Par Viktor Dedaj
« Please, save my life. » – Julian Assange
A la sortie de la deuxième guerre mondiale, les états vainqueurs ont organisé le procès du régime nazi. Les rendus du tribunal deviendront ensuite les bases du droit international, sous l’appellation des « principes de Nuremberg ».
Contrairement à une croyance répandue, le Tribunal n’a pas condamné à mort des dignitaires du régime nazi pour des crimes particuliers, mais pour celui plus large de « crime contre la paix » ou, dit autrement, d’avoir déclenché une guerre non-provoquée. Le principe énoncé était que le crime contre la paix – ou crime d’agression (*) – constituait le crime des crimes, le crime absolu, le crime qui englobe et inclut tous les autres crimes résultant de ce crime originel. Qu’être coupable du crime contre la paix vous rendait coupable de tous les crimes individuels commis dans son sillage.
Un autre principe était que « obéir aux ordres » n’était pas une excuse recevable, qu’il existait un devoir de désobéissance aux ordres criminels.
Enfin, un fait peu connu est que l’éditeur en chef d’un quotidien allemand fut condamné à mort et exécuté pour cause de propagande pro-guerre.
Et seize « juges » membres du ministère de la Justice du Reich (ou des tribunaux populaires et spéciaux) furent poursuivis, et quatre furent condamnés à la prison à vie.
La suite des événements mondiaux démontreront bien sûr l’écart entre ces principes affichés et la réalité sur le terrain. Comme l’a rappelé Noam Chomsky, si les principes de Nuremberg étaient réellement appliqués, tous les présidents des Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale auraient été pendus. Il n’en demeure pas moins que le droit international, basé sur ces principes, existait et constituait – peu ou prou – le fil du tissu des relations internationales.
On me rétorquera que, principes ou pas, le droit international a été régulièrement piétiné. Certes, comme toute « loi », le droit international est appelé à être violé et se pose dans la foulée la question des mécanismes de maintien de l’ordre international. S’agissant de relations entre Etats plus ou moins puissants, plus ou moins belliqueux, on comprend bien qu’il y a la théorie et la pratique. Surtout lorsque le violeur en chef du droit international prétend tenir le rôle de gendarme du monde. Comme lorsque le chef de la police se révèle être aussi le chef de la mafia.
Mais aussi imparfait qu’il soit, un tel état des choses peut basculer vers encore pire. Vers une situation où le gendarme auto-proclamé ne cache plus son appartenance à la mafia mais l’assume à mots à peine voilés, en lançant quelques clins d’oeil à son entourage. Où les règles du jeu ont discrètement, mais officiellement, changé. Où un fragile « droit » est remplacé par une brutale imposition d’une « pratique coutumière ».
Pratique jusqu’à présent cantonnée et bien rodée principalement autour de leurs embargos économiques unilatéraux, les Etats-Unis tentent désormais d’étendre l’« extra-territorialité » de leurs lois à notre droit de savoir, en enlevant un journaliste Australien, exerçant en Europe.
L’après procès Assange ne sera pas la mort de « la » liberté de la presse. Car « la » presse a accompli pour cette affaire comme pour tant d’autres son œuvre de désinformation, en toute liberté. La mort, car mort il y aura, sera celle d’un certain journalisme, le seul qui compte réellement et le seul qui mérite ce titre.
Le procès de Julian Assange, que les médias s’obstinent, au mieux, à réduire à un fait divers ou, au pire, à ignorer, est présenté par ses défenseurs comme une atteinte à la liberté de la presse. Ce qui est vrai. Mais ce n’est là qu’un des aspects de cette affaire, car ce crime là n’est qu’un « sous-produit » d’un « crime des crimes » plus vaste, contre les principes même de Nuremberg qui prévalaient jusqu’à présent.
De l’irrecevabilité de l’excuse « je ne faisais qu’obéir aux ordres », nous voyons des auteurs de crimes de guerre être décorés pour services rendus.
De la condamnation à mort d’un journaliste pro-guerre, nous sommes passés à la lente mise à mort d’un journaliste anti-guerre.
De la guerre non provoquée, considérée jadis comme le crime des crimes, nous sommes en train d’assister à un procès intenté par les auteurs de « crimes contre la paix » contre celui qui était le plus conséquent, à l’avant-garde, efficace – et donc dangereux – de leurs résistants.
Libérer Assange, c’est non seulement sauver un juste, mais aussi résister à la folie vers laquelle les psychopathes au pouvoir veulent nous entraîner : un retour « officiel » de l’ordre mondial à l’image de leurs esprits malades et criminels.
Viktor Dedaj
(*) Le crime d’agression est défini à l’art. 8bis du Statut de Rome de la Cour Internationale de Justice https://crimeofaggression.info/role-of-the-icc/definition-of-the-crime…
La compétence de la Cour Internationale de Justice sur le crime d’agression est officiellement devenue active le 17 juillet 2018. https://ilg2.org/2018/12/05/the-crime-of-aggression-1-year-later/
EN COMPLEMENT : Echange en DUPLEX avec Nils Melzer (ONU) retransmis en direct du cinéma Espace Saint Michel (Paris)
© Copy Left Le Grand Soir – Diffusion autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Source : Le Grand Soir
https://www.legrandsoir.info/…