Le 4 juin, dans le port d’Oakland (États-Unis), des manifestants empêchent le déchargement
d’un navire israélien en soutien au mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS).
© David Bacon/Report Digital-REA
Par Pierre Barbancey
Dans un rapport publié ce jeudi par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, les associations dénoncent les stratégies des autorités israéliennes visant à délégitimer la défense des droits des Palestiniens.
Accusations d’antisémitisme, de soutien au terrorisme et de troubles à l’ordre public, poursuites judiciaires, annulations et modifications d’événements académiques et culturels… Ces dernières années, « les autorités israéliennes développent une communication très agressive contre ceux qui documentent et luttent pour les droits des Palestiniens et la justice », comme le souligne François Leroux, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, qui rend public, aujourd’hui, un rapport d’envergure : « Attaques, diffamation : décryptage des stratégies de délégitimation de la défense des Palestiniens », justement parce que les associations et personnes qui défendent le respect des droits de l’homme et du droit international en Palestine font face à une augmentation des attaques, notamment en France.
« L’accusation d’antisémitisme, arme de dissuasion majeure, est instrumentalisée », insiste François Leroux. Celle-ci « a pour but de stigmatiser, de faire taire et de dissuader d’autres personnes ou associations qui voudraient s’associer à cette lutte contre l’injustice. En agitant la menace de l’antisémitisme, ces attaques ont aussi pour but de conforter l’impunité accordée à la politique israélienne et de rallier les juifs citoyens d’autres États qu’Israël à la défense de cette politique ».
Et, pour être bien clair, il précise : « Le combat contre l’antisémitisme doit continuer à avoir toute sa place dans la lutte contre le racisme en France. Mais cette juste cause ne devrait pas être dévoyée et instrumentalisée pour empêcher la dénonciation des violations du droit international par les autorités israéliennes. Aller à l’encontre du narratif d’Israël ne devrait pas exposer à des menaces. » Et pourtant !
« Un manque d’engagement concret de la part des États tiers »
Et pourtant la violation quotidienne du droit des Palestiniens, la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est, le développement de la colonisation, les exécutions extrajudiciaires menées par des unités spéciales de l’armée israélienne, l’emprisonnement de milliers de personnes sont une réalité permanente.
Si de tels faits se pérennisent, c’est « en raison notamment d’un manque d’engagement concret de la part des États tiers pour les condamner et les dissuader », souligne le rapport. Pour « maintenir ce cadre d’impunité », il convient donc pour les autorités israéliennes et leurs relais de mettre en place des stratégies de diversion permanentes, « de diffamer et censurer les voix critiques s’exprimant sur les violations des droits de l’homme menées par le gouvernement israélien ».
Les Organisations de la société civile (OSC) palestiniennes rencontrent les pires difficultés pour mener à bien leurs missions, d’autant que les sources de financement sont également l’objet de restrictions. « Ces organisations et leur personnel sont confrontés à des détentions arbitraires, des raids, des menaces physiques et du harcèlement, des restrictions de leur liberté de mouvement, d’expression », peut-on lire.
Des relais pour éteindre toute mobilisation
Des attaques qui visent également les ONG internationales dont Amnesty International et Human Rights Watch. En vertu d’une loi votée en 2017, « l’État israélien peut interdire l’entrée sur son territoire ou en expulser quiconque soutient le boycott d’Israël ou de ses colonies dans les territoires palestiniens occupés ». Cette loi a permis au ministre des Affaires stratégiques de l’époque d’établir une liste noire des personnes de vingt OSC basées en Europe, aux États-Unis, en Afrique du Sud et au Chili ou d’interdire l’accès au territoire à des maires et des parlementaires français en novembre 2017.
Cette défense d’Israël a besoin de relais pour éteindre toute mobilisation en faveur des droits des Palestiniens. Aux États-Unis, le combat est mené sur les campus mêmes. « Le site Canary Mission a mis en place une liste noire, gérée de manière anonyme, ciblant des étudiants, des professeurs et des militants qui ont publiquement défendu les droits des Palestiniens. » Certains d’entre eux ont même été convoqués par le FBI (l’agence fédérale de renseignement et de police judiciaire), d’autres se sont vu refuser l’ouverture d’un compte bancaire. Au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, les intimidations et les menaces sont également dénoncées par des intellectuels et des centres culturels. En Israël aussi, les militants anti-occupation, même s’ils sont juifs, sont désignés à la vindicte populaire.
