Un laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan [Crédit: Chinatopix via AP].
Déclaration du comité de rédaction international
du «World Socialist Web Site»
Durant cette dernière semaine, la presse écrite et audiovisuelle américaine, l’administration Biden et les agences de renseignement américaines ont lancé une furieuse campagne de propagande visant à ressusciter le récit selon lequel le COVID-19 proviendrait d’un laboratoire chinois.
Ce mensonge défie des preuves scientifiques accablantes et les conclusions d’une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiée fin mars. Il restera dans les annales comme l’un des plus grands mensonges de l’histoire de l’humanité. Une contre-vérité colossale éclipsant même les affirmations mensongères du gouvernement Bush sur les «armes de destruction massive» de l’Irak.
L’affirmation que le virus proviendrait d’un laboratoire chinois n’a aucun fondement factuel ou scientifique. À ce jour, la seule preuve présentée par la Maison-Blanche, les agences de renseignement et les médias pour étayer leur affirmation est que des employés de l’Institut de virologie de Wuhan sont tombés malades fin 2020 avec des symptômes qu’un rapport du Département d’État reconnait être «cohérents avec… des maladies saisonnières communes».
Le gouvernement Trump avait déjà cité les maladies de l’institut de Wuhan pour affirmer que la Chine était responsable de la propagation délibérée de la pandémie et d’utiliser un «virus comme arme» pour infliger la mort en masse aux populations du monde entier. Une accusation maintenant reprise par de grands médias et légitimée par le gouvernement Biden.
Jeudi, le directeur du renseignement national américain a écrit que la «communauté du renseignement» s’était «ralliée à deux scénarios probables: soit il avait émergé naturellement du contact humain avec des animaux infectés, soit il s’agissait d’un accident de laboratoire.» Si le COVID-19 n’avait pas «émergé naturellement», la maladie avait été créée, comme l’a affirmé le département d’État de Trump en janvier, par l’ingénierie biologique.
Comme l’a clairement montré l’enquête de l’OMS sur les origines du COVID-19, d’innombrables virus similaires au COVID-19 ont été identifiés chez les chauves-souris, dont un, RaTG13, qui est similaire à 96,2 pour cent au Sars-COV-2, le virus qui cause le COVID-19. Le Sars-COV-1 est un coronavirus issu des chauves-souris qui a provoqué l’épidémie de SRAS de 2003-2004.
Pour que l’affirmation que le COVID-19 est une création du génie biologique fût du tout crédible, il aurait fallu que quelque part la maladie ou ses origines ne concordent pas avec d’autres virus d’origine naturelle. Mais il n’y a rien qui l’indique. Comme le déclare le rapport de l’OMS sur les origines de la maladie, la «bio-ingénierie délibérée» du COVID-19 a été «exclue… suite aux analyses du génome».
La promotion de la théorie d’une origine du virus en laboratoire est déterminée par des conditions politiques et des intérêts sociaux, motivée par deux objectifs interdépendants.
Premièrement, elle vise à détourner l’attention des actions des États-Unis et d’autres gouvernements qui ont mis en œuvre des politiques ayant conduit à une mort à grande échelle. Lorsque le public commencera à se remettre de l’énorme choc de la pandémie, il exigera des explications sur les raisons de la mort d’un si grand nombre de gens et demandera des comptes aux responsables.
Dès le début, les gouvernements de toutes les grandes puissances capitalistes ont subordonné leur réponse à la pandémie aux profits des grandes sociétés, à la cupidité des oligarques capitalistes et aux objectifs géopolitiques de l’impérialisme. Les mesures que tous les scientifiques et épidémiologistes jugeaient nécessaires – comme l’arrêt de la production non essentielle, avec aide financière à tous qui étaient affectés – ont été rejetées parce qu’elles menaçaient de saper les marchés financiers et les intérêts des riches.
La conséquence directe fut la mort de plus de trois millions de personnes dans le monde, selon les chiffres officiels, dont plus de 600.000 pour les seuls États-Unis.
La semaine dernière, le témoignage de Dominic Cummings, l’ancien conseiller du gouvernement britannique de Boris Johnson, a clairement montré que celui-ci avait mené une stratégie d’«immunité collective», ses conseillers préconisant la tenue de «fêtes de la varicelle» pour propager la maladie dans le public. Le gouvernement avait calculé que cette politique entraînerait la mort de pas moins de 800.000 personnes.
