La patrouille aérienne de la Royal Air Force du Royaume-Uni, les Red Arrows, se produisant au-dessus de Kuala Lumpur lors d’une série de défilés aériens dans les régions Asie-Pacifique et Moyen-Orient en 2016.
(Defence Images, CC BY-NC-SA 2.0)
Par Ann Wright
Source : Consortium News, Ann Wright
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Ann Wright affirme qu’une nouvelle proposition de feuille de route reflète une expansion alarmante au-delà de l’Europe et de la Russie, la zone traditionnelle d’opérations et de préoccupations de l’alliance.
Lors de la réunion du Conseil de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) des 23 et 24 mars, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a encouragé les membres de l’OTAN à se joindre aux États-Unis pour considérer la Chine comme une menace économique et sécuritaire pour les États-Unis et les pays de l’OTAN, élargissant ainsi les zones stratégiques de l’OTAN au Pacifique.
Pour mieux comprendre ce qui s’est passé lors de la réunion de l’OTAN en mars, nous pouvons consulter une feuille de route concernant l’avenir de l’OTAN, publiée l’automne dernier. Ce rapport intitulé « OTAN 2030 : unis pour une nouvelle ère » se veut un guide permettant à l’alliance militaire de relever les défis auxquels elle sera confrontée au cours de la prochaine décennie. Dans ce rapport, publié en novembre, le « groupe indépendant » composé de cinq conseillers de 10 pays de l’OTAN a recensé 13 défis et menaces pour l’OTAN au cours de la prochaine décennie.
Cette nouvelle proposition de feuille de route pour l’OTAN reflète une expansion alarmante : elle concerne autant la Chine et la région Asie/Pacifique que la zone traditionnelle d’opérations et de préoccupations de l’OTAN, l’Europe et la Russie.
Bien que le groupe ait identifié la Russie comme étant la menace n° 1 pour l’OTAN, la Chine a été désignée comme la menace n° 2.
Ce document fait entrer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord dans le Pacifique et tente de justifier l’élargissement et le renforcement des « partenariats » dans la région Asie/Pacifique. L’OTAN a déjà quatre « partenaires » dans le Pacifique par le biais d’accords bilatéraux avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
En tant que partenaires de l’OTAN, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont déployé de nombreuses troupes sous la bannière de l’OTAN en Afghanistan, tandis que le Japon et la Corée du Sud ont mené des projets de reconstruction et de développement en Afghanistan. Pendant ce temps, les États-Unis, le méga-membre de l’OTAN, ont des bases militaires dans tout le Pacifique, notamment au Japon, à Okinawa, en Corée du Sud, à Guam, à Singapour et à Hawaï, qui sont utilisées par les « partenaires » de l’OTAN lors des exercices de guerre régionaux.
Le secrétaire d’État américain, Blinken, dans son discours du 24 mars aux membres de l’OTAN, a vivement réprimandé la Chine et a exhorté les alliés de l’OTAN à se joindre aux États-Unis dans cette position d’opposition.
Blinken a déclaré que les États-Unis ne forceraient pas leurs alliés européens à faire un choix du type « nous ou eux », mais il a ensuite laissé entendre le contraire, soulignant que Washington considère la Chine comme une menace économique et sécuritaire, en particulier sur le plan technologique, pour les alliés de l’OTAN en Europe.
« Lorsque l’un d’entre nous est victime de pressions, nous devons réagir en tant qu’alliés et travailler ensemble pour réduire notre vulnérabilité en veillant à ce que nos économies soient plus intégrées les unes aux autres », a déclaré Blinken.
Blinken a cité la militarisation de la mer de Chine méridionale par la Chine, le recours à une économie prédatrice, le vol de propriété intellectuelle et les violations des Droits de l’Homme.
Un écho à la rhétorique de Blinken
Lors de la conférence de presse qu’il a donnée le 24 mars après les réunions du Conseil de l’Atlantique Nord et après la déclaration du secrétaire d’État américain Blinken, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’est principalement concentré sur la Russie mais a fait écho à la rhétorique oppositionnelle de Blinken concernant la Chine.
Tout en déclarant que « nous ne considérons pas la Chine comme un adversaire », Stoltenberg a néanmoins continué à exposer les raisons spécifiques pour lesquelles l’OTAN est d’accord avec les États-Unis : « La montée en puissance de la Chine a des conséquences directes sur notre sécurité… Ainsi, l’un des défis auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de ce processus prospectif de l’OTAN 2030 est de savoir comment renforcer et travailler plus étroitement ensemble en tant qu’alliés, en répondant à la montée de la Chine. »
Les préoccupations de l’OTAN concernant l’expansion militaire chinoise portent notamment sur la construction de neuf bases navales sur des atolls de la mer de Chine méridionale et sur un nombre croissant de navires : la Chine possède désormais la plus grande marine du monde, avec 350 navires et sous-marins, dont plus de 130 navires. En comparaison, la marine américaine compte 293 navires au début de 2020, mais les navires de la marine américaine ont une puissance de feu nettement supérieure à celle des navires de la marine chinoise.
