Par Régis de Castelnau

20 ans pour remplacer les talibans par les talibans

Comme on pouvait s’y attendre, la chute de Kaboul a provoqué des torrents de commentaires. Chacun, à partir de son lieu d’énonciation idéologique ou politique, y allant de ses explications et souvent de ses justifications. De façon très schématique il y a deux thèses en présence. Tout d’abord, disent les uns c’est une défaite militaire politique et symbolique considérable pour les États-Unis à l’égal de celle subie le 30 avril 1975 avec la débandade de Saïgon. Pas du tout disent les autres, c’est une installation du chaos calculée par les Américains afin de mettre en difficulté ses deux principaux « ennemis » la Russie et surtout la Chine, officiellement intronisée comme principal par Joë Biden dans son discours lunaire du 16 août dernier.

La première présentation est probablement la bonne, même si les commentateurs se gardent bien de pointer les vraies raisons, à savoir celles qui résultent de la sidérante incompétence politique et militaire d’une puissance impériale en recul. La défaite était prévisible depuis un certain temps, et Donald Trump, appliquant en cela ses promesses de campagne avait mis en œuvre un processus de retrait, qui avait débouché, après une négociation avec les talibans, sur les fameux accords de Doha. Des démocrates n’eurent de cesse de les remettre en cause ces accords et les violer. Histoire pour Joë Biden et ceux qui le manipulent de se démarquer de ce qu’avait fait son prédécesseur. Mais pour aboutir à l’invraisemblable et spectaculaire effondrement de la première quinzaine du mois d’août. Illustré par sa fameuse déclaration du 13, où l’homme le plus puissant et le mieux informé du monde assénait, 48 heures avant l’investissement de la capitale afghane : « Kaboul n’est pas, à l’heure actuelle, face à une menace imminente ». Quelques jours auparavant, il y avait eu l’évacuation de l’immense base américaine de Bagram, abandonnée brutalement et nuitamment, avec tous ses moyens techniques et militaires, sans que les autorités et l’armée afghanes soient prévenues ! Impossible de faire pire.

On peut gloser longtemps sur les causes de la catastrophe et surtout de l’échec de l’opération entreprise en 2001, sur le caractère arriéré de l’Afghanistan, sur le rôle de l’islam rigoriste. On peut aussi sourire face à l’argument selon lequel l’objectif de l’invasion était de se débarrasser de Ben Laden et qu’il a été atteint. Paraphraser Maximilien Robespierre expliquant en janvier 1792 : « La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. » Où s’en remettre au conseil de Norman Finkelstein : « Si vous vous trouvez nul, souvenez-vous qu’il a fallu 20 ans, des milliers de milliards de dollars et 4 présidents US pour remplacer les Talibans par des Talibans ». On y ajoutera des centaines de milliers de morts. On peut enfin se détendre un peu à la lecture de la prose de BHL notre tête de Turc inoxydable toujours sur le pont. Publiée dans le Monde le 20 décembre 2001 elle disait : « Les talibans n’ont pas été seulement vaincus. Ils ont été sans combattre. Ils l’ont été piteusement, sans même un baroud d’honneur.… Au premier coup de feu, ils ont détalé comme des poulets. Chacun a pu voir, de ses yeux voir, que le zèle fondamentaliste n’a rien pu contre les B52. Il a fallu se résoudre à l’idée là aussi, que les héros n’étaient que des matamores et que le mouvement de l’histoire n’allait pas nécessairement dans leur sens. » Bien vu !

D’un effondrement l’autre ?

Mais ne serait-il pas temps de s’interroger sur l’état de cette Amérique en réfléchissant à la spécificité des formes particulières qu’a pris cette défaite ? Comparaison n’est pas raison, et si sur le plan symbolique on peut penser à la chute de Saïgon, il y a sur le fond, des différences considérables. Le monde n’est pas le même, la guerre froide est terminée, l’URSS a disparu et la Chine s’est réveillée. En 1989 après s’y être enlisés pendant 10 ans les soviétiques avaient quitté en bon ordre l’Afghanistan. Deux ans plus tard, leur empire, héritier de celui des tsars, s’effondrait corps et biens. Serait-il si iconoclaste de se poser la question de savoir si les USA ne pourraient pas devenir un «URSS-1991 2.0 » ?

Comprenons-nous bien, il ne s’agit absolument pas de céder à on ne sait quelle inclination antiaméricaine, ou de se donner à bon compte des espoirs pour nourrir un tropisme politique anti-atlantiste, toujours vivant chez nous depuis le général de Gaulle. Les États-Unis sont et restent la première puissance économique politique et militaire du monde. Cependant, depuis quelques années ce pays est travaillé par des phénomènes qui semblent remettre en cause son unité et sa cohérence et de ce fait il traverse une crise politique assez sérieuse.