En France, cette campagne de délégitimation des personnalités et organisations qui soutiennent les Palestiniens est particulièrement âpre. Elle est véhiculée par l’autoproclamé Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui s’est mis à la disposition de la politique israélienne en frappant du sceau de l’antisémitisme quiconque émet la moindre critique. Le Crif a ses relais. Le député macroniste Sylvain Maillard a fait adopter une résolution reprenant la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (Ihra) sur l’antisémitisme. « Si, à première vue, la définition ne pose pas de problème en décrivant l’antisémitisme comme “une certaine perception des juifs qui peut s’exprimer par une haine à leur égard”, les exemples d’antisémitisme associés à cette définition sont fréquemment contestés : 7 des 11 exemples d’antisémitisme se concentrent sur les façons dont la critique d’Israël peut être antisémite », note le rapport de la plateforme. L’auteur principal de la définition de l’Ihra, Kenneth Stern, a, lui aussi, publiquement critiqué la façon dont cette définition est utilisée pour délégitimer la critique des politiques israéliennes.
La criminalisation de la campagne BDS en France
Finalement, les fameux exemples n’ont pas été raccrochés à la résolution Maillard, mais ils sont constamment évoqués. La criminalisation de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions en France, alors que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il ne s’agissait que de liberté d’expression, l’illustre parfaitement. L’interdiction de manifestations pour la Palestine en est une autre. Le débat devient totalement vicié. L’extrême droite française, héritière historique de l’antisémitisme de Maurras et de Pétain, serait exempte de tout reproche car elle soutient Tel-Aviv. Les conséquences de ces campagnes de délégitimation sont évidentes. Les associations se retrouvent à passer de plus en plus de temps à se défendre contre des accusations. Les paroles deviennent inaudibles et beaucoup hésitent à s’engager pour défendre le droit légitime des Palestiniens à avoir leur État voisin de celui d’Israël.
Quand l’occupation et la colonisation créent l’apartheid
L’association israélienne B’Tselem dénonce depuis longtemps le régime de ségrégation mis en place par Israël, de la Méditerranée au Jourdain.
Lorsque, au mois de janvier, B’Tselem (Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés), a rendu public son rapport, ça a été la stupeur. En tout cas pour ceux qui voulaient se voiler la face. Le titre était sans ambiguïté : « Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : c’est un apartheid ». C’est la conclusion après que ces enquêteurs ont passé des années sur le terrain pour cette association particulièrement respectée depuis sa création en 1989 et sa dénonciation de la torture par l’armée israélienne. « Les termes que nous avons utilisés ces dernières années pour décrire la situation – comme « occupation prolongée » ou « réalité à un État » – ne sont plus adéquats. Pour continuer à combattre efficacement les violations des droits humains, il est essentiel d’examiner et de définir le régime qui gouverne la région entière », écrivent les auteurs du rapport. Et d’expliquer : « Dans la région entière entre la Méditerranée et le Jourdain, le régime israélien applique des lois, des pratiques et une violence d’État conçues pour cimenter la suprématie d’un groupe – les juifs – sur un autre – les Palestiniens. »
L’espace doit donc être construit différemment pour chaque groupe. « L’espace géographique, qui est d’un seul tenant pour les juifs, est une mosaïque fragmentée pour les Palestiniens. » De la même façon, toute personne juive dans le monde a le droit d’immigrer et de recevoir la citoyenneté israélienne. En revanche, « les Palestiniens vivant dans d’autres pays ne peuvent immigrer vers la région située entre la Méditerranée et le Jourdain, même si eux-mêmes, leurs parents ou leurs grands-parents y sont nés et y ont vécu ». L’espace, c’est aussi la terre « utilisée pour développer et étendre les communautés juives existantes et en construire de nouvelles, alors que les Palestiniens sont dépossédés et regroupés dans de petites enclaves surpeuplées ». En 2018, le principe sous-jacent a été inscrit dans la Loi fondamentale :« Israël – État-nation du peuple juif », qui promeut « le développement des colonies juives » considéré comme « une valeur nationale ».
Pour B’Tselem, « un régime qui utilise lois, pratiques et violence organisée pour cimenter la suprématie d’un groupe sur un autre est un régime d’apartheid ». Et de conclure : « Il existe des chemins politiques variés vers un avenir juste, ici, entre le Jourdain et la Méditerranée, mais nous devons d’abord tous choisir de dire non à l’apartheid. »
Pierre Barbancey
L’Humanité du 14 octobre 2021
Source : Assawra
https://assawra.blogspot.com/…