Au Brésil, les enquêtes du Sénat sur la pandémie ont également démontré que le gouvernement de Jair Bolsonaro avait délibérément mené une politique visant à laisser le virus se propager sans retenue, et prévoyait un nombre de morts pouvant atteindre 1,4 million (il est actuellement de 450.000).
Aux États-Unis, après de premières restrictions partielles mises en œuvre en mars 2020 suite à une poussée d’agitation sociale, le gouvernement Trump conduisit la campagne pour faire retourner les travailleurs au travail sous le slogan «le remède ne peut être pire que la maladie». Si c’est Trump qui a formulé cette politique meurtrière le plus clairement, celle-ci a reçu le soutien des médias et elle a été appliquée par les gouvernements des États dirigés tant par les républicains que par les démocrates.
Les dirigeants des gouvernements capitalistes ont du sang sur les mains et cherchent un bouc émissaire: la Chine.
Deuxièmement, le mensonge du ‘labo de Wuhan’ vise à attiser la haine nationaliste en soutien à l’objectif stratégique central du gouvernement Biden: la préparation d’un conflit économique, et potentiellement militaire, avec la Chine.
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement Biden déclare que les États-Unis se trouvent à un «point d’inflexion» et qu’ils doivent mener une lutte pour «gagner le XXIe siècle» contre la Chine. Les médias américains ont tenté, sans succès, d’intéresser le public à l’affirmation, stimulée par les agences de renseignement, que la Chine se livre à un génocide contre sa population musulmane ouïgoure. Mais cette campagne n’a pas jusqu’à présent eu l’effet escompté.
Il est donc nécessaire de concocter un mensonge bien plus viscéral et dangereux, à savoir que la Chine est responsable d’une pandémie mortelle ayant tué une personne parmi ceux connus de chaque Américain.
Le précédent le plus direct pour la promotion du mensonge du ‘labo de Wuhan’ est l’affirmation fabriquée par le gouvernement Bush que l’Irak cachait des «armes de destruction massive», qui servit de prétexte à l’invasion de l’Irak. La méthode est exactement la même. Des constations d’agences de renseignement américaines formulées de façon ambiguë, relayées par des «sources anonymes» dans les médias, accompagnées de déclarations carrément fausses de responsables gouvernementaux, servirent de prétexte à une guerre qui a tué plus d’un million de personnes.
La structure et les méthodes de la théorie du ‘labo de Wuhan’ sont très similaires à d’autres théories complotistes promues à des fins politiques, et que les propagandistes de Washington et d’autres capitales mondiales connaissent très bien. En décembre 2017, le New York Times publiait un article intitulé «Les empreintes digitales de la désinformation russe: du sida aux Fake News», qui affirmait que les agences de renseignement soviétiques et est-allemandes avaient fabriqué une théorie complotiste sur les origines du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) produisant le sida.
«Appelée Opération Infektion par les services de renseignement étrangers est-allemands», écrivait le Times, «la campagne de désinformation des années 1980 a donné naissance à une théorie du complot selon laquelle le virus responsable du sida était le produit d’expériences sur des armes biologiques, menées par les États-Unis».
En 1985, un document interne du KGB indiquait que cette agence de renseignement soviétique cherchait à répandre l’idée «que cette maladie est le résultat d’expériences secrètes menées par les services secrets américains et le Pentagone sur de nouveaux types d’armes biologiques ayant échappé à tout contrôle.» Le KGB fit publier dans un journal indien un article intitulé «Le SIDA pourrait envahir l’Inde: maladie mystérieuse causée par des expériences américaines», affirmant que la maladie provenait d’un laboratoire militaire américain situé à Fort Detrick, dans le Maryland.
À la suite de cette campagne de désinformation, une étude réalisée en 2005 par la RAND Corporation et l’Oregon State University avait révélé que près de 50 pour cent des Afro-Américains pensaient que le sida était d’origine humaine. La prévalence de cette théorie complotiste dans le monde a rendu plus difficile le lancement d’une réponse scientifique à l’épidémie de sida, y compris en Union soviétique.
Le Times cite l’historien Thomas Boghardt pour expliquer cette technique de désinformation: «Jetez suffisamment de saletés et certaines resteront».
