Vendredi 14 mai 2021 – Les avions de combat israéliens continuent de pilonner la bande de Gaza. Au moins 140 Palestiniens, dont 40 enfants, ont été tués par les frappes aériennes israéliennes. Sept Israéliens, dont un enfant, ont été tués par des roquettes tirées par des mouvements de résistance palestiniens en réponse aux actions israéliennes contre des Palestiniens à Jérusalem, en Cisjordanie et en Palestine en 1948 – Photo : Mohammed Zaanoun/Activestills.org

Par Omar Zahzah

Les propriétaires des médias sociaux, de Zoom à Facebook et Twitter, aident les Israéliens à interdire toute expression palestinienne sur les réseaux sociaux.

En 1984, l’intellectuel américain d’origine palestinienne Edward Said, professeur à l’université Columbia, a affirmé que les Palestiniens n’avaient pas la “permission de s’exprimer”.

Plus de 30 ans plus tard, en 2020, Maha Nassar, professeure associée palestino-américaine à l’université d’Arizona, a analysé les articles d’opinion publiés dans deux quotidiens – le New York Times et le Washington Post – et deux hebdomadaires d’information – The New Republic et The Nation – sur une période de 50 ans, de 1970 à 2019. Sans surprise, elle a constaté que “les comités de rédaction et les chroniqueurs semblent s’être énormément intéressés aux Palestiniens, mais souvent de manière condescendante, voire raciste, et sans prendre la peine de consulter sérieusement les Palestiniens eux-mêmes.”

Les recherches de Nassar, comme beaucoup d’autres, montrent clairement que plus de trois décennies après la publication de l’essai historique de Said, l’exclusion des voix palestiniennes des récits des grands médias occidentaux se poursuit sans relâche, de même que les efforts pour effacer l’existence des Palestiniens ou blanchir les crimes d’Israël.

C’est bien triste, mais la situation s’est même détériorée, depuis que Said l’a mise en lumière.

Ces dernières années, les médias sociaux étaient devenus une bouée de sauvetage pour ceux qui souhaitaient sensibiliser le public à des causes et à des luttes ignorées ou décrédibilisées par les grands médias.

Mais, les entreprises technologiques s’emploient désormais activement à exclure les voix palestiniennes de leurs plateformes, étendant ainsi aux médias sociaux l’entreprise d’éradication calculée des voix palestiniennes.

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En avril, par exemple, Zoom, Facebook et Youtube ont bloqué l’événement universitaire en ligne “Quelles narratives ? Quelle liberté d’expression pour la Palestine ?”, coparrainé par le programme d’études sur les ethnies et les diasporas arabes et musulmanes (AMED) de l’université d’État de San Francisco, le Council of UC Faculty Associations (CUFCA) et l’University of California Humanities Research Institute (UCHRI).

Des militants anti-apartheid du monde entier étaient invités à participer à l’évènement, notamment Leila Khaled, icône de la résistance palestinienne, et Ronnie Kasrils, ancien chef militaire de l’ANC en Afrique du Sud.

Cet événement était en fait la reprogrammation d’une Classe ouverte* co-organisée par le Dr Rabab Ibrahim Abudulhadi (études AMED) et le Dr Tomomi Kinukawa (études sur les femmes et le genre) de l’université d’État de San Francisco que Zoom qui avait initialement censurée en septembre 2020. À l’époque, comme aujourd’hui, Zoom et d’autres médias sociaux avaient décidé de bloquer l’événement en raison de la participation programmée de Leila Khaled.

Ils avaient indiqué que, puisque Khaled est affiliée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une “organisation terroriste désignée par les États-Unis”, autoriser la tenue de l’événement serait une violation des lois américaines interdisant le soutien matériel au terrorisme.

Comme l’ont affirmé à plusieurs reprises de nombreux experts juridiques, l’argument avancé par les sociétés de médias sociaux est sans fondement. Non seulement il méconnait les précédents juridiques pertinents et allègue à tort des violations du droit américain, mais il constitue également une attaque contre les libertés académiques.

En effet, dans une lettre ouverte aux dirigeants de Zoom publiée en octobre de l’année dernière, des experts de Palestine Legal et d’autres organisations juridiques ont souligné que la censure de l’événement AMED par Zoom constitue “une attaque dangereuse contre la liberté d’expression et la liberté académique et un détournement du contrat qui vous lie à nos systèmes universitaires publics”. Ils ont ajouté : “Le statut de service public essentiel de Zoom ne vous donne pas un droit de veto sur les sujets abordés dans les salles de classe du pays ni dans les événements publics nationaux “.

Ces avertissements sont toutefois restés lettre morte, Zoom et d’autres sociétés de médias sociaux ont complètement ignoré les critiques croissantes à l’égard de leurs politiques biaisées et ont au contraire intensifié leurs efforts pour supprimer la narrative palestinienne de leurs plateformes.

