Par Karine Bechet-Golovko
La question de l’immigration devient un enjeu politique majeur en Russie, divisant ici comme ailleurs, les forces politiques entre « progressistes » appelant à toujours plus d’immigrés, ici aussi présentés comme seule ressource de développement économique, et les forces conservatrices, qui soulignent l’augmentation de la criminalité et les risques civilisationnels. Rappelons que la Russie a soutenu le Pacte global pour la migration dès 2018. Les mêmes causes entraîneraient-elles, Ô surprise, les mêmes effets ?
La Russie est une nation multiethnique. Les termes ici sont importants. Une nation, car la population du pays partage une histoire, les mêmes symboles. Mais le pays comporte environ 160 ethnies différentes, il est multiethnique. Les Russes ethniques constituent, selon le recensement de 2002, 80% de la population et 6 autres ethnies comptent plus d’un million d’habitants : les Tatars (3,8%), les Ukrainiens (2%), les Bashkirs (1,1%), les Tchétchènes (0,9%) et les Arméniens (0,8%). La population totale en Russie est d’environ 146 millions d’habitants.
L’on pourrait penser qu’au regard de la diversité ethnique, la question de l’immigration ne pose aucune difficulté. Ce serait alors nier la dimension culturelle et civilisationnelle des populations. Il est vrai qu’historiquement, la Russie est liée aux populations d’Asie centrale, par exemple, puisqu’ils constituaient un même pays. Et il y aurait même certains enjeux géopolitiques à garder les frontières quasiment ouvertes avec ces pays, dont les peuples cherchent toujours vers Moscou la félicité économique qu’il ne trouve pas chez eux. L’on parle bien de félicité économique – c’est une immigration principalement économique, qui travaille à bas prix et avec très peu de qualification, qui n’a aucune exigence en matière de logement ou de sécurité sociale, souvent qui envoie une partie du salaire « au pays ». L’intérêt géopolitique devient très limité dans ce contexte, quant à la question de l’intégration culturelle, l’on est face à des gens qui maîtrisent désormais très peu la culture et la langue russe. Il s’agit d’une autre génération, en grande partie malheureusement, acculturée.
Or, la Russie a soutenu dès 2018 le Pacte global sur les migrations, estimant qu’il s’agit d’un bon « compromis », prenant en compte la dimension humanitaire, tout en permettant le contrôle de l’immigration légale.
Dès 2019, un sursaut dans la masse migratoire a été noté, surtout en provenance des pays de la CEI (+50%) et de l’Ukraine, sans que bien évidemment les « experts » n’aient pu (voulu ?) l’expliquer : l’augmentation sur le 1er trimestre 2019 dépasse les chiffres des 10 années précédentes, avec un bond de 20% d’arrivant, sans augmentation de départs. Sachant que l’immigration illégale est importante malgré un renforcement de la coopération avec les pays de la CEI et le ministère de l’Intérieur estime que 700 000 personnes au moins n’ont pas régularisé leur présence en Russie.
L’on trouve sur cette question la division idéologique classique entre progressistes et conservateurs. Les progressistes, comme le vice Premier ministre Marat Khusnulline, appellent d’urgence à faire venir au moins 5 millions d’immigrés d’ici 2024, évidemment pour relancer l’économie et compenser ainsi le déficit démographique, puisqu’il est bien connu que les hommes sont indifférenciés dans le monde global, sans racines ni culture, ils sont donc interchangeables à volonté. Dans la même logique, le maire de Moscou, Segueï Sobianine, espère au moins 200 000 immigrés de plus, car sans rire aucunement, il affirme que c’est le déficit d’immigrés qui a conduit à l’inflation …
Or, le ministère de l’Intérieur tire la sonnette d’alarme sur l’augmentation des violences quotidiennes commises par les immigrés, sur l’incivilité (pour dire les choses poliment), sur la détérioration de l’équilibre social avec des combats dans les rues, par exemple. Concrètement, le ministère note une augmentation de 5% de la criminalité avec l’augmentation de la population immigrée. La situation s’est tellement tendue, que le ministère de l’Intérieur demande l’expulsion des étrangers impliqués dans les actes de violence. Ainsi, dès le premier semestre 2021, le ministère a demandé l’expulsion de plus de 860 000 immigrés et 1,2 million de personnes attendent leur expulsion dans des lieux affectés à cet effet. Sans compter que près de 99 000 étrangers se sont vus refuser l’entrée dans le pays pour ce premier semestre.
Dans ce contexte, la popularité de l’immigration massive est très faible en Russie. L’on notera par exemple cette publication dans Tsargrad, média conservateur, qui à l’occasion d’un énième scandale lié à des agressions particulièrement violentes (en l’occurrence le viol et le meurtre d’une femme de 65 ans dans un village de la région de Moscou), revient les aspects sociaux et civilisationnels de ce phénomène. L’intérêt économique est critiqué, puisque les immigrés font baisser le marché du travail en travaillant à coût réduit, ne permettent pas de lutter contre le chômage de la population nationale, donc cette immigration de masse est présentée comme un facteur empêchant le relance économique, puisque le pouvoir d’achat baisse et que la masse de personnes non qualifiées augmente. De plus, les gens condamnent la mise en place d’un climat d’insécurité et demandent de plus en plus, dans les villes de petite et moyenne importance, le déplacement des logements collectifs d’immigrés, sous peine de se faire justice eux-mêmes. Sans oublier que ces cultures sont différentes et le fameux « vivre-ensemble » devient très compliqué dans certains endroits.
Les mêmes causes ne peuvent produire que les mêmes effets, la France le paie aujourd’hui assez cher. Il est important de comprendre que l’immigration de masse est un élément fondamental de la globalisation, car il permet de construire ce « global village », dans lequel les hommes n’ont qu’une individualité, qui n’est plus liée à leur pays, à leur nation. Ils sont donc interchangeables, mobiles, virevoltant en fonction du vent. Les pays et leur population ne peuvent y survivre, ils se noient et tombent dans ce magma informe global, où tout est identique, avec un faux folklore local en guise de « culture propre ». A ce niveau, il ne s’agit pas de « compromis », mais de « compromission » – et elle est toujours mauvaise.
Source : Russie politics
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