L’élection de Donald Trump, véritable leader populiste, à la présidence en 2016 a constitué une véritable surprise et révélé un pays profondément divisé. Les élites américaines ont vu avec horreur un provocateur imprévisible, soutenu par ceux des Américains qu’elles appellent elle-même les « déplorables » accéder au pouvoir suprême. Et dont le programme était clairement un recentrage sur le pays lui-même et l’abandon des guerres étrangères inutiles et coûteuses. Force est de constater que Donald Trump s’est trouvé confronté à des oppositions multiformes prenant parfois des formes impressionnantes. Le parti démocrate, ce que l’on appelle « l’État profond » et une grande partie du nouvel establishment économique n’ont pas ménagé leurs efforts, se livrant fréquemment à un véritable sabotage. On se rappellera le permanent procès en illégitimité du nouveau président, soutenu par de multiples procédures judiciaires qui se révélèrent toutes ineptes. L’élection de 2020 s’est déroulée dans un contexte de divisions politiques extrêmement sensibles en grande partie liées aux suites explosives de la mort de George Floyd. Mais aussi à cause d’une campagne électorale marquée par un énorme déséquilibre des organes d’information qui ont massivement combattu la candidature de Donald Trump. Par une procédure de primaire aussi truquée que celle de 2016 qui avait permis la candidature d’Hillary Clinton, le parti démocrate a porté son choix sur un vieux politicien impopulaire et ranci dont les facultés intellectuelles étaient sujettes à caution.

Le scrutin lui-même s’est déroulé dans une grande confusion, le camp Trump hurlant à la fraude et refusant de reconnaître la « victoire » de Joë Biden. Si l’on étudie d’assez près les conditions dans lesquelles il s’est déroulé, la réalité de cette fraude apparaît largement plausible. Rappelons deux choses, tout d’abord que dans le système américain, il ne s’agit pas d’une élection au suffrage universel mais d’un choix réalisé par les États. Ce qui fait que l’on peut être élu même si son score global sur l’ensemble de l’Union est inférieur à celui de son adversaire, comme cela s’est produit en 2016. C’est la raison pour laquelle les États où le vote est serré font l’objet de soins particuliers (swings states). Ce qui fait qu’à cette élection Donald Trump a été battu de 32 000 voix, celles qui lui auraient permis d’emporter lesdits États et disposer de la majorité des grands électeurs. Ensuite, les cours suprêmes saisies des contentieux électoraux n’ont pas jugé que les scrutins étaient exempts de fraude, mais se sont estimés incompétentes pour en juger. Conséquence, comme toutes les études d’opinion le démontrent, une majorité d’Américains considère que le scrutin a été truqué. Ce qui explique les événements 6 janvier 2021 et l’envahissement du Capitole par la foule. Permettant au nouveau président de dire que désormais le principal ennemi des États-Unis était intérieur à savoir le « suprématisme blanc » !

Dans les faits Joë Biden et Kamala Harris sont rapidement apparus comme les marionnettes d’un système profondément divisé où les luttes intestines sont multiples. Ils sont de plus mal entourés par des conseillers recrutés, moins pour leur compétence, que pour satisfaire les impératifs de « diversité » le président est flanqué de nullités dont Anthony Blinken secrétaire d’État aux affaires étrangères et Lloyd Austin chargé de la défense sont les plus tristes exemples. Comme l’ont montré la pantalonnade du sommet sino-américain ou la rencontre de Genève avec Vladimir Poutine.

 Les rapports du gouvernement fédéral avec un certain nombre d’états à direction républicaine, comme le Texas, sont absolument exécrables. Et on entend avec surprise nombre de politiciens pointer le risque de sécession.

L’armée américaine dont on vient de constater l’impuissance, traverse actuellement une crise très sérieuse. La stratégie diversitaire liée à un système militaro-industriel profondément corrompu, fait que cet outil est aujourd’hui techniquement inférieur à ceux de la Chine et surtout de la Russie pourtant 10 fois moins coûteux. La russo-phobie rabique de l’appareil politique américain jointe à la désignation de la Chine comme ennemi principal ont provoqué, comme il fallait s’y attendre, un rapprochement entre ces deux pays. Créant ainsi une situation géostratégique nécessairement inquiétante pour les élites américaines.

Une population très profondément divisée, une gouvernance faible, une administration travaillée par de multiples contradictions, des États tentés par la sécession, des adversaires russes et chinois qui n’entendent pas s’en laisser conter, une défaite militaire et politique majeure avec l’effondrement Afghan, la « république impériale » telle que la qualifiait Raymond Aron semble bien traverser une phase délicate.

Un effondrement à la soviétique est très improbable. Mais nous pouvons être confrontés à des soubresauts et des événements qui nous affecteraient, liés que nous sommes à la sphère atlantique.

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…