En avril, après que Zoom a refusé, pour la deuxième fois, d’accueillir l’événement “Quelles narratives ?” suite aux pressions exercées par une application du gouvernement israélien et plusieurs organisations sionistes de droite, Facebook a non seulement retiré les annonces de l’événement, mais a également supprimé l’intégralité de la page du programme d’études AMED de sa plateforme, effaçant de ce fait toutes les archives, constituées d’innombrables discussions, débats et documents sur la lutte de libération palestinienne et sa relation avec les mouvements pour la liberté du monde entier.

Ces documents étaient partagés et stockés sur Facebook pour que les universitaires, les militants, les organisateurs et la communauté dans son ensemble puissent les consulter gratuitement et sans restriction.

Après les tentatives répétées de Zoom d’arbitrer sur ce qui est ou n’est pas un discours acceptable dans le milieu universitaire, la suppression par Facebook de la page AMED a clairement révélé le modus operandi de Big Tech lorsqu’il s’agit d’Israël-Palestine : censurer le matériel lié à la lutte palestinienne à la demande d’Israël, et ignorer toute critique de ces actions illégales et injustes.

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Israël et ses alliés ne se contentent pas seulement de faire pression sur Big Tech depuis l’extérieur, pour faire taire les Palestiniens. L’ancien directeur général du ministère israélien de la justice, Emi Palmor siège dans le conseil de surveillance de Facebook, un organe indépendant chargé de délibérer sur les décisions relatives au contenu de la plateforme. Dans le passé, Palmor a personnellement dirigé l’unité cybernétique d’Israël, qui a réussi à obtenir, par des pressions, le retrait de milliers de contenus palestiniens de Facebook.

Il est certain que la présence de Palmor au sein du conseil de surveillance contribue aux actions anti-palestiniennes de Facebook, mais la censure systématique des voix palestiniennes par Big Tech ne peut être imputée uniquement à la présence d’acteurs ouvertement pro-israéliens dans ses organes de direction.

Dès leur création, les entreprises de médias sociaux se sont rapprochées et alignées sur les centres de pouvoir des structures capitalistes et impérialistes américaines. Elles se sont même associées au ministère américain de la Défense, qui coordonne la surveillance et l’analyse des Big data. Le problème n’est donc pas seulement que quelques puissantes voix pro-israéliennes cooptent les entreprises de médias sociaux pour faire taire la dissidence, en fait l’industrie toute entière est pourrie jusqu’à la moelle.

N’oublions pas la manière dont les cadres et les employés de Big Tech ont orchestré l’énorme expropriation de terres et la gentrification de la baie de San Francisco, en chassant des milliers de pauvres et de personnes de couleur de la classe ouvrière.

La page Facebook des études AMED n’a pas été restaurée.

Mais ce n’est pas tout. Comme les organisateurs de l’événement l’ont également indiqué, le problème n’est pas seulement la censure de Big Tech : après la censure de l’événement AMED, les responsables universitaires ont non seulement refusé d’offrir des plateformes alternatives pour permettre à l’événement de se tenir mais ils ont multiplié les messages et les émissions hostiles pour le délégitimer.

Les universités sont loin d’être des arbitres neutres dans cette affaire : en cédant au monopole des entreprises technologiques sur les offres pédagogiques à distance et en normalisant la rhétorique anti-palestinienne, elles sont complices de la disparition de la Palestine et des Palestiniens dans les programmes d’enseignement.

Et la répression des voix palestiniennes sur les médias sociaux s’étend bien au-delà du milieu universitaire. Ces derniers jours, de nombreuses personnes documentant la violence des colons et de l’État israéliens contre des familles palestiniennes dans le quartier occupé de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est ont signalé que Facebook, Twitter et Instagram (propriété de Facebook) avaient “systématiquement censuré” leurs contenus.

En ce moment, en effet, dans une énième opération d’épuration ethnique de la Palestine par Israël, les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah doivent faire face à une expulsion forcée imminente de leurs maisons et à une répression féroce. C’est une opération autorisée et exécutée par tous les niveaux de l’État israélien.

Vendredi dernier, plus de 200 personnes ont été blessées lorsque la police israélienne a tiré des balles en caoutchouc et lancé des grenades assourdissantes sur des Palestiniens dans la mosquée Al-Aqsa.

Les forces israéliennes ont tenté d’empêcher les médecins de soigner les blessés et au moins trois Palestiniens ont perdu un œil à la suite de cette attaque. Lundi, les forces d’occupation israéliennes ont à nouveau tiré des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes sur les Palestiniens rassemblés à Al-Aqsa pour prier et protéger le site des attaques des colons ; des reporters, des journalistes et des médecins figurent parmi les blessés.

Dans sa énième opération de punition collective, Israël a entamé lundi soir une campagne de bombardements impitoyable dans la bande de Gaz et réduit en cendres des infrastructures civiles et des bureaux de presse. Le bilan actuel est estimé à au moins 65 morts, dont 16 enfants, et 365 blessés, selon le ministère de la santé de Gaza.

Mercredi soir, la violence des colons et de la police à l’encontre des Palestiniens dans la ville de Lydd (également connue sous le nom de Lod) a atteint un sommet lorsque des centaines d’Israéliens ont pris d’assaut la ville et attaqué des manifestants palestiniens qui protestaient contre le meurtre d’un Palestinien de 33 ans, Musa Hassouna.

