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Par Shireen Hunter
Après un délai de près de deux ans, le samedi 27 mars, lors de la visite du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, l’Iran et la Chine ont signé l’Accord global de coopération économique, politique et culturelle, d’une durée de 25 ans. Cet événement a suscité beaucoup d’attention et de controverses tant en Iran que dans le monde.
En Iran, le débat s’est concentré sur les coûts et les avantages de l’accord, qui reste peu détaillé. Les partisans de l’accord affirment que s’il est mis en œuvre, il pourrait faire progresser le développement de l’Iran en assurant des investissements chinois à grande échelle dans les infrastructures, notamment routières et ferroviaires, et dans l’énergie, et en intégrant l’Iran dans le projet des Nouvelles routes de la soie, qui s’étend sur toute la planète et coûte des milliards de dollars. Les partisans de l’accord soutiennent également qu’il pourrait contribuer à réduire l’impact des sanctions américaines sur l’Iran et à renforcer son pouvoir de négociation régional, voire international.
En effet, s’il est difficile à ce stade d’évaluer l’impact économique de l’accord, il semble que celui-ci ait déjà amélioré la position régionale de l’Iran. Par exemple, la signature de l’accord a incité l’Inde à exprimer son souhait d’accroître ses relations économiques et commerciales avec Téhéran. Au cours des dernières années, malgré l’enthousiasme de l’Iran pour le renforcement de ses liens économiques avec l’Inde, Delhi a progressé lentement dans cette direction. Aujourd’hui, cependant, l’Inde, craignant la domination de la Chine sur l’Iran, pourrait bien être plus disposée à augmenter ses investissements dans le port de Chabahar et éventuellement dans d’autres projets.
Le Pakistan et l’Afghanistan l’ont également remarqué. Le gouvernement afghan et son président, Ashraf Ghani, ont souvent fait des pieds et des mains pour contrarier, voire insulter, l’Iran. Le dernier incident en date est survenu lorsque Ghani, ignorant l’accord de 1972 concernant la répartition des eaux du Helmand provenant d’Afghanistan, a déclaré que Kaboul était prêt à échanger de l’eau contre du pétrole, au mépris de cet accord vieux de près de 50 ans. Si la Chine devait développer une véritable relation stratégique avec l’Iran, les États voisins devraient revoir leur attitude souvent hostile envers Téhéran, non seulement parce que l’Iran y gagnerait probablement une position économique plus forte, mais aussi parce qu’ils devraient tenir compte de la désapprobation de Pékin.
Sur le plan international, avec la montée des tensions entre la Chine et l’Occident, des relations plus étroites entre la Chine et l’Iran pourraient pousser les États européens, et peut-être même Washington, à modérer leur propre politique à l’égard de Téhéran, ce qui ajouterait peut-être à la pression exercée sur l’administration Biden pour accélérer le retour au JCPOA (Accord de Vienne sur le nucléaire iranien) et lever les sanctions imposées à l’Iran. Les nations occidentales doivent craindre qu’une orientation plus stratégique de l’Iran, rendue plus probable par l’accord, ne réduise leur propre influence, du moins à court et moyen terme.
Les opposants à l’accord en Iran et dans la diaspora iranienne, invoquant le manque de détails sur l’accord, craignent que les concessions prétendument importantes accordées par Téhéran à Pékin ne fassent de l’Iran une colonie chinoise. Selon certaines spéculations, l’Iran aurait accepté de louer ou même de céder certaines îles à la Chine – une accusation explicitement démentie par le gouvernement – ou des forces militaires chinoises pourraient être stationnées en Iran.
En réponse à ces préoccupations, le porte-parole du gouvernement, Ali Rabiei, a déclaré que les raisons de garder les détails secrets sont doubles : d’une part, parce que l’accord n’est pas un traité et ne peut prendre effet que si le parlement l’approuve. Il le décrit plutôt comme une feuille de route pour la coopération. D’autre part, les Chinois ont demandé que les détails restent confidentiels en raison de leur inquiétude quant à la réaction éventuelle de Washington.
Tant que tous les détails de l’accord resteront secrets et, plus important encore, tant qu’il ne sera qu’une simple aspiration, il sera difficile de déterminer s’il peut servir de sauveur à l’Iran ou de cheval de Troie pour d’éventuelles ambitions hégémoniques de la part de Pékin.
Ce qui est indiscutable à ce stade, cependant, c’est que les politiques occidentales à l’égard de l’Iran et de la Chine les ont rapprochés. En particulier, les hésitations de l’administration Biden à revenir sur le JCPOA et sa ligne dure à l’égard de la Chine ont incité Pékin à prendre le risque de fâcher Washington en signant publiquement l’accord.
Tant que Pékin espérait une amélioration des relations avec Washington, il était réticent à signer l’accord. Il a peut-être maintenant conclu que l’amélioration des liens sino-américains, du moins dans un avenir proche, n’est pas au programme. Par conséquent, Pékin tente de montrer aux États-Unis qu’elle peut leur causer des difficultés dans des régions stratégiques clés comme le golfe Persique.
La Chine pourrait également avoir conclu que les États arabes du golfe Persique, dont quatre faisaient partie de la tournée du ministre chinois des Affaires étrangères dans la région, resteront dépendants de Washington et de certains États européens dans un avenir prévisible. La Turquie, que le ministre chinois des Affaires étrangères a également visitée, devrait continuer à faire partie de l’alliance occidentale malgré les tensions actuelles avec ses partenaires de l’OTAN. En outre, la Turquie ne dispose d’aucune connexion terrestre avec les parties clés du projet Nouvelle route de la soie.
Avec ses ressources énergétiques et autres, son vaste marché potentiel mais, surtout, sa position stratégique unique à cheval sur le golfe Persique et le Caucase du Sud, ainsi que ses frontières avec l’Afghanistan, l’Asie centrale et le sous-continent indien via le Pakistan, l’Iran réunit tout ce dont la Chine a besoin. En fait, l’Iran pourrait potentiellement devenir le partenaire géostratégique le plus important de la Chine en Asie occidentale.
Le risque pour l’Iran, surtout en l’absence d’amélioration des relations avec l’Occident, est de se retrouver trop dépendant de la Chine. Beaucoup à Téhéran sont conscients de cette possibilité. Ainsi, certains ont souligné que les relations avec la Chine ne doivent pas se faire au détriment des liens avec l’Occident, en particulier l’Europe. Au contraire, comme l’a noté le chef de l’association des députés du Majles de Téhéran, Hojat ul Islam Seyyed Reza Tagavi, l’accord avec la Chine doit être utilisé avant tout comme un levier avec l’Occident. Il a averti que l’accord avec Pékin ne devait pas être considéré comme un substitut au JCPOA.
Si l’Occident, en particulier les États-Unis, souhaite équilibrer la présence et l’influence potentielles de la Chine en Iran sans s’engager dans un jeu à somme nulle, il doit commencer à considérer l’Iran comme un élément clé d’un contexte géographique plus large plutôt que de le considérer uniquement à travers le prisme de la politique du Moyen-Orient et du golfe Persique. Il devrait également se rendre compte que dans un environnement international modifié, l’Iran dispose de quelques options autres que celles de l’Occident.
Source : Responsible Statecraft, Shireen Hunter, 05-04-2021
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
Source : Les Crises
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