Le président français Emmanuel Macron lors d’une apparition à Créteil,
en région parisienne, le 29 mars 2021 (AFP)
Par Nabila Ramdani
L’acharnement contre les musulmans empoisonne la vie politique française. Les médias britanniques ne doivent pas en être complices
Tout stratège politique qui souhaite faire passer un message controversé à un public cultivé ne pourrait guère faire mieux que cette lettre du président français parue dans le Financial Times. Alors que celui-ci est largement considéré comme un journal de référence sans égal – lu par des décideurs du monde entier –, le chef d’État français est l’un des dirigeants les plus puissants du monde.
C’est pourquoi Emmanuel Macron a été pris très au sérieux lorsqu’il a répandu des fake news sur les cinq millions de musulmans de son pays en novembre dernier dans le Financial Times. En quelques paragraphes toxiques, il a brossé le portrait de cités HLM sans foi ni loi où des parents musulmans empoisonnent l’esprit des petites filles et les couvrent d’un « voile intégral ».
Le problème est que Macron n’a pratiquement rien écrit de vrai.
Le président n’a fait que reproduire des tropes méprisables qu’aucun fait ne vient étayer
Sans apporter le moindre élément de preuve, le président a écrit :« Allez visiter les quartiers où des petites filles de 3 ou 4 ans portent le voile intégral, sont séparées des garçons et, dès le plus jeune âge, sont mises à part du reste de la société, élevées dans un projet de haine des valeurs de la France. »
Le président a également déclaré que ces enfants vivaient dans des communautés infernales entourées de « centaines d’individus radicalisés dont on craint, à tout moment, qu’ils prennent un couteau et aillent tuer des Français ». Employant une métaphore inquiétante relevant du domaine de la biologie, Macron a rappelé « que les vocations terroristes prospéraient sur un terreau ».
Si le but de cette prose sulfureuse était de répandre un sentiment de culpabilité collective, l’effet escompté s’est certainement produit. Un président en chair et en os a confirmé ce que les propagandistes vénaux disent depuis des années : que la France a été envahie par des hordes d’étrangers et que le radicalisme meurtrier, sévissant du berceau au tombeau, est répandu. Des trolls anonymes sur les réseaux sociaux avec une croix gammée en photo de profil aux philosophes populaires racistes qui dominent actuellement la pensée politique française, tout le monde jouit désormais du soutien du président.
Qui propage des fake news ?
Cette lettre particulièrement importante a fait l’objet d’une grande attention internationale dans la mesure où Macron s’en est également servi pour accuser le Financial Times de fake news. Il reprochait à un article du journal d’avoir déformé selon lui sa position sur l’islam. Si cet article rédigé par une correspondante du Financial Times a été supprimé du site du journal, le texte du président – présenté par Macron lui-même comme un recueil de « faits simples » – a été publié dans son intégralité.
Le problème est que Macron n’a pratiquement rien écrit de vrai. Le président n’a fait que reproduire des tropes méprisables qu’aucun fait ne vient étayer. Nous en sommes désormais certains puisque quatre mois plus tard, personne n’a été en mesure de fournir la moindre preuve pour soutenir la supercherie cruelle de Macron – ni les autorités françaises, ni le Financial Times.
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À la suite des questions posées par les lecteurs, le Financial Times a chargé l’avocat Greg Callus, commissaire aux plaintes du journal, de se pencher sur l’affaire. Il lui a été demandé de justifier une lettre qui continue de causer un tort indicible aux musulmans français, mais après une procédure interminable, il n’y est pas parvenu.
Greg Callus a lancé une enquête en décembre dernier et ce n’est qu’en mars que son verdict alambiqué a été publié : « Je dois admettre que j’étais moi-même très sceptique quant à un certain aspect de ces propos, à savoir l’emploi du terme de “voile intégral” pour désigner les voiles portés par les filles de cet âge. »
L’avocat spécialisé dans la diffamation a ajouté que ces affirmations le « troubl[aient] » et qu’il « [ne se contenterait] peut-être pas d’affirmer que ces faits [étaient] vrais ou définitivement établis ». Pourtant, Greg Callus s’est gardé de corriger ces contre-vérités ou de présenter des excuses pour celles-ci, affirmant qu’il n’avait « aucune compétence générale pour vérifier des faits ou juger des propos formulés par des dirigeants mondiaux ou d’autres personnes qui font l’actualité ».
Roula Khalaf, rédactrice en chef du Financial Times, s’est en réalité opposée à un communiqué de la Society of Editors sur la prétendue absence de sectarisme dans les médias : « Tous les secteurs au Royaume-Uni doivent agir pour dénoncer et combattre le racisme », a-t-elle indiqué. « Les médias ont un rôle essentiel à jouer et les rédacteurs doivent veiller à ce que nos salles de rédaction et notre couverture reflètent les sociétés dans lesquelles nous vivons. »
Des propos creux
À la lumière du verdict de Greg Callus, les propos de Roula Khalaf peuvent sembler creux et hypocrites, en particulier depuis que les allégations incendiaires de Macron ont été exposées.
Dans les faits, le port de la burqa (un voile intégral qui couvre le corps et le visage d’une femme, y compris ses yeux) et du niqab (qui ne couvre pas les yeux) est interdit en France et tout individu obligeant une mineure à porter ces vêtements s’expose à une peine de prison. Il n’a jamais été fait état d’incidents impliquant des enfants en burqa, et encore moins de poursuites ou de condamnations.
Le mythe urbain selon lequel les musulmans cacheraient leurs enfants et leur inculqueraient la haine de l’autre est tout aussi obscène. Cela ne fait qu’alimenter les légendes macabres dépeignant des communautés qui s’en prennent aux jeunes, y compris aux leurs.