Le Times, le Washington Post et les autres grands médias, et le gouvernement Biden, utilisent cette technique pour répandre le mensonge du ‘labo de Wuhan’. Alors que l’article du Times visait à promouvoir le récit «fausses nouvelles» d‘une «ingérence russe», le fait est que la classe dirigeante américaine est maintenant le plus grand propagateur de «fausses nouvelles».
La légitimation du mensonge du ‘labo de Wuhan’ aura des conséquences politiques incalculables aux États-Unis. Si l’affirmation du «virus comme arme» promue par l’extrême droite est désormais légitime, qu’en est-il des autres mensonges et conspirations promus par le gouvernement Trump: l’affirmation «birther» de Trump, qu’Obama n’était pas un citoyen américain ; la théorie complotiste du «pizzagate» selon laquelle des agents haut placés du Parti démocrate participaient à un réseau de prostitution infantile ; et surtout l’affirmation que l’élection de 2020 a été volée, qui sous-tend l’insurrection fasciste du 6 janvier.
Il est significatif que les médias saluent maintenant le fasciste «sophistiqué» Tom Cotton, sénateur de l’Arkansas, comme une voix importante du «débat» sur les origines du coronavirus. Les «livres d’histoire récompenseront» Cotton pour avoir promu la théorie du labo de Wuhan, a déclaré le principal vérificateur des faits au Washington Post, Glenn Kessler.
Cotton est l’auteur d’un tristement célèbre éditorial en juillet 2020, appelant Trump à «envoyer les troupes» pour réprimer les manifestations de masse contre les violences policières. Il est l’un des principaux partisans du mensonge que Donald Trump aurait remporté l’élection présidentielle de 2020, et s’est opposé à la certification des votes électoraux le 6 janvier, en coordination avec la horde qui a assailli le Capitole.
Aux États-Unis mêmes, ce mensonge aura pour effet de délégitimer l’opposition populaire et de préparer le terrain à une censure massive, tous ceux qui critiquent la politique du gouvernement étant dépeints comme des agents de la Chine. Déjà, un article du «World Socialist Web Site» qui dénonçait la promotion par le Washington Post de la théorie du Labo de Wuhan a été censurée pendant deux mois par Facebook, entraînant la suspension des comptes de ceux qui tentaient de le partager. Facebook, quant à lui, a annoncé ne plus vouloir limiter les ‘posts’ promouvant la théorie d’une fabrication du virus dans un laboratoire chinois.
Une fois que ce mensonge entrera dans le système sanguin politique de l’Amérique, il aura des effets toxiques et incontrôlables. Il déclenchera des chasses aux sorcières, des menaces et intimidations violentes à l’encontre des scientifiques et de tous ceux qui appellent à une réponse scientifique à la pandémie en train de sévir. Il existe déjà une montée des incidents de violence anti-asiatique.
Le gouvernement chinois, quant à lui, ne peut qu’interpréter la promotion de ce mensonge comme une préparation à la guerre ; et est en train de répondre à Biden de manière a rendre l’escalade plus probable, créant un cycle meurtrier de militarisation. Un conflit militaire entre les États-Unis et la Chine – les deux plus grandes économies et armées du monde – aurait des conséquences catastrophiques pour toute l’humanité.
Le «World Socialist Web Site» appelle tous les travailleurs, scientifiques et intellectuels à s’opposer au mensonge colossal propagé par le gouvernement et les médias américains. Les scientifiques ont le devoir d’éduquer le public et de s’opposer à la perversion xénophobe de la science. Les journalistes doivent enquêter sérieusement et dénoncer les efforts déployés pour promouvoir et répandre ce mensonge.
Les travailleurs doivent contrer ce mensonge des oligarques capitalistes en exigeant une véritable reddition de comptes. Ceux responsables de la politique de l’«immunité collective», et les dirigeants des sociétés qui en ont profité, doivent être obligés à rendre des comptes.
Nous appelons les travailleurs à rejeter les efforts des classes dirigeantes pour faire porter à la Chine la responsabilité des crimes du capitalisme américain. Si les travailleurs veulent arrêter la pandémie qui a tué tant de gens, ils doivent rejeter les tentatives des capitalistes d’inciter à la haine nationaliste, à l’ignorance et à la violence et mener la lutte pour l’union de la classe ouvrière mondiale sur la base d’une perspective socialiste.
(Article paru d’abord en anglais le 29 mai 2021)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…