Si le budget militaire de la Chine a augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie, il ne représente toujours qu’un tiers du budget militaire des États-Unis et reste très faible par rapport aux budgets militaires combinés des membres et partenaires de l’OTAN.
Les estimations 2019 de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm montrent que le budget militaire américain de 732 milliards de dollars représente 38 % des dépenses militaires mondiales, tandis que les 261 milliards de dollars de la Chine représentent 14 % et le budget militaire de la Russie de 61 milliards de dollars atteint 3,4 %. Six des 15 pays qui dépensent le plus dans le domaine militaire sont membres de l’OTAN : les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et le Canada. Ensemble, ces six pays ont représenté 48 % (929 milliards de dollars) des dépenses militaires mondiales. Les dépenses totales de l’ensemble des 29 membres de l’OTAN se sont élevées à 1035 milliards de dollars en 2019.
Lors de la réunion de mars, les membres de l’OTAN ont souvent parlé de l’empreinte militaire de plus en plus mondiale de la Chine, notamment du développement d’une base à l’étranger à Djibouti, qui « accueille » désormais des bases militaires des États-Unis, de la France, de l’Italie, de l’Arabie saoudite, de l’Espagne, du Japon et de la Chine. La Chine possède également plusieurs bases plus petites dans le monde, notamment dans la province de Neuquén, en Patagonie (Argentine), sur un terrain prêté au gouvernement chinois pendant la présidence de Cristina Fernández de Kirchner. La Chine affirme que ce terrain est destiné à l’exploration spatiale et aux services de renseignement. Le gouvernement chinois dispose également d’une installation navale de renseignement électronique sur l’île Great Coco au Myanmar, dans le golfe du Bengale, et d’un petit poste militaire dans le sud-est du Tadjikistan.
La Chine dispose au total de 13 bases militaires dans le monde, dont les neuf situées sur des atolls en mer de Chine méridionale. À titre de comparaison, les États-Unis disposent de plus de 800 bases militaires dans le monde.
Parallèlement, l’OTAN s’alarme également de l’initiative économique chinoise (Nouvelle route de la soie), qui comprend une « ceinture » de couloirs routiers et ferroviaires terrestres et une « route » maritime de voies de navigation et de ports (Belt and Road, NdT).
Contrer la « menace » de la Chine
Le terrain a déjà été préparé pour l’expansion de l’OTAN en Asie : la présence dominante et continue des États-Unis dans le Pacifique a donné à l’OTAN un ancrage permanent dans la région. Le « pivot vers l’Asie » selon l’administration Obama a été un tremplin de l’OTAN pour des actions militaires accrues dans la région.
Depuis de nombreuses années, les pays de l’OTAN participent au Rim of the Pacific (RIMPAC), le plus grand exercice naval du monde qui se tient tous les deux ans à Hawaï. En 2020, le RIMPAC modifié par la COVID comptait des navires de 25 pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, Colombie, France, Allemagne, Inde, Indonésie, Israël, Japon, Malaisie, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Pérou, Corée du Sud, Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Tonga, Royaume-Uni, États-Unis et Vietnam. La Chine a participé au RIMPAC de 2014 avec quatre navires et en 2016, mais a été « désinvitée » en 2018 en raison de ses activités militaires en mer de Chine méridionale.
Le Royaume-Uni et la France ont renforcé leur présence dans la région indo-pacifique. Lors du Dialogue de Shangri-La en 2018, les ministres de la Défense français et britannique ont annoncé qu’ils feraient naviguer des navires de guerre en mer de Chine méridionale pour défier l’expansion militaire de la Chine. Le Dialogue Shangri-La est un forum sur la sécurité auquel participent les ministres de la Défense et les chefs militaires de 28 États d’Asie-Pacifique et porte le nom de l’hôtel Shangri-La de Singapour où il se tient depuis 2002.
Par la suite, le Royaume-Uni a déployé le HMS Albion pour mener des exercices de liberté de navigation près des îles Paracel en août 2018 et a mené son premier exercice conjoint avec les États-Unis en mer de Chine méridionale en 2019. La France, membre de l’OTAN, dispose de zones économiques exclusives dans le Pacifique autour de ses territoires d’outre-mer et, en février 2021, elle a effectué une patrouille en mer de Chine méridionale avec un sous-marin nucléaire d’attaque et deux autres bâtiments de la marine dans le cadre de ses exercices de liberté de navigation.
