Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
Dans cet entretien passionnant, à lire et à faire lire, l’universitaire Ahmed Bensaada, auteur du livre à succès « Qui sont les ténors du hirak », revient sur les mutations du hirak, mais aussi et surtout, sur sa genèse, et le fait qu’il ait été subrepticement infiltré depuis le début. Et c’est ce qui explique sans doute la surenchère dont il fait montre dans ses slogans et ses revendications, l’objectif ultime étant de nuire à l’Algérie, en la « printanisant ». Les tentatives de récupérations actuelles de ce mouvement sont menées par le MAK, des démocrates ONGistes et des islamawistes, néologisme qui traduit selon ce visionnaire avisé et cet analyste percutant, les islamistes off-shore. Or, toutes ces entités travaillent en faveur d’agendas étrangers dont on subodore la finalité. Sage et pondéré, et surtout patriote, notre interlocuteur estime que le hirak a atteint le plus clair de ses revendications, même si la poursuite des réforme entamées s’avère primordiale. Le hirak sincère et authentique gagnerait donc à s’intégrer au jeu démocratique pour peser dans la balance, barrer la route aux reliquats de la bande, et servir de levier aux responsables qui visent le même objectif. Patriotes et hirakistes devraient tous lire ces paroles sages, et s’en inspirer, et barrer la voie à ceux qui veulent instrumenter ce mouvement historique et phénoménal pour nuire à l’Algérie. Avis !
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Le hirak originel, que vous avez décrit dans un admirable ouvrage, semble avoir mué à la faveur de sa trêve liée à la pandémie de coronavirus. S’il draine désormais moins de monde, ce qui frappe le plus, c’est le changement ses slogans et, accessoirement de ses revendications. Sont-ce là les signes des tentatives de récupération et d’infiltration dont il fait l’objet ? Quels en sont les mobiles cachés ou apparents ?
Ahmed Bensaada : Tel qu’expliqué dans plusieurs de mes contributions, le Hirak a été infiltré dès le commencement par des groupes ayant des agendas spécifiques et n’a pas attendu la pandémie de Covid 19. C’est le cas d’ailleurs de toutes les manifestations populaires qui ont vu le jour depuis le début du 3e millénaire et qui entrent dans la catégorie de « la lutte non violente », que ce soit les révolutions colorées ou celles du « printemps » arabe. Certes, sur le terrain, ces groupes s’étaient fondus dans la masse constituée par la grande majorité de la population qui envahissait les rues et qui était réellement animée par une volonté sincère et non intéressée de changement. Mais l’analyse du modus operandi, des slogans ainsi que du financement de certains groupes sur le devant de la scène des manifestations ne laissait aucun doute.
Après la pandémie, les foules nombreuses du début du Hirak se sont clairsemées et ces groupes sont devenues de plus en plus visibles. D’autant plus que les slogans ont radicalement changé. Du « djeich, chaab, khawa khawa », on est passé à « Dawla madaniya, machi aaskaria » et même « Moukhabarate irhabiya». Un changement de paradigme qui dénote la forte présence d’entités qui cherchent la confrontation avec les forces de sécurité ainsi que l’institution militaire, garantes du pacifisme des marches, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale. La satisfaction rapide des revendications initiales et légitimes a laissé place à une inflation de demandes à l’image du jusqu’au-boutisme du « yetnahaw gaa » et de la diabolisation des acquis obtenus dans les premiers mois de la contestation.
Comme par hasard, tous ces groupes, quelles que soient leurs orientations politiques, exigent, sans discussion aucune, une phase de transition hautement dangereuse pour notre pays au lieu de la voie constitutionnelle suivie actuellement.
Qui sont les principaux courants ou individus se trouvant derrière ces tentatives de récupération ou d’infiltration ?
Il faut reconnaitre que les manifestations initiales du Hirak, celles qui ont drainé des millions de personnes dans les rues des villes algériennes, étaient composées en majorité de citoyens honnêtes, désireux de mettre fin à une « issaba » qui avait non seulement confisqué le pays, mais aussi les rêves et les ambitions de leurs concitoyens. Profitant de cette vague salvatrice et bénéfique pour notre pays, trois groupes sont venus y surfer : les « démocrates ongistes », les « makistes » séparatistes ainsi que les islamistes (ou plutôt islamawiste) « offshore ».
Les premiers sont financés et formés par des officines occidentales (en particulier américaines) spécialisées dans le « regime change »; les seconds préconisent une séparation complète de la Kabylie de la nation algérienne et les troisièmes sont principalement des anciens du FIS dissout, établis à l’étranger (en particulier en Europe).
