporaine de la Révolution française, les Etats Unis fonctionnent selon un système fédéral régit par la même constitution, reposant sur un socle constitué de deux grands partis, Républicains et Démocrates. Vingt-sept amendements ont été ratifiés depuis la signature de la Constitution originelle.
Il en est de même au Royaume Uni où depuis l’instauration de la monarchie parlementaire (1689), le pays est régi par un corpus constitutionnel immuable – l’«Habeas Corpus» et «The Bill of Rights» (La déclaration des Droits)-, animé par deux grands partis politiques –Conservateurs et Travaillistes–, qui pratiquent dans la plus grande harmonie une alternance du pouvoir selon le verdict des urnes.
La situation est bien différente en France, qui a connu depuis l’abolition de la monarchie absolue en 1789, avec la Révolution française, 13 régimes politiques différents, dont 5 Républiques.
La succession de ces régimes politiques entre 1789 et aujourd’hui (empire, monarchie constitutionnelle, république parlementaire), fait que la France a connu au cours des deux derniers siècles près de 15 Constitutions différentes, présentant chacune leurs spécificités propres. Rien que pour la dernière, celle de 1958 qui a fondé la Vème République, 24 révisions ont été opérées depuis son adoption, soit autant que pour la Constitution des Etats-Unis qui est en vigueur, elle, depuis plus de trois siècles.
Les partis politiques n’échappent pas à cette règle, comme en témoigne la valse leurs sigles.
Le parti gaulliste fondé en 1946 par Charles de Gaulle après la Libération s’est lui aussi plié à cette règle des variations saisonnières. Le Rassemblement du Peuple Français (RPF/1947-1955) a ainsi évolué, sémantiquement, au gré des circonstances politiques pour devenir tour à tour, l’Union Pour La Nouvelle République, au retour du Général de Gaulle au pouvoir en 1958, (UNR/1958-1967), avec une variante progressiste tendance gaulliste de gauche, l’Union Démocratique pour le Travail de René Capitant (UDT/1962-1967); Puis l’UDR par la fusion de l’UNR et de l’UDT (1960-1976), avant de changer de sigle en 1976, pour devenir le Rassemblement Pour la République (RPR 1976-2002), lorsque Jacques Chirac a voulu se doter d’une machine de guerre pour la conquête du pouvoir, avant de basculer sous Nicolas Sarkozy vers l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP), transformé après l’élection en l’Union Pour un Mouvement Populaire jusqu’à sa mutation la plus récente: «Les Républicains» (2015), toujours sous l’égide de Nicolas Sarkozy, reparti à la conquête du pouvoir. Fait symptomatique, en 68 ans, huit mutations de sigle.
Sauf à abdiquer devant les tenants de l’anglo-sphère, sauf à se draper dans un splendide isolement, sauf à se voiler la face dans un splendide aveuglement, le débat ne saurait se réduire à un duel narcissique entre la France et elle-même s’offrant en spectacle au reste du monde, au nom de l’exception française, mais à un débat sur le positionnement de la France au sein de son bassin naturel de déploiement, la Francophonie, gage de son rayonnement et justificatif de son statut de grande puissance, membre permanent du conseil de sécurité.
Un statut dont elle n’aurait jamais rêvé au vu de ses piètres performances durant la Deuxième guerre mondiale (1939-1945), mais dont elle est redevable à sa possession d’un empire d’outre-mer et à la logique des blocs au paroxysme de la guerre froide.
Le ressentiment est fort, à la mesure de l’usurpation. Il est à espérer que Jupiter de France, lesté des turpitudes des précédentes générations, débarrassera la France de ses scories par une réhabilitation de l’image du «Bougnoule» dans l’imaginaire français et la réhabilitation de la contribution de la «piétaille de la République» à la grandeur de la France.
N’en déplaise aux intellectuels de cour, l’exception française est une singularité qui se vit comme une impunité, une spécificité qui se vit comme une spéciosité avec son corollaire la récidive.
Premier pays à avoir institutionnalisé la terreur comme mode de gouvernement, avec Maximilien de Robespierre, sous la Révolution française (1794), la France est aussi le premier pays à inaugurer la piraterie aérienne, en 1955, avec le déroutement de l’avion des chefs historiques du mouvement indépendantiste algérien (Ahmad Ben Bella, Mohamad Khider, Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem), donnant ainsi l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte pour leur indépendance.
La capitulation de Sedan face à l’Allemagne en 1870-1871 a donné naissance à la IIIème République, la capitulation de Montoire face à Hitler en 1940 à la IVème République (1946), celles de Dien Bien Phu et d’Algérie en 1955, à la Vème République (1958), avec leurs cortèges de grandes institutions: «sciences po» et l’Institut des Etudes Politiques de Paris après Sedan et l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration (1945) après Montoire.
Le pays des «grandes écoles», des concours pépinières des élites, des scribes et des clercs – cinq millions de fonctionnaires en France en 2.000, le plus fort contingent de l’Union européenne, soit 20% de la population active – ne tolère pas de retour sur son passé. Il ne conçoit que les perspectives d’avenir. Jamais de rétrospectives, toujours des prospectives. Une fuite en avant? La fuite comme mode de gouvernement ?
Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…