Les forces frontalières israéliennes ont finalement été transférées à Lydd depuis la Cisjordanie. En outre, des Israéliens fascistes ont participé à une tentative de lynchage d’un Palestinien à Bat Yam. Ils l’ont forcé à sortir de sa voiture et l’ont battu jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

La Cour suprême israélienne a depuis retardé de 30 jours les expulsions forcées de Sheikh Jarrah, mais, pour les militants il s’agit d’une manœuvre tactique pour briser l’élan du soutien aux résidents de Sheikh Jarrah.

Lors d’une récente interview sur CNN, Mohamed El-Kurd, poète et militant palestinien de Sheikh Jarrah, a puissamment inversé la logique de la vieille rengaine médiatique selon laquelle les Palestiniens seraient intrinsèquement “violents”, en renvoyant au journaliste sa propre question : “Soutenez-vous la dépossession violente de ma famille et de moi-même?” Comme d’habitude, les grands médias américains tentent de dissimuler la nature asymétrique de l’agression israélienne en qualifiant les nouvelles attaques israéliennes d’”affrontements” ou de “conflit”.

Les efforts continus des grands médias pour blanchir l’occupation meurtrière d’Israël et pour dissimuler la violence croissante déployée actuellement par l’État hébreu pour expulser de force des Palestiniens de Sheikh Jarrah et réprimer les Palestiniens qui les soutiennent, rendent l’accès sans restriction aux médias sociaux particulièrement crucial pour les Palestiniens et leurs alliés.

Mais au lieu d’offrir une plateforme à la résistance légitime des Palestiniens contre la violence de la répression et des expropriations, les entreprises de médias sociaux favorisent les intérêts et l’agenda du gouvernement qui les attaque.

Ce dernier cycle de censure par les médias sociaux des posts palestiniens sur Sheikh Jarrah s’inscrit dans un schéma de répression plus large qui s’appuie sur la complicité de longue date et bien documentée entre Israël et les entreprises de médias sociaux dans la régulation et la censure du contenu et des comptes palestiniens. Instagram a officiellement attribué ces dernières suppressions à un “problème technique global”.

De même, Twitter a affirmé que la restriction du compte de l’écrivain palestinien Mariam Barghouti, qui a ensuite été rétabli à la suite d’un énorme tollé sur les médias sociaux, était un “accident”. Les activistes et les organisations de surveillance ont mis en doute ces explications, étant donné la nature ciblée des suppressions et des censures.

Des décennies après la critique d’Edward Said sur le refus absolu des médias américains de laisser les Palestiniens raconter leur propre histoire, les voix qui soutiennent la lutte de libération palestinienne sont réduites au silence non seulement par les organisations de médias grand public mais aussi par les entreprises de médias sociaux.

Mais nous ne devons pas céder. Malgré les efforts déployés par les entreprises de médias sociaux et les organisations médiatiques pour réduire les Palestiniens au silence, ceux qui croient vraiment en l’égalité, la justice et la liberté doivent continuer à soutenir et à amplifier les appels à sauver Sheikh Jarrah, à arrêter l’expansion des colonies israéliennes illégales, à mettre fin à tout financement militaire d’Israël, et à mettre un terme à l’occupation par Israël des terres palestiniennes et à la discrimination étatique à l’encontre des Palestiniens.

Nous devons également soutenir le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), jusqu’à ce qu’Israël accepte de renoncer définitivement à ses pratiques coloniales et d’apartheid. Les organisations médiatiques et les entreprises de médias sociaux peuvent essayer de contrôler et de déformer les récits sur la Palestine, mais elles ne peuvent pas cacher la vérité et faire taire à jamais les légitimes appels à la justice des Palestiniens.

Nous devons dénoncer sans relâche les pratiques contraires à l’éthique et illégales de ces entreprises et organisations. Nous devons lutter contre la censure ciblée des plateformes qui en se faisant l’instrument de l’éradication systématique des voix palestiniennes, renforcent l’oppression structurelle des Palestiniens par l’État israélien. En adoptant un tel comportement, les entreprises de médias sociaux pratiquent l’apartheid numérique. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés.

Aujourd’hui plus que jamais, il nous faut dénoncer sans répit ce silence discriminatoire et le combattre dans le cadre de la lutte plus large pour la liberté et la libération des Palestiniens.

Note :

(*) Open class room : Une salle de classe ouverte est un espace d’apprentissage centré sur l’étudiant, qui réunit, dans un grand groupe des étudiants aux niveaux de compétences très variés, encadrés par plusieurs éducateurs. Les étudiants travaillent ensuite en petits groupes pour atteindre l’objectif qui leur a été assigné, tandis que leurs éducateurs servent de facilitateurs et d’instructeurs.

* Omar Zahzah est coordinateur pour Eyewitness Palestine, ainsi que membre de la Campagne américaine pour le boycott culturel et académique d’Israël (USACBI) et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM). Omar est titulaire d’un doctorat en littérature comparée de la Université de Los Angeles (UCLA).

13 mai 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…