En outre, l’armée américaine réoriente déjà une grande partie de ses équipements militaires et de ses manœuvres de guerre vers le Pacifique. Les manœuvres terrestres massives « Defender » que l’armée américaine effectue depuis longtemps en Europe se dérouleront dans le Pacifique en 2021. Pendant ce temps, le corps des Marines des États-Unis réorganise ses forces dans le Pacifique pour être « des contrepoids rapides à la flotte navale croissante de la Chine. »
La nouvelle stratégie de l’OTAN dans le Pacifique prévoit que les Marines, ainsi que de petites unités de l’armée de Terre, opèrent dans le cadre « d’opérations littorales ou d’opérations autour des côtes des îles du Pacifique occidental en petites unités avec des missiles tueurs de navires. » Le corps des Marines teste actuellement des missiles tirés depuis ces petits véhicules, qui selon lui, « rendront la tâche de l’ennemi incroyablement difficile. […] Nous aurons des dizaines et des dizaines et des dizaines de ces pelotons et véhicules placés stratégiquement dans toute la région. »
En 2021, Hawaï deviendra le foyer du premier Régiment littoral des Marines, avec une capacité opérationnelle initiale en 2023. Le 3e Régiment littoral des Marines basé à Hawaï sera composé de 1 800 à 2 000 Marines du 3e Régiment des Marines de Kaneohe Bay, Oahu, qui compte environ 3 400 Marines.
Actuellement, les Marines ont deux régiments à Okinawa et un à Hawaï. Au cours des deux prochaines années, la nouvelle stratégie prévoit un régiment côtier à Okinawa, un à Hawaï et un à Guam.
La nouvelle stratégie ne se contente pas de recomposer les unités, mais elle redessine également le transport maritime pour déplacer les forces dans le Pacifique. Selon le Congressional Research Service, le navire de guerre amphibie léger, une nouvelle classe proposée de navires de la marine, aura une longueur de 60 à 120 m et coûtera 100 millions de dollars. La marine souhaite disposer de 28 à 30 de ces navires amphibies, qui auront la capacité de se hisser sur les plages. Le nombre de navires qui seront basés à Hawaï, Guam et Okinawa reste incertain, tout comme l’endroit où ils s’entraîneront à débarquer sur les plages des îles, ce qui sera surveillé de près par les activistes environnementaux locaux.
Les Marines américains ajoutent également des drones armés à leur équipement de combat. À partir de 2023, 18 drones Predator arriveront dans la région Pacifique, dont 6 à Hawaï et les autres à Guam et Okinawa.
Pendant ce temps, l’armée américaine construit de nouvelles bases dans le Pacifique. En 2020, le président de Palau, une petite nation insulaire du Pacifique comptant seulement 17 000 habitants, a proposé son pays comme nouvelle base d’opérations pour l’armée américaine dans le Pacifique. Les États-Unis ont déjà construit une piste d’atterrissage et ont augmenté le nombre de navires de la marine américaine utilisant les ports de Palau. L’administration Trump a rapidement envoyé le secrétaire à la Défense et le secrétaire à la Marine pour consolider l’accord. Palau reçoit déjà un financement important des États-Unis par le biais d’un accord économique et de défense appelé Compact of Free Association.
Les opérations militaires américaines à partir d’autres îles du Pacifique ont augmenté ces dernières années. Des sous-marins nucléaires américains, des porte-avions et leurs escortes de 10 navires, ainsi que des bombardiers B-2 équipés d’armes nucléaires, opèrent quotidiennement depuis le territoire américain de Guam pour des exercices maritimes de « liberté de navigation » et des survols de Taïwan, Okinawa, du Japon et de la Corée du Sud.
L’armée chinoise a répondu par ses propres exercices navals en mer de Chine méridionale et par des armadas aériennes de 18 appareils volant à la limite de la zone de défense aérienne de Taïwan pendant le rapprochement diplomatique et les ventes militaires accrues de l’administration Trump à Taïwan, une île que la République populaire de Chine (RPC) considère comme une province renégate de la RPC.
Le niveau de confrontation aérienne et maritime dans le Pacifique occidental entre les forces américaines et de l’OTAN, et la Chine a dangereusement augmenté au cours des deux dernières années, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’un accident ou un événement volontaire ne présente un incident de guerre potentiel pouvant entraîner des conséquences terribles.
Alors que les conseillers de l’OTAN désignent la Chine comme la deuxième menace pour l’organisation après la Russie, le plus haut diplomate des États-Unis se fait l’écho de leur cri de ralliement au moment où l’armée américaine accroit ses forces dans la région du Pacifique. Ces développements inquiétants suggèrent que les États-Unis continueront à jouer un rôle de premier plan en poussant l’OTAN à faire face à la Chine, ce qui accentuera la dangereuse confrontation dans le Pacifique occidental.
Ann Wright a passé 29 ans dans l’armée américaine et les réserves de l’armée, et a pris sa retraite en tant que colonel. Elle a également été diplomate américaine pendant 16 ans dans des ambassades américaines au Nicaragua, à la Grenade, en Somalie, en Ouzbékistan, au Kirghizistan, en Sierra Leone, en Micronésie, en Afghanistan et en Mongolie. Elle a démissionné du gouvernement américain en mars 2003 en opposition à la guerre des États-Unis contre l’Irak. Elle est co-auteur de « Dissent : Voices of Conscience » (Dissidence, les voix de la conscience). Elle vit à Honolulu, Hawaii.
Source : Consortium News, Ann Wright, 31-03-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Source : Les Crises
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