3 juillet 2021 – Des Palestiniens protestent à Ramallah, en Cisjordanie, contre l’assassinat de Nizar Banat, éminent militant de l’opposition, par l’Autorité palestinienne (AP) à Hébron deux semaines auparavant. Banat, critique acharné de l’AP qui l’a déjà détenu à plusieurs reprises, était connu pour avoir dénoncé la corruption de l’AP, la coordination répressive avec le colonialisme israélien, ainsi que pour avoir compromis les principes de la libération palestinienne. L’AP a été créée en 1993 après que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a reconnu la légitimité du colonialisme israélien dans certaines parties de la Palestine, reniant ainsi certains des principes fondamentaux de la propre charte de l’OLP, ainsi que le mouvement plus large de décolonisation palestinienne. Depuis lors, l’AP est régulièrement critiquée pour avoir nui à la cause palestinienne et pour avoir pris pour cible des militants anticolonialistes
Photo : Activestills

Par Yara Hawari

Les Palestiniens sont réprimés et brutalisés par leur propre gouvernement, en collaboration avec l’État israélien.

Le 24 juin, Nizar Banat, militant de longue date et critique sévère de l’Autorité palestinienne (AP), a été arrêté et battu devant le domicile de son cousin à Hébron par les forces de sécurité de l’autorité. Il est mort en détention peu après.

Dans des vidéos régulièrement enregistrées et publiées sur ses comptes de médias sociaux, Banat prenait souvent à partie l’Autorité palestinienne pour sa corruption, son manque de pratique démocratique et sa collaboration avec Israël.

Quelques jours avant sa mort, il avait mis en ligne une vidéo dans laquelle il accusait l’Autorité de vendre la lutte palestinienne.

Sans surprise, nous nombreux sont ceux qui ont estimé qu’il s’agit d’un assassinat politique, et des manifestations ont éclaté en Cisjordanie peu après l’annonce de la mort de Banat.

Le message des manifestants était clair : ils exigeaient que les responsables de la mort de Banat rendent des comptes et que justice soit rendue à sa famille.

Les responsables de l’Autorité palestinienne n’ayant pas fourni de réponses et aucune démission officielle n’ayant été annoncée, les protestations se sont transformées en un appel plus large à la chute du régime, faisant écho aux demandes des révolutions arabes qui ont débuté il y a plus de dix ans.

À Ramallah, la capitale officieuse de l’Autorité palestinienne, les manifestations se sont poursuivies tout au long du mois de juillet et ont donné lieu à une violente répression.

Les forces de police de l’Autorité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes pour disperser violemment les foules. Des policiers en civil ont harcelé et agressé des manifestants, en particulier des femmes.

Ils ont également procédé à des arrestations massives de militants, dont beaucoup sont des personnalités connues de la société civile.

Les manifestations se sont interrompues pendant quelques semaines – la répression ayant eu un effet dissuasif – mais à la fin du mois d’août, elles ont refait surface, tout comme la répression.

Des dizaines de personnes ont été arrêtées et détenues dans des cellules insalubres et surpeuplées, sans aucune considération pour les précautions face au Covid-19. Ces personnes auraient été maltraitées et interrogées pendant des heures sans être représentées par un avocat.

Les centres de détention et les prisons de l’AP sont également réputés pour la torture et ont fait l’objet de multiples rapports critiques sur les droits humains.

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Les charges retenues contre les détenus, dont beaucoup ont été abandonnées depuis, démontrent l’absurdité de ces arrestations. Un détenu est simplement accusé d’avoir brandi le drapeau palestinien. D’autres sont accusés d’infractions vagues telles que “l’incitation à la discorde sectaire” et “l’insulte aux autorités”.

De telles accusations ne sont pas rares. En 2013, un journaliste palestinien a été condamné à plus d’un an de prison pour avoir insulté le “président” palestinien, Mahmoud Abbas.

À la suite de ces dernières arrestations, des dizaines de groupes de la société civile palestinienne, dont al-Haq (la principale organisation palestinienne de défense des droits de l’homme), ont publié une déclaration mettant en garde contre le “grave déclin des droits et des libertés”.

Le comportement autoritaire de l’Autorité palestinienne n’est ni nouveau ni surprenant. Elle a été créée après les accords d’Oslo de 1993 en tant qu’organe provisoire chargé de gouverner la Cisjordanie et Gaza.

