Des Palestiniens célèbrent le retrait des barrières à la porte de Damas,
Jérusalem-Est, 25.04.2021. (Source image : Activestills)
Par Alaa Tartir
28 avril 2021 – Jérusalem est une fois de plus le théâtre d’une action collective populaire ; une réaction spontanée à l’injustice et à l’oppression face à l’échec des structures de direction locales. Les gens sont fatigués des slogans vides et des tribunes faibles, et ont choisi de prendre les choses en main. Mais ce cycle de protestation n’est pas viable sans un environnement social favorable qui transcende la géographie et les frontières.
Comme dans les vagues de colère qui ont éclaté en octobre 2015 et en juillet 2017, l’action populaire actuelle à Jérusalem représente la politique de résistance dans sa forme la plus vibrante. Ces actions collectives représentent un défi pour les autorités et les élites, ainsi que pour leurs prétentions de représentation.
Pourtant, la transformation de cette colère en un mouvement social représentatif de l’ensemble du peuple palestinien nécessite des efforts qui s’appuient sur les réseaux existants. Elle nécessite la consolidation d’objectifs collectifs basés sur un programme de libération du colonialisme et de défi aux autorités et élites oppressives.
Les habitants de Jérusalem reconnaissent cette dynamique, et ils savent qu’en transformant la vague de colère en un mouvement plus large, ils se rapprocheront de l’émancipation et de l’autodétermination. À cette fin, comme l’a soutenu l’analyste politique Hani al-Masri lors de la vague de protestation de 2017, quatre conditions doivent être remplies : une large adoption populaire, la continuité, l’objectivité de la plateforme et le leadership.
Vacuité de leadership
L’action collective actuelle ne répond qu’à certaines de ces exigences. La fragmentation géographique limite la possibilité d’une adoption populaire, et sans quelque chose pour redynamiser le mouvement, la volonté et la persistance des gens s’épuiseront inévitablement. La plate-forme, ou programme d’action, est encore en cours d’élaboration, et le passage de demandes immédiates et essentielles à des demandes à plus long terme est un processus difficile, bien que nécessaire.
Le vide de leadership constitue toutefois le plus grand défi. Il est de la plus haute importance de combler ce vide par un leadership légitime, représentatif et efficace qui définisse la direction du régime politique à la suite des événements actuels à Jérusalem.
L’action collective peut être brève ou durable, institutionnalisée ou perturbatrice. Elle se transforme en action litigieuse lorsqu’elle est utilisée par des personnes incapables d’accéder aux institutions représentatives pour récupérer leur capacité d’action politique, et lorsqu’elles défient les autorités répressives et les leaders politiques traditionnels ainsi que leurs visions et intérêts étroits.
L’objectif final étant l’obtention des droits nationaux, il s’agit d’une longue bataille, et la victoire ne doit pas être célébrée trop tôt. La véritable victoire exige de sauvegarder les acquis et de poursuivre l’action populaire.
Le réveil actuel à Jérusalem constitue une nouvelle occasion de se libérer du cycle répressif qui assombrit la vie des Palestiniens, de porter la situation dans les rues, les allées et les lieux représentatifs de l’action politique.
Stratégie unificatrice
La résistance contre le colonisateur et les outils de la colonisation sont nécessaires à l’émancipation. On peut oublier les gens lorsqu’ils sont à l’intérieur du cycle répressif, mais pas lorsqu’ils sont activement engagés dans une action collective populaire et unificatrice. Cela est vrai non seulement dans le contexte palestinien, mais aussi dans d’autres projets de libération dans le monde.
Pour développer une stratégie unificatrice, il faut un environnement propice, ce qui n’est pas réalisable sous la direction politique actuelle. Cela ne fait que rendre la question plus pressante et plus urgente.
L’adoption populaire d’une action massive et concertée visant à redéfinir le projet, le discours et les objectifs nationaux – en plus de recréer le régime politique, ses outils et ses institutions représentatives – sont des mesures correctives qui n’ont que trop tardé. Si la portée et l’ampleur des différentes vagues de protestation ont varié, la nouvelle génération de Palestiniens a indiqué à plusieurs reprises qu’elle était prête à aller dans cette direction.
En fin de compte, cependant, le facteur décisif sera que les acteurs politiques soutiennent la résistance quotidienne des Palestiniens. Ce n’est qu’alors que le fossé entre le peuple et ses dirigeants commencera à s’estomper, permettant aux Palestiniens de commencer à construire leur propre base de pouvoir après des décennies de défaite. Alors, ils seront vraiment prêts à affronter le projet colonial sioniste et d’autres projets régionaux poussant à un règlement injuste.
L’équation n’est pas linéaire, et le jeu politique n’est pas simple. Nous ne sommes pas près de construire la base unificatrice souhaitée. Nous devons encore développer des visions, des programmes et des arguments afin de matérialiser des politiques et des mesures pratiques. C’est ce qui est en train de se passer, même si le processus en est à ses débuts. C’est un chemin d’espoir au milieu d’une douleur croissante.
Alaa Tartir est conseiller de programme pour Al-Shabaka, le Palestinian Policy Network, chercheur et coordinateur académique à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, en Suisse, et Global Fellow à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO). Tartir est le co-éditeur de Palestine and Rule of Power : Local Dissent vs. International Governance (Palgrave Macmillan, 2019), et le coéditeur de Political Economy of Palestine : Critical, Interdisciplinary, and Decolonial Perspectives (Palgrave Macmillan, 2021). Les publications de Tartir sont accessibles à l’adresse www.alaatartir.com.
Source : Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM
Source : ISM
http://www.ism-france.org/…