Au contraire, les appels passés auprès des organismes compétents – du ministère français de l’Intérieur aux services de police, en passant par les procureurs – n’ont pas permis d’étayer cela par des faits. Toutes les sources ont été déconcertées par ces fantasmes sensationnels et irréfléchis, qui feraient instantanément la une des journaux s’ils étaient vrais. À une époque où les caméras sont omniprésentes, il n’y a pas non plus d’images pour confirmer les dires de Macron au sujet de ces jeunes enfants sociopathes.
Plus de quatre mois plus tard, il est particulièrement important de faire la lumière sur ces perversions chroniques de la vérité, car elles continuent d’empoisonner la vie politique française.
Le Pen et Darmanin ont tous deux des antécédents honteux en matière d’acharnement contre les musulmans et étaient plus qu’heureux de déballer leurs préjugés devant de nombreux téléspectateurs
Plus tôt cette année, la présidente du Rassemblement national (extrême droite) Marine Le Pen et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, se sont affrontés lors d’un débat télévisé en direct où il s’agissait de savoir lequel d’entre eux était le plus dur envers l’islam. Si le débat portait prétendument sur la place de la religion dans une république laïque et les outils pour lutter contre les criminels attirés par le terrorisme, la propagation du sentiment de culpabilité collective a cependant pris le dessus, comme toujours.
Les mots « islam » et « islamiste » n’ont cessé d’être intervertis, si bien que les musulmans en tant que tels ont été dépeints comme une sous-classe dangereuse composée en grande partie de sauvages et de marginaux enclins à la barbarie suicidaire.
Les principales attaques terroristes de l’an dernier, perpétrées par des loups solitaires – un Tchétchène, un Tunisien et un Pakistanais –, n’ont pas été mentionnées. Au lieu de cela, il a été sous-entendu que tous les assaillants sortaient des cités HLM situées à la périphérie des grandes villes, comme Paris et Marseille, qui composent le « terreau » décrit par Macron.
Faire la cour à l’extrême droite
Le Pen et Darmanin ont tous deux des antécédents honteux en matière d’acharnement contre les musulmans et étaient plus qu’heureux de déballer leurs préjugés devant de nombreux téléspectateurs et potentiels électeurs. Marine Le Pen et son père Jean-Marie Le Pen – condamné pour ses propos racistes, antisémites et négationnistes – sont déjà parvenus à atteindre le second tour des élections présidentielles. Tous deux représentaient le Front national, l’actuel Rassemblement national, fondé par des nationalistes extrémistes qui ont soutenu le nazisme et le régime de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par des individus furieux de l’indépendance de l’Algérie.
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L’incarnation actuelle du parti reste celle d’une dynastie Le Pen, dans la mesure où Marine Le Pen fait actuellement figure de favorite pour affronter à nouveau Macron lors des élections présidentielles de 2022, comme en 2017.
C’est la raison pour laquelle Macron convoite les suffrages en faveur de Le Pen et opère un virage radical vers la droite pour tenter de les lui prendre. La diabolisation des groupes minoritaires à l’aide de mots équivoques forme une stratégie cruciale pour atteindre cet objectif, comme le montre l’adoption au Parlement de mesures de lutte contre le radicalisme proposées par Macron.
Si à l’origine, Macron parlait d’un projet de loi visant à combattre le « séparatisme islamiste » – un concept qui correspondait parfaitement aux HLM décrits dans sa lettre au Financial Times –, il est désormais question d’un texte de loi « confortant le respect des principes de la République ».
Un ennemi intérieur
Ces nuances d’ordre rhétorique n’ont cependant pas empêché l’administration Macron de proposer des mesures de contrôle beaucoup plus strictes à l’encontre des musulmans. La surveillance plus étroite d’une communauté perçue comme un ennemi intérieur va du durcissement des règles de financement des organisations religieuses à l’interdiction de l’instruction à domicile pour les enfants musulmans (même en pleine pandémie mondiale, alors que cette pratique est encouragée pour tous les autres).
L’accent est mis sur le renforcement de la sécurité et sur les mesures de répression habituelles à l’encontre de ceux qui affichent par exemple leur appartenance religieuse par leurs choix vestimentaires. Ainsi, dans sa lettre au Financial Times, Macron s’est livré à une autre inexactitude spectaculaire en affirmant que « jamais [l’État français] n’interv[enait] dans les affaires religieuses ».
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Cependant, c’est peut-être en assurant qu’il ne laisserait « personne affirmer que la France, son État, cultive le racisme vis-à-vis des musulmans » que Macron a formulé ses propos les plus fallacieux.
Comme une grande partie du double discours du président, ces mots sont indignes du papier rosé du Financial Times sur lequel ils sont écrits, malgré leur promotion par certaines sections des médias français.
Les médias britanniques devraient être mieux informés. Le Financial Times n’est pas membre de l’IPSO, l’organisme britannique de réglementation de la presse indépendante, mais prétend adhérer au code de l’IPSO en matière d’exactitude et de responsabilité. Dans ces circonstances, le Financial Times devrait cesser de se rendre complice de la propagation de la haine à l’encontre de communautés musulmanes entières en France et défendre la vérité en présentant des excuses et en publiant des corrections factuelles à la lettre de Macron.
– Nabila Ramdani est une journaliste, chroniqueuse et animatrice franco-algérienne primée qui se spécialise dans la politique française, les affaires islamiques et le monde arabe. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @NabilaRamdani
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Nabila Ramdani
Nabila Ramdani is an award-winning French-Algerian journalist, columnist, and broadcaster who specialises in French politics, Islamic affairs, and the Arab world. On Twitter: @NabilaRamdani
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Publié le 25 avril 2021 avec l’aimable autorisation de Middle East Eye
Source : Middle East Eye
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