Par Haidari Nassurdine
Le Mardi 30 novembre 2021, Joséphine Baker va entrer au Panthéon. Une véritable consécration pour cette américaine devenue française par amour de la liberté. Cependant, son entrée au Panthéon devrait également nous interpeller sur la situation des populations noires de France. Une situation ô combien difficile, voire parfois insurmontable.
Cette femme se jouant des stéréotypes de son temps, en forçant la caricature à l’extrême tout en éveillant les consciences des parisiennes qui voyaient en elle une forme d’émancipation inaccessible.
Joséphine portait cette flamme incandescente que nul ne pouvait saisir. Une flamme probablement née durant une enfance douloureuse marquée par la ségrégation, l’extrême pauvreté, les heures interminables de corvées ménagères, les nombreuses agressions sexuelles, les humiliations permanentes et la prostitution juvénile organisée par une mère alcoolique.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Joséphine aurait pu s’éteindre rongée par une vie qui ressemblait étrangement à un film d’horreur ; vie qui perd furieusement toutes ses tonalités et où le sourire d’une enfant se fane devant la laideur du monde.
Mais la force de Joséphine résidait dans sa capacité à affronter le monde et à ne pas accepter la fatalité. Elle intégrera une troupe de danseurs et se laissera convaincre par une productrice de rejoindre Paris avec Sidney Bechet.
Traverser l’océan pour retraverser une vie qui ne l’avait pas épargnée… Reconstruire une vie en engageant ses propres choix et pas ceux dictés par une société injuste et racialisée.
L’entrée au Panthéon d’aujourd’hui aura été l’aboutissement d’un combat raisonnant aux quatre coins du monde et embrassant la devise républicaine de Liberté comme principe, d’Egalité comme droit et de Fraternité comme but.
Il y a ceux qui retiendront exclusivement la Résistante qui profitait des réceptions auxquelles elle était conviée dans les ambassades pour recueillir du renseignement pour le contre-espionnage français. Cette femme engagée aux cotés des troupes françaises pour sauver sa nouvelle patrie, la France. Un combat qui faillit lui couter la vie ; mais elle n’avait plus peur de rien depuis sa tendre enfance ; suite à la violente agression d’un vieillard dont elle fut témoin, assassiné à coups de barre de fer et laissé dans une mare de sang.
Et les autres qui se souviendront de la mère arcs-en-ciel, déterminée à élever douze enfants orphelins ou abandonnés venant de tous les continents, afin de donner un sens au mot fraternité.
Joséphine avait la force d’une femme !
Une femme courage… Une femme espoir… Une femme libre…
Cependant, son entrée au Panthéon devrait également nous interpeller sur la situation des populations noires de France. Une situation ô combien difficile, voire parfois insurmontable.
A l’heure de la panthéonisation de Joséphine Baker, une partie du territoire national s’enflamme sous le joug des injustices sociales et d’une départementalisation malmenée où certaines personnes sont encore privées d’eau du lundi au vendredi ; exception faite le week-end.
Au moment de cette panthéonisation, nombreux sont encore les français à la peau sombre relégués dans ce que nous pouvons pudiquement appeler les quartiers populaires, et où la discrimination de masse sévit sans commune mesure.
Alors, nous retiendrons la force du symbole et la décision historique prise par Emmanuel Macron de célébrer en la personne de Joséphine, l’artiste, la résistante, la militante des droits civiques, la descendante d’esclaves devenue reine de Paris, la danseuse aux pieds nus qui a su jouer des clichés, dépasser sa propre condition, et s’affirmer comme femme de conviction.
Mais la force du symbole réside dans sa capacité à donner un espoir, un horizon atteignable, une perspective souhaitable. Le parcours de cette femme est exceptionnel, mais il ne pourrait en aucun cas nous faire oublier le long chemin que nous devons parcourir ensemble pour plus d’égalité et de fraternité.
En ces heures troublées par des discours clivants souvent identitaires, fratricides, ayons la force de nous souvenir d’un rêve, celui de Joséphine Baker en France, et que portait également Martin Luther King aux Etats-unis.
Haidari Nassurdine
Président du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN)
Source : le blog de l’auteur
https://blogs.mediapart.fr/nassurdine-haidari/…