Le vice-président Joe Biden rencontre le capitaine Greg Huffman, commandant de l’USS John C. Stennis (CVN 74), sur le pont à bord de l’USS John C. Stennis, le septième supercarrier à propulsion nucléaire de classe Nimitz dans la marine des États-Unis, au cours L’exercice maritime Rim of the Pacific, le 14 juillet 2016. (US Navy Photo by Mass Communication Specialist 3rd Class Luke Moyer)
Par Mark Perry
L’administration se jette à corps perdu dans le renforcement de la triade nucléaire (aérien, terrestre et maritime) et une modernisation coûteuse – malgré les protestations au sein de son propre parti.
Source : Responsible Statecraft, Mark Perry
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Pour ceux qui s’attendaient à un changement significatif des priorités nationales dans le sillage de l’énorme augmentation des dépenses de défense au cours de la dernière administration – à hauteur de quelque 100 milliards de dollars sur quatre ans – le budget de la défense nationale pour l’exercice 2022 du président Biden est une grande déception.
L’administration Biden a soumis sa demande de budget pour l’exercice 2022 – avec un montant énorme de 752,9 milliards de dollars réservés à la défense nationale, dont 715 milliards sont destinés au Pentagone. Le financement proposé augmente en fait les dépenses de défense de quelque 11 milliards de dollars par rapport aux années Trump.
Mark Pocan, et Barbara Lee, membres du Congrès, ont qualifié le budget de défense de Biden « d’échec qui ne reflète pas les besoins réels de ce pays ». La déclaration conjointe Pocan-Lee, publiée vendredi dernier, a critiqué la proposition de Biden, soulignant que « l’augmentation des dépenses de défense » est à elle seule « 1,5 fois plus importante que le budget total de 8,7 milliards de dollars des Centers for Disease Control and Prevention (Centres sanitaires et de prévention, NdT). »
Les faucons de la défense, en revanche, ont été tout aussi francs dans leurs critiques, arguant que le budget de défense de Biden ne tient pas compte de l’inflation, ce qui signifie que, pour suivre le rythme, les dépenses du Pentagone devraient être augmentées de 3 à 5 % par an.
« La demande de budget de la défense du président Biden est totalement inadéquate – elle est loin d’être suffisante pour donner à nos militaires les ressources, les équipements et la formation dont ils ont besoin » ont déclaré dans un communiqué Jim Inhofe (R-Okla), membre de la commission des Forces armées du Sénat, et son homologue de la Chambre des représentants, Mike Rogers (R-Ala). « Il est malhonnête de qualifier cette demande d’augmentation car elle ne suit même pas l’inflation – c’est une réduction. »
Ces positions divergentes risquent d’être une source de discorde dans les semaines à venir, à mesure que le Congrès peaufine les détails de qui obtient quoi.
Le plus décevant pour les progressistes est le soutien apparent de l’administration Biden à la décision de l’administration Trump de dépenser beaucoup pour « moderniser » les forces nucléaires américaines – une décision qui pourrait coûter à la nation plus de 1,5 trillion de dollars sur les quinze prochaines années et jusqu’à 634 milliards de dollars sur les dix prochaines années, selon le Bureau du budget du Congrès. Les progressistes du Congrès décrivent ce montant comme une dépense totalement inutile et extravagante.
À titre d’exemple, le budget Biden reflète la décision de la Maison Blanche de doubler le montant que le pays consacrera au développement et au déploiement de la dissuasion stratégique basée au sol, qui passera de 1,4 à 2,6 milliards de dollars. Ces fonds ne tiennent pas compte des mises à niveau des installations de lancement et des laboratoires nucléaires, qui coûteraient des dizaines de milliards de plus. Le GBSD est destiné à remplacer le missile balistique intercontinental Minuteman III – l’ICBM – vieux de 50 ans [Le Ground Based Strategic Deterrent également connu par son acronyme GBSD est un missile balistique intercontinental américain à ogive nucléaire lancé depuis le sol qui doit remplacer les 450 Minuteman 3 à compter de 2027,NdT].
Si le chiffre de 2,6 milliards de dollars peut sembler modeste par rapport à l’ensemble des dépenses de défense, le GBSD sert de modèle au programme de modernisation nucléaire (qui représente 27,7 milliards de dollars dans le budget Biden), tout en engageant les États-Unis à maintenir la triade nucléaire – le tryptique de vecteurs d’armes nucléaires lancées par des missiles depuis la terre, la mer ou l’air. Au total, une mise à niveau du Minuteman III pourrait coûter plus de 264 milliards de dollars sur la période de son développement et de son déploiement. Par ailleurs, outre le financement du GBSD, de plus en plus controversé, le budget de la défense de Biden prévoit des dépenses pour un nouveau sous-marin de classe Columbia, la poursuite du développement et du déploiement du bombardier B-21 et une arme à distance de longue portée [L’arme à longue portée est un missile de croisière à propulsion nucléaire, en cours de développement, qui remplacera AGM-86 ALCM,NdT].