Depuis lors, son pouvoir et son autorité dans ces régions ont dépassé ceux de l’OLP – le représentant politique officiel du peuple palestinien aux Nations unies et ailleurs.

De nombreuses organisations locales et internationales ont dénoncé au fil des ans non seulement la répression des manifestations par l’AP, mais aussi l’absence de liberté d’expression en général et l’étouffement de la démocratie sur son territoire.

Le mandat démocratique des dirigeants de l’Autorité palestinienne a été dépassé de plus de dix ans, les dernières élections ayant eu lieu en 2005.

La situation de l’Autorité palestinienne est souvent présentée comme un problème palestinien interne, mais cela ne tient pas compte du fait que l’AP dépend du soutien international et qu’elle coordonne souvent ses actions les plus oppressives avec le régime israélien.

Cela signifie que ses abus ne sont pas seulement un problème interne, mais plutôt une partie du système global d’oppression.

L’Autorité palestinienne est loin d’être un gouvernement totalement indépendant. Elle est fortement tributaire des donateurs étrangers pour fonctionner. Et de nombreux États, dont le Royaume-Uni, fournissent des fonds et des programmes de formation aux forces de sécurité palestiniennes.

Pour ces États, l’Autorité est considérée comme un pilier essentiel du maintien de la stabilité globale en Cisjordanie occupée, même si cela implique la répression des protestations populaires.

Les accords d’Oslo stipulent que l’Autorité palestinienne doit collaborer avec les Israéliens dans le cadre d’une “paix sécurisée”. Cela signifie qu’elles sont tenues de travailler en totale coordination avec le régime israélien, par le biais de formations conjointes et d’un large partage de renseignements.

En effet, de nombreux détenus de l’AP au cours des dernières semaines ont également été incarcérés par le régime israélien, notamment le célèbre gréviste de la faim Khader Adnan et le chercheur Ubai Aboudi.

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L’AP facilite aussi souvent l’entrée de l’armée israélienne dans les zones qu’elle contrôle. Ce fut le cas en 2017, lorsqu’une unité des forces spéciales de l’armée israélienne a fait irruption au domicile du militant Basel al-Araj et l’a tué.

Al-Araj n’était pas seulement un militant qui luttait contre le régime israélien, il était aussi un critique féroce de l’Autorité palestinienne.

Cette coordination a clairement joué un rôle dans le meurtre de Banat également. Banat séjournait dans la zone “H2” d’Hébron, qui est restée sous contrôle sécuritaire israélien depuis l’accord de 1997 avec l’AP. Cette zone abrite 34 000 Palestiniens, 700 colons israéliens illégaux et près de 1500 soldats israéliens.

Pour que les forces de sécurité de l’AP (ou tout autre responsable palestinien) puissent pénétrer dans cette zone, elles doivent avoir l’autorisation totale de l’armée israélienne. En d’autres termes, l’AP aurait reçu l’autorisation des Israéliens de pénétrer dans la zone et de mener le raid qui a finalement tué Banat.

Ces liens étroits et cette collaboration entre l’AP et le régime israélien sont une histoire souvent passée sous silence dans les médias internationaux.

Certains Palestiniens pourraient prétendre qu’il n’est pas bon d’étaler son linge sale, tandis que les militants de la solidarité internationale et leurs alliés disent vouloir éviter de s’impliquer dans les questions palestiniennes “internes”.

Pourtant, alors que l’autorité recourt de plus en plus à l’autoritarisme, il est vital que nous comprenions que la répression de l’activité politique palestinienne fait partie intégrante de l’occupation israélienne.

En outre, cette répression est soutenue et encouragée par de nombreux acteurs de la communauté internationale.

L’Autorité palestinienne et le régime israélien dépendent l’un de l’autre, la première pour maintenir son emprise militarisée sur son propre peuple, et le second pour maintenir un peuple palestinien soumis et dépolitisé.

Il est clair, plus que jamais, que les Palestiniens ne seront jamais libérés de l’oppression israélienne sous la direction de l’Autorité palestinienne.

Auteur : Yara Hawari

* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d’Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l’Université d’Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire. En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l’histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera.

1er septembre 2021 – The Guardian – Traduction: Chronique de Palestine

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…