Par Régis de Castelnau
On entend ici et là qu’Albin-Michel aurait refusé de publier le prochain livre de Zemmour, exerçant à cette occasion, une discrimination et une censure politique. A priori, il semble que cela ne soit pas le cas. En effet, Éric Zemmour est victime de la double casquette qui est aujourd’hui la sienne : journaliste essayiste à succès, et candidat à l’élection présidentielle. Du fait de l’organisation des campagnes électorales dans notre pays, il est difficile d’aspirer au beurre et à l’argent du beurre, et encore moins au sourire de la crémière.
Nous n’avons aucune information sur les rapports contractuels qui peuvent exister entre la maison Albin-Michel dont Éric Zemmour est un des auteurs essayistes. Mais on a cru comprendre que celui-ci avait rédigé un nouvel ouvrage et entendait le publier cet automne.
Le problème posé à l’éditeur est à notre sens lié aux règles très strictes qui organisent depuis la loi de 1990 les campagnes électorales et dont les six semaines du procès Bygmalion ont permis de mieux comprendre les arcanes.
Quoiqu’il en dise, Éric Zemmour est manifestement pour l’instant candidat à l’élection présidentielle de 2022. Il ne l’a pas dit explicitement, mais il existe déjà des structures qui se préparent, des campagnes d’affichage sont organisées, la presse en fait des gorges chaudes en en dévoilant les détails. Éric Zemmour lui-même a transformé son émission de 19 heures sur Cnews en meeting électoral quotidien.
Et surtout il n’a personnellement jamais démenti, ce qui est plus qu’un secret de polichinelle.
Albin-Michel qui avait probablement un contrat d’auteur avec un essayiste, se retrouve avec un document de propagande électorale signée par un candidat à l’élection la plus importante. Ses marges de manœuvre se trouvent de ce fait très réduites. La communication électorale dans les neuf mois qui précèdent l’élection présidentielle est strictement encadrée. Le financement de cette campagne également. Albin-Michel ne peut donc pas engager des dépenses de communication pour la promotion de l’ouvrage qui pourraient être considérées comme contribuant à la campagne et représenterait alors des dépenses interdites aux personnes morales. Interdiction qui constitue une infraction pénale. Le fait qu’Emmanuel Macron ait fait l’objet de toute la mansuétude possible des organes de contrôle, malgré des lourds soupçons d’irrégularités grossières, ne saurait constituer un précédent sur lequel s’appuyer. Ce traitement lui est un privilège personnel…
Par ailleurs Éric Zemmour lui-même pourra voir les frais d’édition du livre comptabilisés dans son compte de campagne si son ouvrage s’apparente à de la propagande électorale. Ce qui est plus que probable.
Certes, chaque élection voit la publication dans l’année précédente d’une rafale d’ouvrages sans intérêt et en général peu lus.
Le conseil constitutionnel avait souhaité que les livres des candidats publiés en vue de leur élection soient édités à compte d’auteur : le mandataire financier engagerait les dépenses d’édition de l’ouvrage et en encaisserait les recettes, ces dépenses et ces recettes seraient imputées au compte de campagne pour leur montant brut. Cette préconisation qui n’a pas été scrupuleusement respectée aurait permis de respecter l’interdiction législative de financement par une personne morale. La jurisprudence a été plus pragmatique, d’abord en détaillant le contenu de l’ouvrage publié pour identifier ce qui relevait de la propagande électorale, ensuite en épluchant les dépenses et les frais des promotions pour vérifier « s’ils n’excèdent pas par leur nature et par leur ampleur les dépenses pour la promotion habituelle d’ouvrages de même nature. » Bon courage !
Il est bien évident qu’éditer un candidat en période électorale constitue un risque pour l’éditeur. Et il est parfaitement possible qu’Albin-Michel n’ait pas souhaité le prendre. Y voir une décision visant à la censure pour motif d’opinions semble en la circonstance peu plausible.
D’ailleurs, les fausses ambiguïtés entretenues autour de cette candidature vont confronter aussi la direction de Cnews à un choix cornélien. Une émission quotidienne d’un journaliste essayiste pour commenter l’actualité, pas de problème. La même émission dirigée animée par un candidat à l’élection présidentielle, très gros problème. Pour respecter la légalité, direction de la chaîne serait contrainte de supprimer son émission locomotive. À très brève échéance.
Journaliste essayiste multicartes, ou homme politique en période électorale et candidat, il faut choisir.
Source : Vu de Droit
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