Dans les semaines qui ont précédé la publication du nouveau budget, les progressistes du Congrès et leurs alliés parmi les ONG anti-nucléaires se sont préparés à une bataille sur la modernisation nucléaire, en faisant valoir que les missiles nucléaires terrestres représentent la partie la plus déstabilisante de l’arsenal américain – et la partie de la triade la plus susceptible d’être lancée accidentellement. Ces défenseurs affirment que les dépenses pour le GBSD sont inutiles puisque le Minuteman III peut être régulièrement mis à niveau au cours des dix prochaines années sans pour autant reprendre les chiffres de restriction budgétaire proposés par l’administration Trump.
Cette réflexion va dans le sens d’une série d’options qu’on trouve détaillées dans une étude intéressante du Congressional Budget Office qui amènerait à réduire le nombre de systèmes de lancement et d’ogives nucléaires sur une période de dix ans – économisant des dizaines de milliards de dollars – mais sans pour antant amoindrir les capacités de dissuasion nucléaire.
La sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren est l’une des personnes susceptibles de mener la charge contre le programme de modernisation nucléaire, notamment en raison de l’attention qu’elle a portée à ce sujet lors des auditions de confirmation du Sénat, en février, pour la nomination du Dr Kathleen Hicks au poste de secrétaire adjointe à la Défense.
« Je sais que vous croyez en une dissuasion nucléaire sans risque, sécurisée et fiable, mais nous allons dépenser 44,5 milliards de dollars pour les armes nucléaires cette année, ce qui est plus que le budget total du département d’État et des opérations étrangères » a déclaré Warren à Hicks en février. « Allez-vous vous engager à ce que votre audit ne se réduise pas à une simple approbation automatique de notre stratégie nucléaire actuelle, mais à ce que vous examiniez et remettiez en question les hypothèses fondamentales qui la sous-tendent ? »
Hicks a assuré Warren qu’elle le ferait. « Absolument, sénatrice » a-t-elle répondu. Aujourd’hui, à la suite de l’approbation apparente par le président Biden d’une grande partie du programme de modernisation nucléaire de l’administration précédente, cette assurance est très incertaine, malgré le témoignage public du secrétaire à la Défense Austin, la semaine dernière, devant une audition de la sous-commission des crédits de la défense, selon lequel l’équipe Biden mènera sa propre révision dans les mois à venir.
Dans tout cela, on a le sentiment que la Maison-Blanche et le Pentagone tentent de minimiser à quel point le budget de la défense de l’administration Biden est similaire au plus récent budget de la défense proposé par Donald Trump. La stratégie a consisté à reporter à la dernière minute la publication du budget jusqu’en fin de journée, le vendredi précédant le Memorial Day (« Ce n’est pas un hasard » a déclaré un haut fonctionnaire du Pentagone à Responsible Statecraft). Il s’agissait d’une édulcoration délibérée de la somme allouée à la défense par rapport aux autres priorités de l’administration et de déclarations publiques lourdes qui soulignaient l’engagement de Biden en faveur de « l’innovation », des « catalyseurs de capacités avancées » et des « technologies de pointe » (comme la microélectronique, l’intelligence artificielle, l’hypersonique, l’apprentissage automatique, les réseaux 5G).
Il s’agissait d’un tour de passe-passe délibéré, bien que transparent, comme si l’équipe Biden ne s’engageait pas réellement à acheter des armes, mais plutôt à adopter une position « visionnaire » et « tournée vers l’avenir » comme l’a décrit le secrétaire à la Défense Lloyd Austin.
Peu de gens, semble-t-il, ont été dupes : « À une époque où les plus grands défis pour les vies humaines et les moyens de subsistance viennent de menaces telles que les pandémies et le changement climatique, maintenir les dépenses du Pentagone à plus de trois quarts de billion de dollars par an est à la fois une mauvaise conception de budget et une mauvaise politique de sécurité » a déclaré William Hartung, du Center for International Policy. Les critiques portées par Hartung trouveront un écho dans les semaines à venir, alors que le budget de la défense de Biden devient une préoccupation croissante pour un Congrès très divisé.
Si les attaques de la gauche et de la droite ne manquent pas, la réticence apparente de l’administration Biden à s’attaquer au lobby des armes nucléaires sera probablement le point le plus litigieux pour les deux parties. Il s’agira du premier round d’un donnybrook au Congrès [Donnybrook, un tournoi de combat à poings nus qui se déroule dans les forêts de l’Indiana, NdT] sur la question de savoir si les États-Unis sont protégés par l’achat, la construction et la mise en service d’un plus grand nombre d’armes nucléaires – ou s’ils courent un risque croissant.
Source : Responsible Statecraft, Mark Perry, 01-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : Les Crises
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