Ayant la même vision quant à la finalité du Hirak, ces groupes ont trouvé dans son tumulte une occasion de se soutenir mutuellement, de s’épauler médiatiquement, voire de se coaliser, bien que possédant des idéologies différentes ou complètement opposées.
Les figures autoproclamées du hirak évoquées dans votre admirable livre sont-elles disqualifiées par le néo-hirak ? Si oui, au profit de qui ou de quoi ? le hirak a-t-il eu raison de se « protéger » en refusant systématiquement que des leaders émergent (ou émargent) pour le représenter ?
Mon livre s’est largement intéressé au premier groupe et, par ricochet, au troisième car ce type d’association entre des « démocrates » et les « islamawistes »a déjà été observée dans les pays arabes printanisés. Je l’ai intitulé « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » car, contrairement à ce qui est communément relaté, le Hirak possède ses ténors. On les nomme « figures »du Hirak pour ne pas dire « leaders ». Ils sont omniprésents sur les réseaux sociaux, sont régulièrement invités sur les plateaux médiatiques et chacune de leurs déclarations trouve son écho dans le cyberespace y en créant le buzz. Alors pourquoi prétendre que le Hirak n’a pas de leader?
Néanmoins, en évitant de se constituer en force politique organisée et en refusant de participer ouvertement au jeu démocratique, l’étude des révolutions colorées et du « printemps » arabe montre que ces groupes bien que très actifs et efficaces dans l’effervescence des manifestations disparaissent après la « révolution ». Seules les formations politiques organisées et structurées dotées d’une solide base militante émergent et occupent l’espace après le « régime change ».
Dans l’entretien récemment accordé à Sputnik, vous appelez les Algériens à prendre conscience de l’ampleur de la manipulation dont ils font l’objet, et du chaos qui les menace. Comme pour le covid-19, faut-il craindre en Algérie une seconde vague de soulèvements populaires communément appelés « printemps » arabe ? Quelle est la nature et l’ampleur des menaces qui pèsent sur l’Algérie ?
Après l’obtention des premiers succès politiques, le nombre des manifestants a commencé à diminuer inexorablement. Les slogans ont fini par changer radicalement tout comme les discours et les écrits véhiculés par les groupes cités précédemment. Les attaques, les offenses et les invectives contre les représentants du gouvernement, les forces de sécurité et l’institution militaire sont devenues de plus en plus virulentes. Leurs médias, classiques ou en ligne, inondent le cyberespace d’un flot ininterrompu de récits, de palabres et de laïus qui sont plus proches des « cinq principes de propagande de guerre » que du discours politique argumenté.
Ces méthodes belliqueuses qui poussent à la confrontation sont en claire inadéquation avec le pacifisme des manifestations qui a ébahi le monde jusqu’aujourd’hui. Le durcissement de leurs positions et le refus de dialogue ou de participation au jeu politique risque de nous mener vers un sinistre scénario à la libyenne ou à la syrienne.
Ce mouvement (spontané ?), a-t-il atteint ses objectifs ? Doit-il s’arrêter, ou faire une pause pour raisons sécuritaires, comme il l’avait fait un an durant pour raisons sanitaires au plus fort de la pandémie ?
On doit convenir que de nombreux objectifs importants ont été atteints avec le Hirak et ce, dès les premiers mois. Certes, un travail d’assainissement de la vie politique et d’amélioration des conditions socioéconomiques de nos concitoyens reste à faire. C’est pour cette raison que l’esprit du Hirak doit rester vivant dans notre société afin que nos dirigeants comprennent qu’on ne peut indéfiniment duper le peuple et trahir sa confiance.
Les mouvements d’opposition présents dans le Hirak qui acceptent les règles démocratiques, qui ne suivent pas un agenda étranger et qui ne jouent pas avec l’intégrité de l’Algérie doivent rédiger des programmes politiques clairs et participer à la vie démocratique de notre pays. S’ils pensent, comme ils le clament, avoir une forte assise populaire, ils n’auront aucune peine à se faire élire, occuper des postes de décision et élaborer des lois assurant la prospérité de l’Algérie. C’est à ce prix que nous réussirons à préserver l’intégrité de notre territoire, garantir notre souveraineté nationale et édifier les bases solides d’une Algérie nouvelle. Tous ensemble et non l’un contre l’autre.
Autrement, les nombreux dangers qui nous guettent ne peuvent nous mener qu’au chaos et à la ruine. Ne pensez surtout pas que l’Algérie est différente de la Syrie ou de la Libye. Ses richesses, sa situation géostratégique et ses positions politiques courageuses et justes n’ont pour effet que d’attiser les convoitises.
Source : La Patrie News
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